GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

De quoi le Front National est-il le nom ?

Nous publions ici un article de notre camarade Jean-Jacques Chavigné paru dans la revue Démocratie&Socialisme de novembre 2015. Cet article a donc été écrit avant le premier tour des Régionales.

Le Front National est le nom de l’une des solutions et peut-être de la principale solution de la classe dominante à la crise globale que subit le capitalisme, aussi bien qu’à la sévère crise économique qui s’annonce. Aujourd’hui, à la différence de LR ou de l’UDI, le FN n’apparaît pas, aux yeux de la bourgeoisie, comme une solution politique fiable, du fait, notamment, de sa stratégie de sortie de l’euro. En cas de crise économique aiguë, il est tout à fait possible, cependant, que la bourgeoisie voit en lui un dernier recours pour briser la résistance du salariat et de ses organisations. Le Front national n’aurait alors aucune difficulté à abandonner son projet de sortie de l’euro et les mesures « sociales » de son programme. A l’occasion des élections régionales, les déjeuners entre les cadres du FN et des dirigeants du Medef se font, déjà, de moins en moins discrets. A-t-on jamais vu un parti d’extrême droite se mettre au service du salariat et s’opposer sérieusement à la classe dominante ? Il gouvernerait, comme il s’y est d’ailleurs toujours engagé, à coup de référendums, en opposant, avec toujours plus de virulence, une partie du salariat, les « musulmans », au reste du salariat, pour permettre au patronat et à la Finance d’essayer de sauver la mise. Ce parti d’extrême droite, dont le centre de gravité programmatique est l’instauration d’un « État fort », prendrait aussitôt appui sur les restrictions aux libertés adoptées à la suite des attentats terroristes de janvier et novembre 2015, pour toujours plus les intensifier, les rendre permanentes et empêcher toute résistance à l’ordre néolibéral.

La grave crise économique qui vient

Une nouvelle crise économique, sans doute plus sévère que celle de 2007-2010, semble difficilement évitable, à court ou moyen terme, tant les contradictions actuelles du néolibéralisme permettent difficilement d’envisager d’autres perspectives(1). Les politiques  néolibérales, imposées par Reagan et Thatcher, puis relayées par l’ensemble du monde, n’ont pas permis de juguler la crise structurelle dont souffre le capitalisme. Après la financiarisation de l’économie et le retour du taux de profit à ses niveaux d’avant la crise du milieu des années 1970, les étapes de l’aggravation de la crise du néolibéralisme ont été nombreuses : montée continue du chômage, crises financières, asiatiques, russes des années 1990, crise du Nasdaq au début des années 2000, crise des « subprimes », en 2007-2008, avec la profonde récession qui s’en est suivie, ont été autant d’étapes de l’aggravation de la crise du néolibéralisme.

Aujourd’hui, tous les « remèdes », annoncés après la crise de 2007-2010, ont fait long feu : les « classe moyennes » des pays émergents ne sont plus les débouchés à la production devenue « compétitive » des entreprises européennes, la Chinamérique a du plomb dans l’aile, l’épuisement de la productivité du travail continue, l’écartèlement des taux de profit entre les États-Unis et la zone euro et au sein même de cette zone s’accentue, les régulations financière et bancaire se sont limitées à des effets d’annonce, les bulles financières et immobilières continuent de gonfler, les dettes publiques et privées ne cessent d’augmenter, la montée des inégalités devient de plus en plus intolérable.

La situation est d’autant plus inquiétante que le niveau des dettes publiques, le recul de la protection sociale et l’inefficacité progressive des politiques monétaires menées par les banques centrales (Réserve fédérale, BCE, Banque du Japon…) rendraient très difficile de sauver les banques privées de la faillite et de tenter de limiter les effets de la récession, comme après 2007-2008.

Le capital n’aura pas, alors, d’autre solution que d’accentuer considérablement l’exploitation du travail pour rétablir son taux de profit, mis à mal par une nouvelle crise. C’est dans ce cadre que le FN et la recomposition de la droite sous son hégémonie pourrait devenir la principale solution pour la classe dominante.

