GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

L’UDC, première force nationale-populiste d’Europe

Nous publions ici la chronique mensuelle de notre ami Jean-Claude Rennwald, militant socialiste et syndical suisse, ancien député (PS) au Conseil national suisse. Cet article est paru dans le numéro 229/230 de novembre-décembre 2015 de Démocratie&Socialisme.

En raflant 11 sièges supplémentaires au Conseil national lors des élections du 18 octobre, l’UDC a confirmé sa position de première force politique de Suisse, mais aussi celle de premier parti national-populiste d’Europe, ou du moins d’Europe occidentale. Avec le Parti libéral-radical (PLR, + 3 sièges) et deux petits satellites, la droite musclée dispose d’une majorité absolue (101 sièges sur 200) au Conseil national. Les partis du centre-droit et les Verts ont subi d’importantes pertes, alors que le PS limite les dégâts (- 3 sièges) et reste le deuxième parti de Suisse. Le PS aura en outre 12 représentants (+ 1) sur 46 au Conseil des États (équivalent du Sénat), un record historique !

Marine réjouie

L’UDC a obtenu 29,4 % des voix. En Europe occidentale, aucun autre parti de ce type n’a jusqu’ici réalisé un tel score. Lors des élections européennes de 2014, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) et le Parti du peuple danois ont glané 27 % des voix, le Front national 25 %, le FPÖ et le BZÖ autrichiens 20 % et les Vrais finlandais 13 %. On comprend pourquoi Marine Le Pen s’est réjouie des résultats de l’UDC ! Ces partis sont très divers, ce qui ne les empêche pas d’avoir deux points communs : le rejet des immigrés et des réfugiés, une opposition quasi absolue à l’intégration européenne.

Une forme de totalitarisme

Le 18 octobre, l’UDC a surfé sur la vague migratoire, mais son succès a des racines plus profondes, qui remontent au rejet de l’Espace économique européen (EEE), le 6 décembre 1992 :

- L’agitation permanente de la « menace étrangère », stratégie qui s’avère plus payante là où il y a peu d’immigrés (11 % à Uri et 44 % des voix pour l’UDC) que là où il y en a beaucoup (40 % à Genève, mais « seulement » 18 % pour l’UDC) !

- La pénétration de toutes les couches de la société (l’UDC mène le bal dans toutes les catégories de revenus, mais le PS est en tête chez les personnes les mieux formés), et de tous les cantons, latins ou alémaniques, catholiques ou réformés, alors que le PAB (paysans, artisans et bourgeois), ancêtre de l’UDC, était rural, alémanique et protestant.

- Une alliance privilégiée entre la paysannerie conservatrice et la bourgeoisie, une constante de la droite dure pour museler le mouvement ouvrier.

- La volonté – en partie réalisée - de concentrer les pouvoirs politique, économique et médiatique.

Ces constats donnent raison au politologue François Masnata qui affirmait, voici bientôt 30 ans : «La Suisse est une société élitaire à base corporative en marche vers le totalitarisme.» Le PS, surtout en Suisse alémanique, a en outre eu tendance à par trop laisser tomber les catégories sociales populaires, même si, dans quelques cantons, celles-ci ont accordé un peu plus de suffrages aux forces de progrès qu’en 2011. Toutes tendances confondues, la gauche (PS, Verts, extrême gauche) a cependant recueilli moins de 29 % des suffrages, alors que voici une dizaine d’années, elle en récoltait encore 33 à 35 %.

Des dangers multiples

Sur le long terme, la progression socialiste au Conseil des États est spectaculaire, puisque le PS est passé de 3 sièges en 1991 à 12 en 2015. Au moment de mettre sous presse, 44 des 46 sièges étaient attribués et se répartissaient comme suit : PS : 12 ; Vert : 1 ; Centre : 14 (dont 13 démocrates-chrétiens) ; PLR : 11 ; UDC : 5 ; Sans affiliation : 1.

Au Conseil des États, l’UDC et le PLR n’auront pas la majorité absolue, car le centre-droit et la gauche y resteront les forces dominantes. Cette dichotomie conduira au mieux à une Suisse bloquée (les deux Chambres ont exactement les mêmes pouvoirs), au pire à de nombreux dangers : isolement de la Suisse sur le plan européen, relance de la retraite à 67 ans, coup de frein à la transition énergétique et aux transports publics, nouveaux cadeaux fiscaux aux plus fortunés et aux entreprises. Cette deuxième hypothèse est à prendre au sérieux, car les sénateurs démocrates-chrétiens ne forment pas un bloc homogène, une partie d’entre eux penchant clairement à droite.

Résistance et culture

À l’avenir, la gauche politique, syndicale et associative devra apprendre à s’unir, mais aussi à construire des îlots de résistance, à coup d’élections cantonales et locales, de référendums, mais aussi d’actions plus directes : manifestations, grèves, etc.

Cela ne devrait pas l’empêcher de construire une action sur le long terme, en lançant la bataille pour la reconquête de l’hégémonie culturelle, c’est-à-dire de donner des instruments aux travailleurs pour qu’ils ne soient plus sous l’emprise de l’idéologie bourgeoise. On mesure mieux l’importance de cet objectif lorsque l’on sait que la majorité des électeurs UDC sont sans formation ou sans bénéfice d’un apprentissage. Celui-ci passe par des médias autonomes, ainsi que par un énorme effort de formation, afin qu’un nombre toujours plus grand de militants puissent expliquer que sans la grève générale de 1918, l’AVS (régime public des retraites) n’existerait peut-être pas, que sans les syndicats, on travaillerait encore 50 heures par semaine, ou que sans les mouvements féministes, les femmes n’auraient pas encore les droits politiques. Enfin, il faudra remettre les droits politiques des migrants sur la table, puisque le 18 octobre, un travailleur sur quatre n’a pas pu s’exprimer.

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