GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Analyse des 44 propositions du rapport Combrexelle

Plus de plancher pour les salaires, plus de plafond pour la durée du travail, plus de règles contraignantes en hygiène et
en sécurité, plus de sanctions pour les patrons délinquants : tels sont les objectifs du rapport commandé par Valls à Combrexelle, aggravé par
le rapport du DRH d’Orange, Bruno Mettling.

Valls a osé présenter cela à la France ! Hollande et Valls ont osé vanter une réforme en ce sens. C’est une attaque contre un siècle de construction du droit du travail.

Ils disent qu’ils veulent “adapter le droit du travail aux entreprises” : c’est en réalité une contre-révolution juridique. Depuis 1906 et 1910 nous faisions le contraire : nous adaptions les entreprises au respect du droit du travail des humains !

Le rapport Combrexelle est illisible, mille fois plus que le Code du travail qu’il prétend simplifier. C’est une usine à gaz abracadabrantesque. Mais son but est clair : faire cesser l’état de droit dans l’entreprise, pour le remplacer par la puissance aléatoire des contrats d’entreprise, dictés par les patrons et les actionnaires. Combrexelle répand le virus Ebola pour empoisonner et faire disparaitre nos lois du travail. L’exemple de Smart à Hambach en Moselle est édifiant. Alors que ce centre de production est en pleine santé financière, on demande à ses salariés de renoncer aux 35 h, d’accepter 39 h payées 37, c’est du Combrexelle anticipé ! Ils veulent renverser la hiérarchie des sources de droit, des normes : la loi était un plancher, le même pour tous, au-dessus l’accord collectif ne pouvait logiquement n’être que plus favorable aux salariés, mieux encore le contrat individuel ne pouvait être que plus favorable que l’accord. Fillon avait déjà entamé cela par la loi du 4 mai 2004, mais avec Combrexelle, c’est l’ordre inverse : l’accord collectif plus défavorable que la loi s’appliquera, et pourra également s’imposer au contrat de travail individuel.

Pour faire passer cela, un seul slogan : on ne peut être plus syndicaliste que les syndicalistes, s’ils signent, c’est que c’est « protecteur » pour les salariés. Mais chez Smart, pour faire plier les syndicats opposés à l’accord, ils organisent un pseudo referendum et mettent un canon sur la tempe de chacun des salariés individuellement : c’est ça ou la porte !

Alors, avec cette méthode éhontée de chantage à l’emploi, tous les droits, salaires, durée du travail peuvent reculer. Puisqu’il devient possible de déroger à la loi par contrat, on peut être sûrs qu’en dehors des accords arrachés par d’immenses mouvements de grève (1936, 1968), il n’y a aucun accord à froid qui ne soit, en tout ou partie, une régression pour les salariés.

Pourquoi se tirer une balle dans le pied ?

Plus de trente années d’expérience confirment cette évidence : pourquoi un patron signerait-il un accord qui lui est défavorable de sa propre initiative ? On peut à cet égard noter que toutes les grandes « négociations » se font à partir des exigence des dirigeants du MEDEF et de textes écrits par eux ! Les organisations syndicales de salariés ne peuvent plus que déplacer quelques virgules sans réussir à changer l’essentiel pro-patronal.

Sur 1,2 million d’entreprises, moins de 30 000 ont signé un « accord » : et des syndicats complaisants, au lieu de résister au chantage à l’emploi, au lieu de lutter pour unifier les salariés, les ont divisés, lâchés, et ont accepté, même à une faible majorité, des reculs bien en-deçà des lois.

Dans les 1,18 million d’établissements où il n’y a pas de syndicat, le patron usera de tous les procédés, chantage, faux votes, assemblées bidon... pour imposer sa loi. Rappelons que la loi Rebsamen permet aux employeurs de trouver des personnes habilitées par mandatement à signer un accord, même sans délégués syndicaux, même sans représentants du personnel élus, si ceux-ci refusent de négocier dans un délai d’un mois.

Le projet Combrexelle (et celui de Bruno Mettling qui envisage des « entreprises étendues » aux auto-entrepreneurs, c’est à dire une « ubérisation » du travail, sans horaire, ni salaire...) est ubuesque : il prêterait même parfois à rire, tellement il est grossier et manœuvrier.

Proposition 1 :

L’ABC de la propagande. « Vous devez accepter de négocier » nous dit Combrexelle, car on est dans un monde de « concurrence » ; en clair, il faut baisser le « coût du travail ».

