GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Réforme territoriale et rôle de l’État

La dernière des trois lois relatives à la réforme territoriale a été adoptée en août.

Cette réforme s’inscrit dans un mouvement de réformes structurelles (ex. loi Macron, loi Rebsamen, etc.) visant à mieux inscrire notre pays dans la compétition économique européenne et mondiale.

La réforme actuelle n’est pas une réforme de décentralisation mais elle opère un basculement de notre « modèle » social. L’enjeu premier est celui de la croissance, dans un monde libéral de compétition, de concurrence.

Éléments rapides sur la réforme

Les trois lois :

  • Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (loi MAPTAM)
  • Loi n°2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et modifiant le calendrier électoral
  • Loi n°2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République
  • Ces lois :

  • créent les métropoles, en faites celle-ci existaient au niveau économique depuis longtemps, la loi leur donne un statut particulier.
  • réorganisent les régions métropolitaines passant de 22 régions à 13
  • maintiennent le niveau départemental, renvoyant le débat sur son avenir autour de 2020
  • modifient la carte des intercommunalités. L’objectif initial de regroupement sur la base de 20 000 habitants, soit autour des 1666 bassins de vie, a un peu dérivé face à la pression des élus en retenant le seuil de 15 000 habitants.
  • modifient la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales et surtout entre les différentes collectivités territoriales.
  • L’organisation des régions se fait autour de pôles d’excellences (pôle de compétitivité, pôle universitaire…) du point de vue économique et des métropoles sauf pour 2 régions (Centre Val de Loire et Bourgogne- Franche Comté)

    Réforme de l’État

    Différents textes (décrets, instructions, notes) organisent le nouveau rôle de l’État et la nouvelle organisation des services de l’État.

    Globalement, nous assistons à une centralisation des pouvoirs de l’État au niveau du Premier ministre et du préfet de région.

    Le niveau régional devient le niveau stratégique de déclinaison des politiques publiques nationales en territoire, le niveau départemental celui de la mise en œuvre.

    La nouvelle carte réorganisant les services régionaux de l’État au niveau régional a été annoncée au Conseil des ministres du 31 juillet.

    Le gouvernement envisage de développer le niveau départemental et infra-départemental notamment via des guichets - maisons d’État.

    Ces réorganisations s’appuient sur le numérique avec l’objectif de poursuivre la réduction des effectifs, tout en apportant un « service public » dans les territoires déshérités.

    En même temps, l’État développe les maisons de service au public (voir le contrat avec La Poste passé le 24 juin 2015) regroupant différents services publics (Pôle emploi, CNAF, CNAMTS, CMSA, CNAV, EDF, SNCF, GDF-Suez/Engie, La Poste).

    Des éléments sur les processus à l’œuvre

    L’Europe

    La question territoriale n’est pas de la compétence de l’Union européenne (UE) mais la quasi-totalité des pays ont fait ou font des réformes du même type.

    Dans l’ensemble de l’UE, il y a moins de 90 000 communes dont 36 681 rien que pour la France (41 % du total), moins de 1000 entités intermédiaires (départements, provinces, …) et environ 295 régions. La tendance générale est à une forte réduction du nombre de communes.

    Concernant les régions, les pays ont quasiment chacun leur propre organisation, ce qui conduit à une dizaine de types de structures régionales.

    L’UE publie des données régionales qui en fait ne reflètent pas l’existence d’un échelon régional comparable dans tous les pays, puisque ces données sont fondées sur des « régions » dont le périmètre est déterminé dans le cadre d’une « Nomenclature commune des unités territoriales statistiques (NUTS) ». Tous les pays de l’UE bénéficient des politiques régionales européennes, via les fonds européens. De ce fait, la plupart des pays ont un échelon « régional » et ils sont tous divisés en régions « NUTS ».

    Il est difficile d’avoir une définition consensuelle du contenu institutionnel du terme « région » et donc une convergence institutionnelle. Quelle est, dans ce cadre, la signification de « l’Europe des régions » ?

