GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Actions & Campagnes politiques

EDF-GDF : une bataille cruciale pour l'avenir des services publics... et celui de la Gauche

Comme les enseignants ou les retraités l'année dernière, le combat des électriciens et des gaziers devrait être celui de tous les Français. Les promesses de non privatisation et les astuces de présentation, déployées par Nicolas Sarkozy, ne peuvent faire oublier l'objectif réel du gouvernement. Son projet de loi, qui transforme EDF et GDF en sociétés anonymes, est conçu pour casser deux des piliers de notre modèle de société. Il s'agit d'anéantir l'exemple embarrassant de ces deux réussites économiques et industrielles qui contredisent avec éclat les préceptes du libéralisme, de soumettre une force sociale et syndicale toujours gênante, de dégager des gains budgétaires pour le gouvernement et de nouvelles sources de profit pour les multinationales du secteur de l'énergie.

N'en déplaise aux libéraux, le concept de services publics reste étonnamment moderne. Quoi de plus prioritaire, en effet, dans nos sociétés, dont la cohésion économique et sociale est menacée par le culte de la compétition entre les territoires et les individus, que de produire les biens les plus essentiels à la vie dans des conditions égales pour tous, de prix, de qualité, de continuité et de sécurité ? Quoi de plus légitime que de charger la puissance publique de garantir le respect de ces conditions ? C'est par pragmatisme qu'il faut défendre les services publics marchands. C'est par dogmatisme que les libéraux veulent les soumettre aux lois du marché.

Il faut dénoncer une énorme supercherie : les avantages supposés de la libéralisation ne résistent pas à l'épreuve des faits.


Le dogme libéral nie la spécificité des services publics. Les politiques d'ouverture des marchés et de dérégulation des prix s'inspirent de la théorie néoclassique de la concurrence "pure et parfaite" qui prétend maximiser le degré de satisfaction des consommateurs et des producteurs. Ce modèle simpliste ne connaît pas l'intérêt général. Il ignore donc les services publics dont la particularité réside justement dans la recherche de retombées collectives. Il néglige les externalités positives et ne prend en compte ni la recherche de cohésion sociale, ni l'aménagement du territoire, ni la protection de l'environnement, ni la maîtrise des dépenses d'énergie. Myope et imprévoyant, guidé par la quête de profits immédiats, le marché privilégie les productions au moindre coût, quitte à sacrifier l'avenir. Il est inapte à piloter les grandes industries de réseaux (électricité, gaz, poste, télécommunications, transport ferroviaire, eau et assainissement, déchets, etc.) qui nécessitent des investissements lourds, souvent indivisibles, seulement rentables à moyen et long terme.

L'alibi du consommateur ne trompe plus personne. Alors que 70 % du secteur du gaz et de l'électricité viennent d'être déréglementés en France depuis le 1er juillet, il est maintenant admis que libéralisation rime avec augmentation et non baisse des prix. Le coût de l'électricité s'est élevé de 9 % en 2003 en Allemagne, Royaume Uni et Suède où l'ouverture des marchés est complètement réalisée, au lieu de 2,8 % en France(1). Même Bercy a pris acte du danger de la situation, reconnaissant publiquement(2) que, sans l'intervention de la puissance publique, "la volatilité des prix ne pourra qu'augmenter, et dans le cas de pointe extrême, à l'horizon de quelques années, l'offre pourra être insuffisante". Ce risque est renforcé par la stratégie des opérateurs dominants "qui tentent de fusionner pour résorber les surcapacité et qui pourraient, dans certaines circonstances, organiser la pénurie pour faire augmenter les prix".

Les effets désastreux de la déréglementation sont bien visibles dans les pays où elle a été menée à son terme. En Californie, la déréglementation a fait exploser les prix de l'électricité et provoqué l'insuffisance artificielle de la production qui s'est traduite en 2001 par des coupures de courant pour 500.000 consommateurs. Dernière en date, la panne géante d'électricité qui a paralysé l'Italie le 28 septembre 2003 à mis en évidence les graves problèmes d'interconnexion des réseaux que la libéralisation en cours va encore aggraver.

