GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Cancer

Nous reproduisons ici la chronique Palestine de notre ami Philippe Lewandowski, parue dans la revue Démocratie&Socialisme n°201 de janvier 2013.

Ce terme de diagnostic n’est pas issu de quelque odieux et stupide antisémite, mais reprend l’opinion d’Isaac Rabin concernant le Gush Emunim (Bloc de la Foi) et les implantations israéliennes dans les territoires palestiniens occupés en 1967 : « Rabin haïssait le phénomène des implantations. Il voyait dans le Gush Emunim « un phénomène très grave – un cancer dans le corps de la démocratie israélienne ». Toute leur conception du monde et leurs modes d’action lui étaient étrangers et, disait-il, contraires à la démocratie israélienne. »(1)

Il reste alors à comprendre et à expliquer comment et pourquoi quelques illuminés sont parvenus à, semble-t-il, contrôler, voire dicter la politique de « la seule démocratie du Proche-Orient » comme elle se plait à se présenter elle-même, et comme se complaisent à (faire semblant de ?) le croire encore beaucoup. C’est ce à quoi s’essaie l’ouvrage dont il est ici question.

LE COMMENT

Le comment est relativement aisé à exposer, et les auteurs s’y emploient brillamment. S’engouffrant dans les brèches qui leur sont offertes, des fanatiques résolus tirent profit de la mansuétude (ou plus exactement : de la complicité) dont ils bénéficient pour créer des faits accomplis sur lesquels ils s’appuient ensuite pour obtenir leur légitimation, formellement a posteriori. Malheur au gouvernement qui oserait s’y opposer, car dans ce jeu du menteur, tous les coups sont permis, de la chute du cabinet jusqu’à l’assassinat pur et simple (comme ce fut le cas pour Rabin) ; la manipulation de l’opinion se complète par la relativisation de la notion même de démocratie, y compris pour la partie privilégiée de la population qui est la seule à y avoir pleinement droit(2). Des voix en appellent déjà au châtiment et à l’expulsion des « traîtres » (i. e. la gauche, ou ce qu’il en reste). En période électorale, la surenchère fleurit.

LE POURQUOI

L’explication du pourquoi exige plus d’approfondissement, et semble cependant rester à mi-chemin. Selon les auteurs, un sionisme religieux aurait remplacé un sionisme laïque de coloration socialiste (et qui aurait été celui des fondateurs de l’État). Autant ce dernier était censé respecter les principes de la démocratie, des Droits de l’Homme et du droit international, autant le premier ne s’en préoccupe guère, si ce n’est sélectivement et à certains moments pour des raisons tactiques, et se contente de s’appuyer sur sa propre interprétation de la Thora. : « [Le sionisme] a échoué parce qu’il a essayé de faire du peuple juif ce qu’il n’était pas – c’est-à-dire un peuple normal, un peuple parmi les peuples du monde, et par là faire de la terre d’Israël ce qu’elle n’était pas – i. e. ce que chaque État constitue pour le peuple qui y vit. L’isolement politique d’Israël, que le sionisme politique s’est difficilement évertué à contrecarrer, est la condition naturelle et désirable du peuple juif. Ce « glorieux isolement » est essentiel pour préserver l’unicité du peuple et de l’État. […] L’isolement national est la volonté de la supervision divine »(3). Mais cette justification dite religieuse se trouve à son tour dépassée par une nouvelle vague de colons sauvages(4), des jeunes révoltés qui se réfèrent, eux, au modèle héroïsé des implantions effectuées lors des années du mandat britannique (1923-1948). Et cette référence finit par faire mouche et trouver des sympathies au sein d’une population formatée dans le cadre de l’idéologie sioniste. La gauche sioniste d’antan se retrouve face à son propre reflet : seul le revêtement a changé. La continuité l’emporte sur l’opposition apparente.

LA PREMIÈRE VICTIME

Aux dires des auteurs eux-mêmes, la première victime de la colonisation forcenée des Territoires occupés est bien entendu la population palestinienne. Même si elle ne se situe pas au centre de leurs recherches, elle n’en demeure pas moins présente tout au long de l’ouvrage. C’est elle qui subit, tous les jours et toutes les nuits, les excès tant pseudo-légaux(5) qu’illégaux des colons et des forces d’occupation israéliennes, c’est elle qui vit un cauchemar perpétuel, c’est elle qu’il faut citer en tout premier lieu. C’est à elle que nous pensons d’abord. Car pour elle, la Nakba se poursuit. Et les Pilate occidentaux modernes se contentent d’exprimer timidement leur ferme réprobation des gouvernements qui de facto soutiennent et encouragent les agissements de ceux qui « considèrent les territoires comme leurs domaines et eux-mêmes comme leurs seigneurs »(6).

LA VICTIME COLLATÉRALE

La seconde victime n’est autre que la démocratie formelle (9) israélienne. C’est ce cancer là qu’Idith Zertal et Akiva Eldar s’attachent plus précisément à décrire. Ils rappellent opportunément les conceptions théologico-politiques du rabin Kook, un des inspirateurs spirituels du mouvement de colonisation, pour qui « la terre d’Israël se situe au-delà du marchandage politique, au-delà des décisions des citoyens d’Israël, et au-delà des décisions de tel ou tel gouvernement »(7). Ils ne cachent pas leur inquiétude : « Les colons représentent à la fois le désastre de l’occupation et également, dans le long terme, la perte d’Israël s’ils continuent à maintenir leur projet ».(8)

Les récentes annonces tonitruantes du gouvernement israélien consécutives à la reconnaissance de la Palestine comme État non-membre par l’ONU prouvent cependant que le projet en question est toujours sur les rails, et ce, le plus officiellement du monde. Ce qui n’incite guère à l’optimisme.


Le cancer aurait-il gagné la bataille ?

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L’article en PDF

(1): Idith Zertal Akiva Eldar, “Lords of the land : the war over Israel’s settlements in the occupied territories, 1967-2007.”- New York : Nation Books, 2007, p.47. (retour)

(2): « La “démocratie” en tant que concept n’avait pas bonne réputation dans le Gush Emunim – ni la démocratie en général ni la démocratie au sein du mouvement ».- Idem, p.238. (retour)

(3): Idem, p.217. (retour)

(4): Idem, p.441-445. (retour)

(5): Légaux selon la loi israélienne, mais non selon le droit international. (retour)

(6): Op. cité, p.292. (retour)

(7): Op. cité, p.226. (retour)

(8): Op. cité, p.445. (retour)

(9): Formelle, car elle n’accorde pas des droits égaux à tous ses citoyens. Cf. Du côté des lois, D&S 192, février 2012. (retour)

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