    L’UE s’est construite sur la base de l’ordo-libéralisme, théorie libérale les années 30 à Fribourg (« école de Fribourg », notamment autour de Walter Eucken). L’ordo-libéralisme est une forme de néolibéralisme européen, où le marché n’est pas une création naturelle mais un ordre construit par l’État, qui a la responsabilité de son entretien et de son fonctionnement.

    Dans la logique ordo – libérale, le niveau supra étatique (l’UE) gère l’économique et le niveau étatique les politiques sociales. Au niveau supra étatique, il n’y a donc pas besoin d’avoir des fonctions politiques. Il ne semble donc pas que l’idée d’une Europe fédérale soit une priorité.

    Mais à la fin du XXème siècle et encore plus depuis la crise, la construction européenne ordo libérale s’estompe au profit d’une approche libérale plus radicale (école autrichienne avec F. Von Hayek et école de Chicago avec M. Friedman).

    Dans la dernière période, du fait de l’approfondissement de la construction européenne, la France converge largement vers la doxa européenne.

    La réforme en cours relève de cette logique.

    Les évolutions de l’ « État »

    Le capitalisme est en crise systémique.

    Nous pouvons reprendre rapidement l’analyse d’un certain nombre d’économistes.

    Quand le taux de profit décline, l’objectif du capital est d’ouvrir tous les secteurs de la vie sociale qui échappaient encore ou en partie au marché. Cela se traduit notamment par les privatisations, la « responsabilisation » (empowerment) des citoyens. Cette stratégie pousse également à des politiques de baisse des impôts, surtout pour les plus riches, qui associées à des rentrées fiscales réduites par le ralentissement de la croissance, conduisent à la forte hausse de la dette souveraine. Cette « crise fiscale de l’État » fait que l’État n’a plus les moyens financiers de sa politique, d’où la mise en œuvre de politiques de réduction des dépenses publiques, de privatisation, d’abandon de missions publiques.

    Dans le même temps, l’évolution de la société et la crise économique, sociale et environnementale accroissent la demande d’investissements publics en particulier dans la santé, l’éducation, la formation, les retraites, les infrastructures, la prévention et la réparation des aléas écologiques ...

    La crise environnementale accentue cette problématique avec en particulier les enjeux liés aux dérèglements climatiques, à la raréfaction des matières premières et de l’énergie renchérissant les coûts des productions. La nature n’est plus « gratuite », comme l’a toujours pensé le capitalisme, qui au fur et à mesure qu’il se développe, détruit ses conditions de production (matières premières, énergie). Pour continuer à générer du profit, il a besoin de l’État en tant que régulateur des conditions de production d’où les politiques dite de « développement durable, de croissance verte, d’économie circulaire,… ».

    Avec, la mondialisation et la construction de l’Union européenne, l’État qui avait pour mission de « défendre » « sa nation », ses habitants, son économie notamment en créant les meilleures conditions de son développement, n’a plus cette fonction puisque la bataille économique ne se fait plus au même niveau. Ainsi les demandes du capital vis-à-vis de l’État ne sont pas les mêmes qu’antérieurement.

    Ces éléments, seulement évoqués ici, montrent bien les évolutions en cours de la place et du rôle de l’État et donc du service public. Essentiellement, l’État doit être au service de l’entreprise, de l’économie. La réforme territoriale – État s’inscrit clairement dans ce schéma.

    La forme, la place et le rôle de l’État sont un des enjeux centraux de la réforme.

    Historiquement la France est un État unifié mais aussi centralisé, jacobin.

    Dans un État « jacobin », celui-ci reste au centre du jeu avec de multiples attributions impliquant de nombreuses politiques publiques et de grands ministères déployés en territoire. Dans ce schéma, les structures territoriales (départements, régions) peuvent être nombreuses car elles ont peu de pouvoir réel.

    Depuis les années 80, la décentralisation s’est développée donnant de nouvelles compétences aux structures locales au détriment de l’État.

    Dans cette configuration, l’État devient un peu plus « girondin », avec des régions qui prennent de plus en plus de poids. Vu les compétences qui leur reviennent, cela demande plutôt de grandes régions en nombre plus limité.