Pourtant, la libéralisation s'accélère, le point de non retour est proche.

La déréglementation, c'est d'abord la dilapidation d'un précieux patrimoine collectif.

Dès la fin des années 1990, les principales entreprises publiques se sont épuisées dans une course à la dimension internationale, censée préparer leur privatisation en compensant les pertes de clientèle provoquées par l'ouverture à la concurrence des marchés domestiques. Après France Télécom, en bonne santé jusque-là, qui s'est retrouvée en moins de deux ans avec une dette record de 70 Mds€, EDF a pris conscience in extremis de la gravité de sa situation financière. Certes, au terme d'une série échevelée d'acquisitions tous azimuts, elle réalise aujourd'hui hors de nos frontières près de la moitié de son chiffre d'affaires total. Mais, l'opérateur historique s'est appauvri. Ses comptes sont lourdement grevés par les pertes enregistrées par ses filiales étrangères (EnBW en Allemagne, Edison en Italie, Light au Brésil, Edenor en Argentine).

La déréglementation, c'est ensuite la déstructuration systématique des entreprises de services publics. L'obligation imposée par la Commission européenne de séparer les activités monopolistiques (exploitation des réseaux) des activités concurrentielles a conduit à casser les opérateurs historiques pour donner aux premières un cadre autonome. Dans le secteur de l'énergie, après le retrait à EDF de ses lignes à haute tension, transférées à RTE depuis 1997, la directive du 26 juin 2003 a imposé l'éclatement d'EDF-GDF Services, réseau de distribution commun aux deux entreprises nationales. L'avenir de ses 64.000 agents est incertain. Sans considération pour leur remarquable dévouement à l'occasion de toutes les catastrophes climatiques, leur entreprise va être découpée en un opérateur commun, chargé de la maintenance, et deux gestionnaires des réseaux, pour le gaz et l'électricité. Au nom du sacro-saint dogme libéral, les deux entreprises les plus performantes au monde dans leur secteur vont être dépecées et mises en concurrence en diversifiant leur production. Au lieu de ce projet suicidaire, nous soutenons évidemment l'idée d'un pôle public de l'énergie, constitué autour de la fusion d'EDF et GDF, seul porteur d'une véritable ambition industrielle.

Plus fondamentalement, la notion même de service public commence à se vider de son sens. Comme à la Poste ou à France-Télécom, certaines missions sont en voie d'abandon. Une grande proportion des agents d'EDF, recrutés dans les années 1990, n'ont déjà plus la même culture d'entreprise que leurs aînés. La fourniture des services publics tend à devenir une activité commerciale, voire spéculative. La création de bourses de l'électricité, telle Powernext en France, où les prix sont extrêmement volatils, est une véritable incitation à parier sur les insuffisances de production. Comme en août 2003, lors de la canicule, les fournisseurs sont prêts à acheter à n'importe quelles conditions les mégawatts qui leur font défaut pour équilibrer leurs réseaux.

Ce mouvement dévastateur ira jusqu'à son terme si l'Union européenne ne définit pas un véritable droit des services publics.


Cette question est l'une de celles qui fait le plus clairement apparaître l'urgence de donner un nouveau cap à la construction européenne. Car, pour l'heure, l'Europe avance, à grandes enjambées, vers une société de marché où les services publics n'auront bientôt plus leur place. Dans des frontières élargies, plus encore, il importe d'ouvrir une nouvelle voie entre la disparition consommée des monopoles et la libéralisation totale des services publics. Un grave déséquilibre s'est instauré, dans l'arsenal des mesures communautaires, entre l'ouverture à la concurrence, à travers des réformes radicales et obligatoires imposées aux Etats-membres, et la reconnaissance formelle et tardive des "services d'intérêt général".