Proposition 2 :

Propagande encore : comment faire adhérer les organisations syndicales à notre « stratégie ». Plutôt que négociation, il faut entendre reddition.

Proposition 3 :

Choisir les D.R.H compétents pour les arnaques.

Proposition 4 :

Former les futurs responsables de ces arnaques dès les grandes écoles.

Proposition 5 :

Former, sur finances de l’État, les conseillers des employeurs pour un meilleur suivi des arnaques.

Proposition 6 :

Trier le bon grain de l’ivraie dans les cadres de la Fonction publique à l’aune de leur goût pour l’arnaque ; ils mériteront alors d’être dénommés « dirigeants ».

Proposition 7 :

Inscrire dans le Code du travail l’ABC de l’arnaque : des « accords de méthode » systématiques avant l’arnaque pour qu’elle se déroule de façon « souple » et sans possibilité de « contentieux » ultérieur. Les patrons, contrairement au discours officiel, sont risquophobes.

Proposition 8 :

Justement, pour garantir l’efficacité de l’arnaque, on a ici une superbe circonvolution dont la traduction est : comme cela a été fait (avec l’ANI du 11 janvier 2013 et la loi du 14 juin 2013 qui l’a recopié) pour les consultations des représentants du personnel, il faudra faire vite et en temps compté pour conclure les arnaques.

Proposition 9 :

Au cas où les accords ne seraient pas assez juteux pour les employeurs, prévoir dans la loi une limite à leur durée d’application. Accord bien acquis (du point de vue des travailleurs) ne devra jamais profiter. Mais, plus vraisemblablement, cette limite est pensée pour pouvoir à intervalles réguliers conclure de meilleures arnaques (en invoquant la concurrence qui s’est aggravée – l’exemple des producteurs de porc auxquels on a expliqué un mois après que l’accord sur le prix de 1,40 euro au kg était dépassé l’illustre bien). Enfin, cette limite permet d’entrer dans les têtes des « négociateurs » qu’il n’y a rien d’acquis, et qu’ils doivent se préparer à un rôle dont la permanence les coupera à coup sûr de leurs mandants.

Proposition 10 :

Un renforcement de la proposition 9. En plus des limites de temps, il faut pouvoir dénoncer plus facilement les accords, avant la limite.

Proposition 11 :

1/ Faire un groupe de travail qui va réfléchir à la façon (on devine, par accord collectif !) d’échapper à la loi et à la jurisprudence actuelles sur les transferts de salariés d’une entreprise - et d’une convention collective - à une autre. En clair, comment supprimer les quelques garanties (« avantages individuels acquis », par convention collective et/ou grâce au contrat de travail).

2/ Faire un groupe de travail réfléchissant à « l’application du principe d’égalité aux accords collectifs pour permettre leur évolution dans le temps ». Là, même avec quelque expérience, on a du mal à comprendre le sens de la proposition. Il faut dire que la signification est à l’inverse de l’affirmation d’un principe d’égalité.

Il s’agit de la mise en œuvre du revirement opportun de la Cour de cassation (27/1/2015), salué par Combrexelle dans son rapport, et qui désormais exonère l’employeur de la charge de la preuve du motif professionnel justifiant les différences de traitement introduites par un accord collectif entre différents catégories de salariés (cadres notamment par rapport aux non-cadres). L’argument de la Cour de cassation est essentiel : les organisations syndicales qui signent le font par utilisation du pouvoir que leur donne la loi de défendre les intérêts professionnels des salariés et, si elles signent, c’est a priori pour de bonnes raisons. Autrement dit, on ne peut pas être plus syndicalistes que les syndicalistes. Tout est là.

Alors cette partie de la proposition 11 doit s’entendre comme : on peut justifier plus encore et sans risque les inégalités entre catégories professionnelles.

Proposition 12 :

Faire financer par les employeurs une formation commune à l’arnaque, pour les employeurs et les organisations syndicales. Déjà avancée pour les conseillers salariés prud’hommes salariés dans la loi Macron, cette idée de faire se former ensemble les futurs « négociateurs » est une trouvaille : on se forme ensemble, on parle la même langue, on ne se quitte plus, on peut commencer à s’estimer et à penser de la même manière.

Proposition 13 :

Dans le même ordre d’idées, transformer les Instituts Régionaux et Supérieurs du Travail pour qu’ils forment les représentants du personnel et les conseillers prud’homaux selon les « bons principes » et les « bonnes pratiques » évoqués aux propositions 1 et 2.