    Pourtant cela n’est pas aussi simple, car la France a une tradition centralisatrice avec un État fort.

    L’État devient un État minimal, stratège dans certains domaines de plus en plus restreints.

    Il entend déléguer le plus possible la mise en œuvre des politiques publiques. La revue des politiques publiques et plus globalement la réforme d’État, donnent bien l’orientation.

    L’action publique de l’État et le service public État sont donc en pleine restructuration. Il ne s’agit plus que de définir quelques grandes politiques publiques visant la compétitivité économique et un filet « sécuritaire /social » minimal, dont l’essentiel de l’application, territorialisée, se fera aux niveaux intercommunal et régional, et la mise en œuvre par l’entreprise ou l’association la mieux placée sur le marché.

    Au regard de ces évolutions, avec la réforme en cours ne se développe-t-il pas un cadre institutionnel nouveau ?

    Celui-ci ne sera plus jacobin mais il ne sera visiblement ni girondin, ni fédéraliste.

    Il y a « décentralisation » au profit des intercommunalités / métropoles et des régions, mais avec un État qui demeure fort, y compris localement avec les préfets, définissant les grandes politiques publiques. Les échelons de proximité devront les mettre en œuvre en prenant en compte les spécificités territoriales, le tout au service de la compétition de la France en Europe et dans le monde.

    Cependant, le système ne glisse pas clairement vers le fédéralisme. En effet, ni le partage de la souveraineté populaire entre l’État et les régions (qui donnerait un pouvoir législatif aux régions) ; ni la question du transfert des ressources ne sont le but dans les réformes en cours.

    Le cadre institutionnel qui semble se dessiner n’est plus « jacobin », mais n’est pas « girondin » ou « fédéraliste », ce qui pose clairement la question de la démocratie.

    Se situant dans le cadre d’une politique d’austérité, d’une politique de l’offre, de compétition européenne et mondiale et en l’absence de débat démocratique, cette construction institutionnelle ne satisfait personne et surtout n’apporte pas les réponses nécessaires aux besoins des citoyens.

    Les territoires (sur ce point, voir notamment Laurent Davezies)

    Dans la Nouvelle économie géographique (NEG) (cf. P Krugman) les territoires sont appréhendés comme facteur de production. La qualité de fonctionnement des territoires devient un élément de localisation des productions. Les territoires deviennent donc un « marché ». Dans ce cadre, et avec l’économie de la connaissance, ce sont les territoires les plus denses, les mieux gérés qui concentrent les meilleurs facteurs de productions (ex. : recherche, main d’œuvre qualifiée et diversifiés, …). Ainsi, la production ne va plus dans les territoires (en France) les moins développés à bas coût de main d’œuvre. D’une part, le coût de la main d’œuvre est sensiblement le même partout en France (voir à ce sujet l’attaque contre le SMIC dans le rapport de Terra Nova de septembre 2015) et avec la mondialisation, la production va dans les pays les plus pauvres où le coût de la main d’œuvre est par contre très faible.

    La NEG permet notamment de « gérer » cette évolution, qui conduit à mettre au cœur du système les métropoles, comme moteur de la croissance dans la compétition mondiale.

    Ainsi, les politiques économiques des gouvernements visent à maximiser la production de ces territoires. Nous pouvons citer par exemple les aides ciblés aux pôles de compétitivités, la politique des clusters, la création des métropoles. Ces politiques ne cherchent plus l’égalité et la cohésion des territoires mais la mobilisation des territoires comme facteurs de croissance.

    Cela est un argument fort dans la fusion des régions, à savoir rendre nos régions compétitives dans la compétition économique européenne et mondiale. Cela passe notamment par une spécialisation des territoires, régions et territoires infrarégionaux.

    Cette logique conduit à accroitre les inégalités entre territoires.

    Dans le même temps, il convient de prendre en compte le découplage croissance / développement (« bien vivre » des citoyens) au niveau macro-économique des territoires. La relation macro-économique est différente au niveau national et supra national.

    La croissance, mesurée en PIB, donc la production de richesses dans un territoire, ne correspond pas forcément à un développement de ce territoire.