Le FN est un parti d’extrême droite

Sa dangerosité est d’un autre calibre que celle de LR et de l’UDI, pour le salariat, les syndicats, les associations, pour nos concitoyens « issus de l’immigration », pour les immigrés qu’ils soient légaux ou « sans-papier », pour les réfugiés, les demandeurs d’asile, pour toute la société.

Il correspond à un niveau de cristallisation politique différent de celui de LR ou, même, du MPF de Philippe de Villiers (parti que l’on pourrait qualifier de la droite de la droite). Ce niveau de cristallisation implique une opposition virulente entre le « eux » et le « nous » aussi bien qu’une filiation avec un ou des partis fascistes.

L’opposition virulente entre le « eux » et le « nous », les « musulmans » et les « Français-de-souche » est, aujourd’hui, le fondement de la politique du FN et de sa « préférence nationale ».

Le FN a rompu avec l’antisémitisme de ses débuts. Marine Le Pen a déclaré, le 3 février 2011 que les camps d’extermination nazis étaient « le summum de la barbarie ». Mais, c’est pour mieux opposer un autre « eux » au « nous » : l’Islam.

L’islamophobie (découlant de la construction d’un « problème musulman ») est beaucoup plus répandue aujourd’hui que l’antisémitisme qui, s’il reste extrêmement dangereux comme nous venons, malheureusement, encore de le constater, n’est plus un phénomène de masse, comme dans les années 1930 et le début des années 1940. La détestation de l’Islam est une base autrement plus solide pour la « préférence nationale » du FN, surtout après les ignobles attentats de 2015 et l’amalgame activement entretenu entre la très grande majorité des musulmans et quelques dizaines de djihadistes.

La filiation du FN permet de comprendre pourquoi, malgré de nombreuses difficultés, il a pu maintenir son existence pendant plus de 40 ans.

Le MPF de Philippe de Villiers est retournée docilement dans le giron de la droite classique, dès la première bourrasque financière. Au contraire, le FN, grâce à ses racines politiques, a pu surmonter  la scission Le Pen-Mégret de 1998, sans qu’une partie significative de ses membres rallient le RPR ou l’UDF.

Les fondateurs du FN, en 1972, incarnaient (au sens propre du terme) cette filiation : des vétérans du PPF de Doriot et de la Waffen SS,  aux militants d’Ordre nouveau, en passant par les anciens de l’OAS de Susini et l’Union et Fraternité Française de Pierre Poujade (lui-même issu du mouvement de jeunesse du PPF).

C’est cette filiation qui a donné au FN son ossature idéologique et son encadrement militant.

La liste des « seconds » du FN est éclairante de ce point de vue : Victor Barthélémy, ancien bras droit de Doriot ; le « néo-fasciste » (sa référence était la République de Salo) François Duprat ; le « solidariste » Pierre Stirbois ; l’ « horloger » Bruno Mégret (idéologiquement plus radical encore que les « solidaristes ») ; l’ancien d’Occident et d’Ordre nouveau Carl Lang ; le « révisionniste » Bruno Gollnish ; Louis Alliot, le « trait d’union » (temporaire) entre Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen(2).

La « dédiabolisation » du FN relève d’une illusion

Le livre écrit sous la direction de Sylvain Crépon, Alexandre Dézé et Nonna Meyer Les faux-semblants du Front National(3) établit combien cette « dédiabolisation » est une construction sondagière et médiatique.

Après son élection au congrès de Tours en janvier 2011, en effet, Marine Le Pen consolidait ses positions à l’intérieur du FN, en s’alignant sur l’orthodoxie frontiste (rôle central de la « préférence nationale », « opposition totale » au mariage homosexuel, dénonciation du « remplacement pur et simple de la population française »…) En mars 2011, la transformation annoncée du parti n’avait pas encore débuté mais une tout autre représentation du parti prenait forme dans les médias et la diffusion de sondages (dont les biais méthodologiques sont déconstruits par Les faux-semblants du Front National ) qui affirmaient, qu’en quelques semaines, alors que rien n’avait bougé, le FN s’était profondément transformé.