Proposition 14 :

Rendre obligatoire la signature par les organisations syndicales d’un texte expliquant aux « tiers » le contenu de l’arnaque à laquelle ils ont participé et définissant à l’avance la façon dont elle devra éventuellement être interprétée. Cochon qui s’en dédit.

Proposition 15 :

Même chose que la proposition 15, pour contrôler la façon dont les organisations syndicales devront assurer la diffusion de l’arnaque auprès des « salariés concernés ».

Proposition 16 :

1/ Vérifier si la mise en place de toutes ces arnaques s’avère juteuse par les travaux que devront réaliser la DARES et France-Stratégie sur « l’étude économique de la négociation collective ». En clair, le rapport coût/bénéfices. Il n’y a jamais rien dans les « négociations », comme dans les « accords » ou lois dictées par le MEDEF, qui ne se traduise par « combien d’euros on y gagne ».

2/ Mettre en place la surveillance par le Ministère du travail de la bonne mise en route des arnaques au niveau de l’entreprise. Une proposition en apparence contradictoire avec la ritournelle du rapport Combrexelle sur l’autonomie de la négociation collective.

Proposition 17 :

Un site national supplémentaire pour concentrer et diffuser la propagande autour des arnaques réussies.

Proposition 18 :

Maintien de l’extension des accords de branche par le Ministère du travail. On peut être étonné que la question se soit posée. Car, s’agissant d’arnaques, il est bon pour les arnaqueurs que les « accords » régressifs puissent être imposés aux employeurs qui ne sont pas signataires et à leurs salariés qui n’ont rien demandé.

Mais, à la lecture du passage du rapport sur ce point, on comprend mieux que l’extension est d’abord un moyen de légitimer des « accords » régressifs et d’en diminuer ainsi la contestation devant les tribunaux, et ensuite un moyen pour les grandes entreprises d’éliminer la concurrence et d’aller vers une diminution drastique du nombre de branches. Combrexelle conclut en disant que « Lorsque il n’y aura plus qu’une centaine de branches… les modes d’intervention de l’État pourront être modifiés et allégés en s’inspirant du dispositif qui sera applicable aux accords d’entreprise. ».

Et l’autonomie des « accords » finira alors par s’imposer…

Proposition 19 :

Assurance définitive que le gouvernement ne sanctionnera pas les « accords » d’entreprise illégaux. L’administration, nous dit-il, est « obligée de délivrer le récépissé même si elle a le sentiment que, sur le fond, l’accord d’entreprise est en tout ou partie contraire au code du travail ».

Alors, maintenant que vont fleurir des « accords » qui vont remplacer la loi, il serait logique qu’a minima, le Ministre du travail homologue l’ « accord », un peu comme dans la procédure d’extension pour les accords de branche.

Pas question, répond Combrexelle, cela « alourdirait considérablement les tâches des services déconcentrés sans qu’ils aient les moyens d’assurer la sécurité juridique qu’exigent de telles fonctions » ; et puis cela ruinerait « l’effort commun » qui doit « tendre à renforcer la confiance dans la négociation collective ».

Et Combrexelle de balancer l’écran de fumée : dans les deux mois du dépôt de l’ « accord », « le Direccte [Directeur Régional des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi] aurait la faculté, en cas de violation manifeste de la loi, de demander l’annulation de tout ou partie de l’accord devant le Tribunal de Grande Instance compétent ». En lisant cette proposition, on peut, pour en saisir l’inanité, s’arrêter au mot « Direccte », tant ces personnages, de par leur statut, leur tri et leurs fonctions n’ont ni le temps ni l’envie de contrôler quoi que ce soit quand il s’agit des employeurs. Mais on peut aussi s’interroger sur le sens du mot « loi » quand on explique que désormais, ce sont les « accords » qui la feront ! Pour être clément avec Combrexelle, on peut penser qu’il fait référence à ce qui va rester de la loi dans la réécriture du code qu’il appelle de ses vœux, après s’être fait le greffier du MEDEF pour la précédente (2004-2008) : quelques grands « principes » (déjà écrits par le tandem Lyon-Caen/Badinter) qui ne sont que la reprise des principes existants sur lesquels aucun contrôle et aucune sanction n’est possible. C’est le but de toutes ces manœuvres.

Un rappel cependant pour les adhérents du MEDEF qui n’auraient pas bien suivi la co-élaboration du rapport Combrexelle : celui-ci précise que, bien entendu il n’est pas question pour le Direccte d’aller contester les plans de licenciements (« Plans de Sauvegarde de l’Emploi »).