Il a fallu attendre le sommet d'Amsterdam en 1997 pour que soient reconnus, dans le Traité de l'Union européenne, "la place qu'occupent les SIEG parmi les valeurs communes de l'Union" et "le rôle qu'ils jouent dans la cohésion sociale et territoriale". Cependant, l'adoption de telles déclarations de principe(3) ne s'est pas accompagnée d'une meilleure protection des services publics. Les directives de la Commission ne donnent pas un contenu précis et contraignant aux obligations de services publics. Dans son récent Livre blanc, la Commission prend acte de la nécessité "d'assurer la fourniture de SIG de qualité et abordables à tous les citoyens et à toutes les entreprises". Mais, tout en reconnaissant que ceux-ci forment "un pilier du modèle européen de société" et "une composante essentielle de la citoyenneté européenne", elle renvoie à 2005 l'adoption d'une directive-cadre. Il revient maintenant aux députés français, désormais les plus nombreux au sein du PSE depuis le 13 juin, de relancer le débat pour qu'une loi-cadre vienne enfin définir clairement le corps des principes communs à l'ensemble des services publics : objectifs d'intérêt général (égalité d'accès, universalité, continuité, qualité, sécurité), biens fondamentaux couverts, modes d'organisation, possibilités de financements publics, méthodes d'évaluation.


L'avenir des services publics passe impérativement par le rejet du projet Constitution européenne. Comme le texte adopté par la Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing, le traité constitutionnel arrêté le 18 juin par les chefs d'Etat et de gouvernement ne prolonge en rien l'espérance de vie des services publics. Bien au contraire, il grave dans le marbre, la rendant irréversible, la politique de déréglementation engagée par la Commission. Certes, l'article III-6 reprend les termes du Traité d'Amsterdam selon lesquels l'Union et ses Etats membres veillent à ce que les SIEG fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions, ajoutant sans aucune précision que "la loi européenne définit ces principes et ces conditions".

Mais, que pèsent ces dispositions face à l'article I-3 qui, en ouverture du texte constitutionnel, élève au rang d'objectif essentiel de l'Union (au même niveau que la préservation de la paix !) l'existence d'un "marché unique où la concurrence est libre et non faussée" ? D'ailleurs, lui répondant en écho, les articles III-55 à III-58 limitent de façon draconienne les aides susceptibles d'être accordées par les Etats membres aux entreprises de service public. Elles ne sont prévues qu'à titre dérogatoire non sans qu'il ait été rappelé que "les entreprises chargées de la gestion de SIEG (...) sont soumises aux dispositions de la constitution, notamment aux règles de la concurrence". L'hégémonie du droit de la concurrence est consacrée, ne laissant aucune chance de survie au droit des services publics toujours embryonnaire.

Pour autant, l'avenir des services publics ne se joue pas uniquement à Bruxelles ou à Strasbourg.


Si le gouvernement actuel est responsable du démantèlement d'EDF-GDF...


La doctrine de la Commission européenne reconnaît un partage de responsabilité entre l'Union et les Etats membres qui laisse à ces derniers une marge de manœuvre importante. En particulier, la définition des missions de service public reste du ressort des gouvernements. Le droit d'imposer des obligations d'intérêt général spécifiques aux opérateurs leur est reconnu, notamment par l'article 86 du traité CE(4). La Commission vient de rappeler dans son Livre blanc que le Service universel "instaure le droit de chacun à avoir accès à certains services jugés essentiels et impose aux prestataires l'obligation de proposer des services définis à des conditions spécifiques, parmi lesquelles une couverture territoriale complète et un prix abordable".

De même, les autorités nationales demeurent libres de confier la production d'un service d'intérêt général à une entreprise publique entièrement à capital d'Etat. C'est ainsi que l'ouverture totale à la concurrence du marché des usagers professionnels, à partir du 1er juillet 2004, n'oblige nullement à changer le statut d'EDF et GDF, ni à ouvrir leur capital, encore moins à les privatiser. C'est en vertu d'un choix politique du gouvernement que l'une et l'autre vont devenir des sociétés anonymes, c'est-à-dire des "entreprises comme les autres" contrairement aux vaines promesses publicitaires de François Roussely, président d'EDF et allié objectif de Nicolas Sarkozy.


... la Gauche doit faire connaître sa vision globale du maintien des services publics en Europe.