Le FN a tiré les leçons de l’échec de l’extrême droite italienne

En Italie, la droite avait réussi à imposer à l’extrême droite une alliance qu’elle dirigeait. Le MSI, après avoir participé à la coalition gouvernementale dirigée par Silvio Berlusconi en 1994, était devenu en 1995 « L’Alliance nationale » qui s’était dissoute dans le parti de Berlusconi « Le Peuple de la Liberté » en 2009. Le FN a tiré les leçons du naufrage de l’extrême droite italienne et s’est fixé, à l’exact opposé, l’objectif de recomposer la droite française sous son hégémonie.

Recomposition de la droite sous direction frontiste

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la politique du FN de recomposition de la droite sous sa direction ne manque pas d’efficacité. La succession de plans d’austérité de droite et de gauche, tapant toujours sur les mêmes (le salariat) et favorisant toujours les mêmes (le patronat et les marchés financiers) ne peut que conforter l’opposition souhaitée par le FN, entre lui-même et ce qu’il appelle l’ « UMPS ». Cette politique d’austérité nourrit une triple crise : économique, sociale et politique, et l’accentuation de ces crises peut permettre au FN d’apparaître, aux yeux de nombreux électeurs, comme l’ « ultime solution », celle « qui n’a jamais été essayée ».

Les transfuges vont toujours de l’UMP vers le FN et jamais dans l’autre sens(4). La moitié des électeurs de LR au 1er tour  disent qu’ils reporteraient leurs voix sur les candidats du FN au second tour. La déclaration de Nadine Morano, le 27 septembre dernier affirmant que la France était un pays de « race blanche », comme celle de Xavier Bertrand, proclamant, le 27 octobre dernier, qu’il fallait faire appel à l’armée pour ramener l’ordre dans la « jungle » de Calais, comme la déclaration d’Henri Guaino, deux jours plus tard, assurant qu’il serait « prêt à travailler » avec Marion Maréchal Le Pen, indiquent à quel point l’étau du FN se resserre sur la droite « traditionnelle ».

La politique du « front républicain » n’est pas un moyen de lutter contre le FN, bien au contraire

Encore faut-il, d’abord, savoir ce que l’on entend par « front républicain ».

Une politique visant à la constitution d’un « front » s’inscrit forcément dans la durée et signifie une alliance de la gauche et de la droite, ou au moins d’une partie de chacun de ces deux camps. A chaque fois que cette alliance s’est réalisée (« gouvernement de troisième force », « ministres d’ouverture » en France, gouvernement de « grande coalition » en Allemagne…), cela s’est traduit par l’alignement accéléré de la politique de la gauche sur la politique de la droite. Une alliance de ce type renforcerait encore le néolibéralisme de la politique suivie par Manuel Valls. Or, c’est le néolibéralisme qui produit aujourd’hui la montée du FN en semant à la fois, comme l’avait fait le libéralisme dans les années 1920 et 1930, le désordre (social) et le besoin d’ordre.

Cette politique de « front républicain » n’a rien à voir, cependant, avec une consigne de vote ponctuelle, au second tour de la Présidentielle, où seuls deux candidats peuvent rester en lice, alors que la gauche a été éliminé au 1er tour et qu’il n’y ait plus d’autre solution, comme en 2002, que choisir entre le pire et le « moins pire ».

Lors des élections régionales plusieurs listes peuvent s’opposer au second tour, l’enjeu n’est pas le même et le problème se pose donc différemment. La réponse à apporter à ce problème dépendra de l’analyse de la situation, lorsque les résultats du premier tour seront connus. Cette analyse devra combiner, dans chaque région, les résultats du premier tour et notamment le total des voix de gauche, la prise en compte de la nature du FN, l’atmosphère délétère provoquée par les attentats, le risque d’une nouvelle crise économique, l’impact de cette élection sur l’élection décisive qu’est, sous la Ve République, l’élection présidentielle.

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L’article en PDF

(1): Voir Michel Husson, « Les coordonnées de la crise qui vient », Site Alencontre, 23 octobre 2015. (retour)

(2): Lire à ce propos Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, Dans l’ombre des Le Pen. Une histoire des numéros 2 du FN, Éditions Nouveau Monde, 2012. (retour)

(3): Sous la direction de Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer, Les faux-semblants du Front National. Sociologie d’un parti politique, Presse de Sciences Po, 2015(retour)

(4): Voir, sur le site de Démocratie Socialisme, l’article « Le Front national et la « tripolarisation » de la vie politique »(retour)

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