Proposition 20 :

Ne plus sanctionner les violations par les employeurs de l’obligation de négocier. Combrexelle ne parle même pas des sanctions pénales, il doit penser qu’elles n’existent même plus, depuis le temps qu’il s’active à les faire disparaître, à travers la recodification de 2007 et à travers les lois qui tombent en rafales (14 juin 2013, lois MACRON, REBSAMEN et les ordonnances qui vont avec). Non, il évoque juste les « sanctions financières », qu’il trouve inefficaces quant à la qualité de la négociation. Alors tant qu’à faire, pas de sanction du tout : simplement « l’État devrait essayer de promouvoir les bonnes pratiques de négociation dans le cadre de dispositifs de droit souple (label…) contribuant à la bonne image des entreprises qui sont volontaires en la matière ». Du sucre à la place des sanctions, il fallait y penser.

Là aussi, Combrexelle n’oublie pas de rassurer. Il y aura toujours des sanctions financières pour les cas de « très fortes contraintes d’intérêt général ». Tant que c’est trop voyant, on y sera encore un peu obligé … ou presque, car, pour ceux qui ont prêté quelque attention à la loi Rebsamen, celle-ci prévoit l’auto-blanchiment des employeurs délinquants par exemple sur l’égalité professionnelle hommes/femmes qu’évoque Combrexelle dans son rapport : l’employeur qui aura réussi à faire passer à trois ans par accord la périodicité des négociations sur l’égalité professionnelle hommes/femmes est « regardé » comme remplissant ses obligations en la matière pendant toute cette durée, en clair sera blanchi pour ce temps quelle que soit la situation des salariées de l’entreprise.

Proposition 21 :

Empêcher, en instaurant des délais, les recours contre les « accords » collectifs régressifs. Une mesure très efficace pour garantir la pérennité des arnaques.

Proposition 22 :

Assurer une formation aux arnaques des juges « judiciaires » et administratifs.

Une incertitude sur les juges concernés par le qualificatif de « judiciaire ». La réécriture de la partie législative du code du travail en 2007 a anticipé la suppression des prud’hommes souhaitée par le MEDEF en rebaptisant indistinctement « juge judiciaire » tant les juges du tribunal d’instance ou du T.G.I (ce qui est l’appellation commune) que les prud’hommes. Aussi revient-il non plus au législateur mais au gouvernement par décret de décider de quel juge il s’agit dans tel ou tel domaine. Jusqu’à présent, les décrets intervenus n’ont jamais attribué aux prud’hommes la qualité de « juge judiciaire » qui figure dans les dispositions législatives ; on peut penser que le MEDEF, qui donne comme consigne à ses conseillers prud’homaux de ne pas intervenir dans les accords collectifs au prétexte de complexité, ne tiendra pas à les inclure dans ces formations.

Proposition 23 :

Instaurer des moments de commémoration (« Mise en valeur des bonnes pratiques ») à l’occasion d’ « d’événements importants concernant l’entreprise et ses salariés ».

Proposition 24 :

Limiter le nombre de réformes législatives sur le droit du travail. Venant de la part de ceux, Combrexelle en tête, qui les multiplient, cela ne manque pas de piquant. Mais l’idée, c’est que les arnaques devant prendre le dessus sur la loi, autant qu’il y en ait le moins possible. Et des réformes limitées aux grands principes.

Proposition 25 :

Une idée pour détendre un peu les lecteurs : si on crée une loi en droit du travail, on en supprime une autre. Ubu, ministre du travail.

Proposition 26 :

Sans doute la plus importante, et peut-être aussi celle où les enjeux sont les plus perceptibles.
Il s’agit de refaire le coup de la recodification de 2007, mais cette fois sans prétendre réécrire « à droit constant ». Combrexelle propose donc de réécrire une nouvelle fois le code en trois parties :

1/ une qui relèvera de « dispositions impératives », une formulation vague pour ne pas dire loi (logique quand on veut en faire disparaître la portée en la réduisant à des « principes » sans contrôle ni sanction possible).

2/ la deuxième, les « accords » collectifs qui vont concrètement dire le droit, ou plutôt les droits, potentiellement autant que d’entreprises.
3/ la troisième ne s’appliquera qu’en l’absence d’accord ! Il s’agit, dit Combrexelle, de « dispositions supplétives ». Là aussi, Combrexelle n’arrive pas à écrire « décrets » et on le comprend : c’est là le plus souvent et notamment en hygiène et en sécurité que l’on trouve les règles « impératives », concrètes et chiffrées, qui permettent potentiellement l’application de réels droits pour les salariés ou la sanction pénale de leur inobservation.