D'abord, nous réclamons l'organisation d'un grand débat national sur l'avenir des services publics, au plus près des citoyens et des territoires où ils vivent. Les réformes engagées ont atteint un stade très avancé sans aucune consultation des usagers. Qu'il s'agisse d'EDF, GDF, La Poste, France-Télécom ou la SNCF, elles menacent d'anéantir des décennies d'effort national d'investissement et d'aménagement du territoire. Mais nul n'a jamais expliqué aux Français le point d'aboutissement de ces mutations formidables qui vont bouleverser leur vie quotidienne, les projeter dans un monde où les services les plus fondamentaux seront proposés sans garantie d'égalité d'accès, de stabilité tarifaire ou de sécurité d'approvisionnement. Il faut mettre un terme à ce véritable scandale démocratique.

Les Régions, porteuses d'énormes attentes depuis le 28 mars, doivent exercer leur rôle de contre-pouvoir en créant des "Observatoires régionaux des services publics", animés par les associations d'usagers et les organisations syndicales. Dotés de moyens autonomes d'expertise et d'audit, ils seraient chargés d'évaluer la réalité des prix ainsi que la qualité des services rendus au regard de critères sociaux, territoriaux et environnementaux.

Il faut restaurer la légitimité des pouvoirs publics, désignés démocratiquement, à présider aux destinées des opérateurs de services publics placés en situation concurrentielle. Un nouveau mode de gouvernance doit être imaginé. Au nom d'une concurrence "libre et non faussée", la déréglementation s'efforce de vider de sens la relation entre l'Etat et les entreprises publiques. Pour être tolérées, les aides publiques (dotations en capital, prêts, garanties d'emprunt) doivent correspondre aux critères de "l'investisseur avisé" et être motivées par l'Etat comme s'il était l'actionnaire d'une entreprise privée ! Cependant, sous cette contrainte, les dispositions des traités européens n'empêchent pas l'Etat de se doter d'un établissement financier spécialisé dans l'apport des fonds propres indispensables au développement des services publics. Un nouveau statut d'entreprise à capital public doit être imaginé. Rendue à sa vocation originelle, la Caisse des dépôts et consignations pourrait jouer le rôle de l'actionnaire stable en faveur des entreprises publiques. Le droit de la concurrence ne l'interdit pas. La CDC n'est-elle pas présente aujourd'hui dans la moitié des sociétés du CAC 40 où le montant de ses participations atteint 20 milliards d'euros(5) ?

Le sacrifice des services publics sur l'autel du libéralisme peut être évité au prix d'un grand sursaut démocratique en France comme en Europe. Car, le jeu destructeur de la concurrence, conjuguée à la dictature des marchés financiers, menace de remplacer les anciens monopoles nationaux par quelques puissants oligopoles sans frontières, capables d'imposer leurs prix et leurs choix d'investissements à court terme. L'enjeu, c'est donc tout simplement le pouvoir des élus du peuple de définir et de faire respecter l'intérêt général.

Christian Martin

Document PDF à télécharger
L’article en PDF

(1): Etude publiée le 9 juin par NUS Consulting sur le coût de l'électricité pour les entreprises dans quatorze pays. (retour)

(2): Note de la direction de la prévision publiée dans les Notes bleues de juillet 2003. (retour)

(3): De même, la Charte des droits fondamentaux proclamée lors du Conseil européen de Nice en 2000 comporte un article 36 selon lequel désormais "l'Union reconnaît et respecte l'accès aux SIEG tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales". (retour)

(4): Par exemple, si l'Union impose l'ouverture à la concurrence des services postaux, elle laisse la faculté à l'Etat d'obliger les entreprises privées candidates d'offrir toutes les prestations essentielles à la population dans les zones à faible densité, financièrement non rentables. C'est ce qui a été décidé en Finlande et l'opérateur historique n'a toujours pas de concurrent. (retour)

(5): La Caisse des dépôts et consignations vient de porter à 7,5 % sa participation dans le groupe Accor en cédant ses titres dans le Club Méditerranée. Elle est présente dans les groupes Schneider, Saint-Gobain, Michelin, Air Liquide, LVMH, Veolia, etc. Au total, son portefeuille d'actions vaut 20 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter encore 20 milliards d'euros au titre des investissements financiers de la CNP, sa filiale d'assurance-vie.  (retour)

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…