Éducation : alerte rouge dans les lycées pros
Mardi 18 octobre, pour la première fois depuis des années, une grève majoritaire a eu lieu parmi les professeurs de lycée professionnel (PLP). L’intersyndicale à l’origine de cette mobilisation considère cette mobilisation comme un avertissement sérieux lancé au gouvernement et à son projet de réforme.
Emmanuel Macron a fait de la réforme de la voie professionnelle sa priorité du quinquennat. Cette promesse, répétée tout au long de la campagne, a été confirmée par la nomination de la DRH « marcheuse » Carole Grandjean comme ministre déléguée. Macron l’a redit aux Sables-d’Olonne dans un lycée pro à la mi-septembre : cette réforme doit être « profonde ».
Un projet de casse du lycée professionnel
Il s’agit tout d’abord d’augmenter le temps de stages de 50 %. Les élèves passeront ainsi 33 semaines en stage au lieu de 22 actuellement. Cela aura plusieurs conséquences très néfastes. Sur le plan pédagogique, les enseignements seront réduits à peau de chagrin. Déjà amputés par la réforme Blanquer de 2018, les programmes n’auront plus de cohérence, plus d’exigence, plus de contenu. Il sera difficile pour les professeurs de prévoir des projets pédagogiques ou d’organiser le suivi des élèves quand les périodes de stages seront à la carte et différenciées pour chaque élève. Il est en effet prévu que, dans une même classe, ces périodes ne soient pas les mêmes pour encourager les élèves à partir en stage le plus possible.
Et avec cet aplatissement des programmes, la crainte d’un plan social est très élevée. Emmanuel Macron a précisé qu’il serait nécessaire d’accompagner les professeurs vers une reconversion. Dans un secteur où 30 % des agents sont contractuels, on peut se douter que la reconversion sera tout simplement un licenciement pour une partie d’entre eux. Pour les autres, un décret vient de les autoriser à devenir enseignant en collège ou en lycée général. C’est donc bien un métier qui sera balayé, un métier pourtant utile, car les PLP accompagnent, remobilisent, font réussir ces jeunes qui sont parfois brisés par un enseignement élitiste au collège. Certains d’entre eux ont même l’opportunité de continuer en BTS ou en IUT alors qu’ils faisaient le désespoir de leurs enseignants en Troisième.
Main-d’œuvre corvéable
La France d’Emmanuel Macron a besoin d’une main-d’œuvre compétitive et flexible aux exigences du marché du travail. Pour produire local, pour réindustrialiser le pays, pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre, il n’est pas question d’augmenter les salaires ni de favoriser le système de retraites pour les carrières longues, il n’est pas question d’avoir des ouvriers polyvalents dont les carrières peuvent progresser grâce à une formation initiale de qualité. II n’est pas question de remettre en cause les accords de libre-échange qui nuisent pourtant depuis des années au « made in France ».
Non, la volonté présidentielle est de fabriquer une main-d’œuvre docile et ignorante qui rêve de devenir millionnaire. Cela passe par la diminution des enseignements, mais aussi par une adéquation entre formation et besoin des entreprises. Ne surtout pas favoriser la mobilité ni la qualification, il faut que les jeunes puissent exécuter des tâches immédiatement, peu importe si le métier évolue ou disparait, peu importe si l’entreprise ferme et qu’à long terme, les compétences professionnelles acquises durant la formation sont caduques. Il faut insérer tout de suite, sans attendre, même si cela ne correspond pas aux aspirations des jeunes. Ces derniers sont pourtant, d’après les enquêtes du gouvernement lui-même, de plus en plus nombreux à vouloir poursuivre leurs études. Parcoursup a été une première barrière, la nouvelle réforme consolide cet obstacle.
Une victoire est-elle possible ?
Malgré les objectifs initiaux fixés et l’apparente détermination du gouvernement, il y a pourtant des raisons d’y croire. En 2018, très peu de médias, très peu de personnalités, très peu de partis avaient repris le sujet, les syndicats étaient divisés et les PLP s’étaient sentis abandonnés lorsqu’ils tentaient de se mobiliser contre la réforme Blanquer. Mais le fait qu’Emmanuel Macron en ait fait sa priorité agit comme un élément mobilisateur. D’autant plus qu’il franchit toutes les lignes jaunes syndicales.
Libération, Le Monde, Les Échos : nombreux sont les médias qui publient régulièrement des articles depuis le mois de septembre. Les tribunes pour défendre les lycées professionnels se sont succédé. La bataille initiée par les PLP prend de l’ampleur et ils savent qu’il faudra accentuer le rapport de force. La plupart des syndicats ont refusé de participer aux pseudo-concertations le 21 octobre dernier et le gouvernement commence à changer de ton, à annoncer des pistes pour reculer sans perdre la face et pour réduire les mécontentements. Une prochaine date de mobilisation est d’ores et déjà prévue le 17 novembre. L’investissement des organisations de jeunesse dans le mouvement devrait être déterminant.
Cet article de notre camarade Helio Fingerman est à retrouver dans le numéro 300 (décembre 2022) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).