Abracadabra, les « accords » remplacent la loi et les décrets, et aucune sanction pénale n’est plus possible.

Proposition 27 :

En contradiction avec les propositions 24 et 25, Combrexelle propose une loi dès 2016 pour modifier le Code du travail sur les conditions de travail (comprendre tout ce qui concerne la santé des travailleurs), le temps de travail, l’emploi et les salaires. Derrière l’acronyme créé « ACTES » (« Accords sur les Conditions de Travail, l’Emploi et les Salaires », Combrexelle est joueur !) se cache donc tout ce qui est essentiel pour les droits et la vie des travailleurs dans l’entreprise, et l’on peut sans grand effort imaginer que cette loi sera le premier pas dans l’architecture décrite à la proposition 26.

Proposition 28 :

Complémentaire de la précédente, Combrexelle n’ignore pas que depuis 2004 (loi Fillon) et depuis 2007 (loi Bertrand) a été déjà inscrite dans la loi et dans le code du travail l’obligation, avant toute loi sur le droit du travail, d’une « négociation » sur le sujet entre « partenaires sociaux ». Combrexelle sait qu’il lui est difficile de penser qu’il pourra si vite obtenir un nouvel Accord National Interprofessionnel disant que oui, les majorations pour heures supplémentaires, les durées maximales du travail, les salaires conventionnels peuvent être négociés et dans les branches et dans les entreprises. Il propose donc que cette « négociation » puisse être remplacée par une « position commune qui se borne à la définition des principes essentiels ».

Cette proposition de Combrexelle a l’avantage pédagogique de la répétition ; on comprend de mieux en mieux les mécanismes de l’arnaque. En on peut déjà rédiger la « position commune » avec les « principes essentiels », ceux que les grands médias ont déjà repris en boucle : « on est pour le dialogue social sans tabou, à tous les niveaux, et dans tous les domaines ; on demande juste l’engagement qu’on ne touche pas au SMIC et à la durée légale de travail ».

Proposition 29 :

Complémentaire de la précédente : Hollande l’avait déjà promis au MEDEF, la grande arnaque (l’ « accord », fut-il défavorable, remplace la loi) doit être inscrite dans la Constitution (comme pour le traité constitutionnel européen dont on a bien mesuré avec la Grèce ce que son adoption signifiait : il n’y aura plus qu’une seule politique possible, celle du laisser-faire, laisser-passer). Combrexelle propose de l’inscrire dans le préambule de la Constitution.

Proposition 30 :

Encore une nouvelle loi ou est-ce la même que celle de la proposition 27 ? Combrexelle commence par dire, et il a raison que l’essentiel des relations de travail sont derrière l’acronyme ACTES pour déplorer la « très forte imbrication de la norme unilatérale (loi et règlement) » dans ces domaines, et il propose en conséquence de déterminer ce qui pourrait dorénavant relever de la « négociation ».

1/ Le temps de travail.

C’est l’essentiel

Après avoir affirmé de façon erronée qu’on ne peut toucher aux normes européennes telles le maximum de 48 h par semaine (sans parler de l’Angleterre et de son opt-out), l’article L.3121-35 du Code du travail permet au Direccte, encore lui, d’accorder des dérogations, de même que pour la durée maximale moyenne de 46 heures par semaine les dispositions par « convention » individuelle de forfait sur l’année permettent d’effectuer 78 heures par semaine, payées 35, en respectant le repos journalier « européen » de 11 h par jour), Combrexelle délivre enfin la proposition que le MEDEF attend depuis 1936 (après avoir obtenu l’annualisation du temps de travail en 1982) : la fin de la durée légale de travail.

Le contraire de ce qui est bruyamment garanti par les annonces officielles. Comment décrire mieux la proposition de Combrexelle : laissons les entreprises, par « accord », décider à partir de quand on compte les heures supplémentaires (et donc on paye les éventuelles majorations). Depuis que le temps partiel est autorisé (1973), il n’y a pas définition plus concrète de la durée légale de travail.

Alors, comme c’est « gros », Valls affirme que ce point ne sera pas retenu dans la loi du début 20016 : mais, chez Smart et Daimler, ils savent comment faire des accords dérogatoires, qui changent la durée et le taux des heures supp’ sous chantage à l’emploi et en se moquant bien de l’ordre public social.

2/ Les salaires

C’est le but ultime recherché, les baisser.

Combrexelle le sait, il ne peut dire qu’on va toucher au SMIC. De même, formellement, il ne peut dire qu’on va toucher aux salaires minima des conventions collectives. Mais Combrexelle est sans doute la personne la mieux placée en France pour savoir comment toucher au SMIC par « accord » collectif. Cela fait plus de 20 ans que les distributeurs de gratuits dans les boîtes aux lettres sont payés à environ la moitié du SMIC, par la grâce d’un décret modifiant les mentions obligatoires sur les bulletins de paie sur les heures de travail effectuées. Comme les juges ont continué à estimer que ces entreprises, comme les autres, devaient justifier des heures réellement effectuées, Combrexelle, comme Directeur Général du Travail, a œuvré à la conclusion d’un « accord » collectif qu’il a ensuite traduit en décret (décret n° 2010-778 du 8 juillet 2010, article R.3171-9-1 du code du travail). Deux fois annulé par le Conseil d’Etat, cet article qui n’a pas été supprimé, dit que l’employeur peut ne pas inscrire les heures de travail réelles du moment qu’il a passé un « accord » collectif étendu (par Combrexelle titulaire de la décision au Conseil d’Etat)!), qui indique les modalités de la « quantification préalable » du travail, en fonction « du secteur géographique sur lequel s’effectue le travail, de la part relative dans ce secteur de l’habitat collectif et de l’habitat individuel, du nombre de documents à distribuer et du poids total à emporter ».

Voilà à quoi va ressembler la « simplification » qu’on nous promet, l’allègement du Code du travail qui va surtout alléger les salaires. Bruno Meetling et son « entreprise étendue » va … étendre tout ça.

D’autant que Combrexelle a d’autres idées. Pour rappel, les salariés au forfait, surtout les cadres mais pas qu’eux (aujourd’hui plus de 10 % des salariés), c’est quoi leur salaire horaire quand on fait la division par le nombre d’heures ? Plus que le SMIC ?

Pour les cadres justement, mais pas seulement, Combrexelle évoque tout ce qui est rémunérations variables, en dehors des minima, ce qui relève des contrats de travail individuels ou des « accords » par exemple et qui, selon Combrexelle, pourrait être développé. De même pour les rémunérations qui ne sont pas considérées comme des salaires (intéressement, participation) : elles échappent aux cotisations sociales et permettent précisément à certains employeurs d’éviter des augmentations de salaire.

3/ Les conditions de travail

La santé l’hygiène la sécurité, comment démembrer tout ça quand on a déjà cassé la médecine du travail et diminué les CHSCT ?

Premier mensonge, Combrexelle affirme qu’on est là dans le domaine des normes communautaires (« un corpus communautaire très imposant »), dont l’application, certes nécessaire, est très contraignante pour les entreprises ». C’est le contraire, et Combrexelle, qui a supervisé la réécriture du code en 2007 le sait bien. Ce qui est contraignant pour les entreprises, ce sont les limites chiffrées (exemple : la manutention des charges, le temps de travail limité par canicule..) fixées par décret. Le non-respect des « normes » européennes, élaborées par les employeurs pour les employeurs, ne peut être sanctionné ; d’autre part elles s’avèrent peu protectrices dès qu’un intérêt patronal les détermine. Exemple : en 2007, a été supprimé le règlement qui, pour les femmes, fixait à 60 kg, véhicule compris, la charge maximale pour pousser ou traîner des véhicules à quatre roues. En 2011, la France (l’INRS) a adopté la norme européenne unisexe qui fixe cette limite de charge à 400 kg (sans préciser si elle s’applique aussi en cas de sol non lisse et/ou de pente). Les 400 kg n’ont pas été choisis au hasard, ils correspondent exactement au poids maximal en charge des containers poubelles standard de 600 l, qui fleurissent sur le continent européen depuis que l’on a inventé une mécanisation pour les éboueurs. Les employeurs et la sécurité sociale, appelés au tribunal des affaires de sécurité sociale saisi par les femmes des entreprises de nettoyage, dont le dos et la vie sont brisées, arrivent en disant : on a droit à 400 kg ! et 600 l, à la densité moyenne des déchets (entre 0,1 et 0,4) avec une poubelle à vide de 45 kg, ça ne dépasse pas 300 kg … alors peu importe la pente, les obstacles des trottoirs !

Voilà le monde merveilleux des normes. Pour être complet sur cet exemple, il faut ajouter qu’on peut se dispenser des normes quand elles ne conviennent pas aux employeurs. La même norme unisexe fixe à 25 kg le maximum pour le port de charges…mais la France n’a pas supprimé pour les hommes la limite, règlementaire cette fois, de 55 kg (et 105 kg avec avis médical). Ne doutons pas que les normes non chiffrées, et l’alignement par le bas des autres, seront aggravées par le TAFTA.

Deuxième mensonge, Combrexelle dit qu’il est possible d’ouvrir de fructueuses discussions (« Il conviendrait en conséquence d’être plus précis sur la place de la négociation collective sur la question des modes d’organisation du travail ») sur des domaines échappant à l’Union européenne, et de citer les « troubles musculo-squelettiques » et les très mal nommés « risques psychosociaux ».

L’expérience de tous les représentants du personnel, notamment sur les « risques psychosociaux », c’est que pour eux la santé est une exigence et pour l’employeur un coût (pas seulement financier pour les « risques psycho-sociaux »), et que toutes les discussions et autres plans de prévention et formation à la résistance au stress n’ont pour seul effet que de faire perdre leur temps aux salariés et de dégager la responsabilité des employeurs quand il ne s’agit pas de la faire retomber sur les salariés eux-mêmes.

Proposition 31 :

1/ Transformer les discussions de la proposition 30 en négociation sur la « responsabilité sociale des entreprises ». Bonne idée : les labels existent déjà, on va pour pas cher pouvoir vite transformer les « négociateurs » en publicitaires. Les assurances sont prêtes, comme pour les complémentaires.

2/ Entamer « avec un mandat de la loi » des négociations sur l’ « économie digitale ». Le rapport, sans parler le moins du monde de cette mystérieuse « économie digitale », propose dans cette partie que la négociation permette « d’avoir recours à de nouvelles formes de contrats de travail ou d’instituer des dispositifs nouveaux de transition professionnelle, conciliant les exigences de sécurité des salariés et d’adaptation des entreprises, ceci dans un cadre prédéfini par la loi. ».

On comprend qu’il s’agit très certainement des emplois UBER (Macron ayant fait savoir qu’il ferait des propositions pour que cette nouvelle forme « innovante » trouve sa place légale – déjà facilitée par la modification de l’article 2064 du code civil), et plus généralement du travail sans contrôle de la durée du travail (travail à domicile, salariés en « portage » salarial), le lien entre ces contrats étant l’informatique qui a bon dos pour exonérer l’employeur du respect des règles élémentaires du droit du travail.

Proposition 32 :

Ouverture des discussions pour la répartition des arnaques entre les branches et les entreprises, « dans un premier temps dans les champs prioritaires des accord ACTES », qui sont, on l’a vu, les plus importants dans les relations de travail … et dans les économies que les employeurs peuvent faire sur le dos des travailleurs.

Proposition 33 :

« Mécanisme de fusion des branches qui représentent moins de 5000 salariés à une convention collective d’accueil» : des dizaines, voire des centaines d’arnaques potentielles en un seul coup.

Proposition 34 :

« Faculté, par accord majoritaire, de regrouper en deux catégories de thèmes la négociation des accords d’entreprise et de leur fixer une périodicité quadriennale avec clause annuelle de revoyure ».

En clair, « négocier » pour faciliter les futures arnaques et renvoyer à quatre ans les négociations annuelles obligatoires notamment celle qui dérange vraiment les entreprises, celle sur les salaires.

Proposition 35 :

Présentée sous forme d’expérimentation avec bilan dans quatre ans (une technique éventée pour pérenniser en douceur les arnaques), la presque claire affirmation de la supériorité de l’accord d’entreprise, même défavorable, sur l’accord de branche. Et ce dans les jolis « champs prioritaires des « accords ACTES », soit tout ce qui intéresse les salariés et relativise la restriction énoncée par Combrexelle pour l’application de ce nouveau principe destructeur (« Sous réserve de l’ordre public défini par le code du travail et l’accord de branche »).

Propositions 36 et 37, énoncées ainsi :

36. « Assimilation législative de l’accord de groupe aux accords d’entreprise. »

37. « Prévoir que les accords de groupe organisent l’articulation accords de groupe/entreprises/établissements. »

La première proposition (dire dans la loi que l’accord de groupe équivaut à un accord d’entreprise) ne règle pas la définition du « groupe », qui selon Combrexelle posait problème. La conséquence dommageable est que le groupe, qui peut être étranger avec des règles différentes, va, à travers la proposition 37, pouvoir manœuvrer pour fixer les différents niveaux de négociation (groupe, entreprises, établissements) en fonction des sujets traités. A l’inverse de ce que dit vouloir éviter Combrexelle, à savoir la fixation de ces niveaux de façon unilatérale par l’employeur. En effet, comment croire qu’il en ira différemment quand on s’en remet, comme le propose Combrexelle, à un « accord de méthode au niveau du groupe» pour les fixer. Le groupe pourra aussi s’assurer que les arnaques sont bien équivalentes à l’intérieur du groupe.

Proposition 38 :

Multiplication et diffusion d’arnaques-type auprès des T.P.E.

Proposition 39 :

Des « dispositifs territoriaux négociés ».

Un gadget pour dire que l’on peut parler de tout dans les « territoires » ou « sites » ou autres « bassins d’emploi », sans que cela n’engage à rien : « Le principe devrait être posé que ces dispositifs s’appliqueraient au territoire concerné sans s’immiscer dans les relations entre entreprise et salariés », « Les dispositions de nature normative que, le cas échéant, ces « dispositifs territoriaux négociés contiendraient » n’auraient d’effet juridique que dans la mesure où elles seraient explicitement reprises dans les accords d’entreprise conclus à l’intérieur du territoire concerné ou dans une décision unilatérale de l’employeur pour les TPE ».

Le seul intérêt est pour les employeurs qui pourront, à travers ce « dispositif » souple, donner à leur décision unilatérale la force d’un accord, sans qu’un seul représentant du personnel représentatif du « territoire » ait eu un mot à dire.

Proposition 40 :

Encore un gadget pour faire semblant de prendre en compte les intérêts des salariés des multinationales (« filières internationalisées ») tout en ne générant aucune contrainte pour celles-ci : « Le législateur pourrait prévoir le cadre juridique de ces expérimentations, dans le cadre de ce que les spécialistes dénomment parfois « l’entreprise étendue ». « Plaquer ces accords dans un paysage dont les piliers essentiels sont l’accord de branche et l’accord d’entreprise peut être source de grande insécurité en l’absence de toute articulation entre les différents accords ».

Il s’agit de faire comme pour les « comités d’entreprise européens » des grandes entreprises implantées dans plusieurs pays une coquille vide, sans pouvoirs.

Pour garantir la sécurité des multinationales, Combrexelle prévoit que le ministre de l’économie soit en charge de l’expérimentation, au même titre que le ministre du travail.

Proposition 41 :

Propagande pour les délicieuses « bonnes pratiques » des accords transnationaux à mieux intégrer dans les arnaques nationales.

Proposition 42 :

Une proposition limpide pour une fois : l’accord collectif « préservant l’emploi » dissout le contrat de travail individuel. En clair, baisse de salaire et augmentation de la durée du travail « légalisées » si l’employeur met avant la « préservation de l’emploi » ce qui peut toujours être invoqué. Comme chez Smart et Daimler…

En cas de refus, le salarié, qui ne veut pas renoncer à son contrat de travail, est licencié et ce qu’il advient de lui est si incroyable (enfin pas pour Terra nova qui avait claironné cette solution deux jours avant Combrexelle) qu’il suffit de citer Combrexelle pour voir la dissolution des règles élémentaires du droit et saisir la cruauté de la proposition : « S’il refuse cette situation, ce salarié doit pouvoir être licencié pour un motif économique tenant à la situation de l’entreprise, la cause réelle et sérieuse étant présumée. Le régime indemnitaire serait spécifique à cette situation et devrait être moins attractif que celui prévu par le droit commun en cas de licenciement pour motif économique.

Le refus volontaire du salarié de se plier à la règle négociée commune qui a pour seul objet de préserver l’emploi de la communauté de travail devrait avoir, pour ce salarié, un coût par rapport à l’indemnisation de droit commun dont bénéficie le salarié qui fait l’objet d’un licenciement pour motif économique »

. Géant !

Proposition 43 :

Généralisation à partir de 2017 du principe selon lequel l’arnaque sera légitimée par des « accords » « majoritaires ».

Proposition 44 :

Une dernière mascarade pour la fin : Combrexelle propose une « large concertation » avec les « partenaires sociaux » sur la « base de ses propositions ».

Une illustration du constat fait plus haut : on ne discute jamais que des exigences du MEDEF.

Une illustration du mensonge à répétition : il n’y a jamais eu pour le droit du travail la moindre concertation réelle, mais des courses (procédures accélérées, ordonnances, 49-3) pour éviter ne serait-ce qu’une discussion qui mettrait en lumière ce dont il est question.

De ce point de vue, la composition de la commission Combrexelle est une caricature de ce que l’on fait quand on veut éviter d’avoir en face des personnes qui connaissent la pratique du droit du travail et peuvent se représenter et décrire les conséquences pour les travailleurs des changements d’ « architecture » et autres euphorisants.

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