    Il y a ainsi des territoires à fort PIB sans beaucoup de développement et des territoires à faible PIB avec un fort développement.

    Le modèle de développement des territoires, qui a prévalu jusque dans les années 80, permettant de réduire les inégalités territoriales par la réduction des inégalités productives, est devenu obsolète.

    Les transferts de revenu, via la mobilité des salariés, plus globalement des citoyens et via les politiques publiques de redistributions ont permis de réduire les inégalités de revenu à la fois des citoyens et des territoires. Cela a permis le développement de territoires à faible capacités productives et la création d’emplois dans ces territoires.

    Aujourd’hui, la concentration autour de pôles d’excellence dont les métropoles, la faiblesse de la production industrielle en France et la réduction drastiques des politiques publiques conduisent à la recrudescence des inégalités notamment territoriales.

    Au cours de l’histoire, les transferts de revenus entre territoires varient. Ainsi en France, le Nord et l’Est ont longtemps « aidé » les autres régions alors qu’aujourd’hui ce sont elles qui ont besoin d’aide.

    L’exemple de la Belgique est aussi intéressant. La Wallonie a longtemps été la région riche qui a soutenu la Flandre. Aujourd’hui c’est l’inverse. Sauf que, dans le contexte actuel, la Flandre refuse d’aider la Wallonie plus pauvre. La Belgique est devenue un État fédéral en 1994 et un fort courant scissionniste existe aujourd’hui en Flandre…

    Cette volonté séparatiste de régions riches est vraie dans plusieurs « État nation » européens. Le référendum écossais du 18 septembre 2014 en est la parfaite illustration. C’est aussi une question d’actualité en Espagne avec la Catalogne.

    Cela montre bien d’une part que la notion de « nation » dans les États nations européens est fragile et d’autre part que les systèmes de cohésion et solidarités territoriales sont mis en question.

    Dans le système économique actuel de compétition mondiale, l’efficacité économique, les avantages comparatifs, serait du côté de petites « nations », délestées du fardeau des territoires les plus pauvres. Pendant le XXème siècle, le développement industriel dans certaines régions a entrainé celui dans d’autres régions. Les régions riches avaient donc plus ou moins besoins des régions pauvres. Mais la globalisation financière et la crise ont détruit cet équilibre concentrant la richesse sur certaines régions, délocalisant la production matérielle dans les pays les plus pauvres.

    La révolution numérique élargit encore un peu plus cet horizon.

    Dans un pays, les régions riches n’ont plus besoin des régions pauvres. Dans un système d’hyper compétition, elles ne veulent plus payer pour elles, d’où les velléités d’éclatement des États nations. D’une part, le petit rappel historique sur le Nord et l’Est en France ou sur la Belgique montre cependant que les riches d’aujourd’hui ne seront pas forcément ceux de demain. D’autre part, des équilibres se font au niveau national et une rupture de ceux-ci auraient aussi des conséquences sur les territoires riches.

    La réforme actuelle, en autonomisant un peu plus certains territoires et en réduisant les politiques publiques nationales met en cause des mécanismes essentiels, même s’ils sont loin d’être parfaits, touchant à la cohérence, à la « régulation » entre territoires. Répondant aux besoins de la compétition économique mondiale, elle est porteuse d’accroissement des inégalités entre les territoires et entre les citoyens. Ces ruptures ne portent-elles pas en germe un risque d’éclatement de la France ?

    Ce questionnement sur des territoires traverse la réforme en cours notamment à travers la création de nouveaux territoires (région, métropole, intercommunalité), posant le rôle des politiques publiques.

    Conclusion

    Cette réforme construit notamment de nouveaux territoires (intercommunalités, métropoles et régions).

    Elle réorganise différemment les compétences entre collectivités territoriales, marquant la prépondérance du couple intercommunalité / métropole et région.

    Cette transformation de l’écosystème territorial pose la question du sens, de(s) l’identité(s) à construire pour ces nouveaux territoires et donc du projet territorial.

    L’absence de démocratie lors de cette réforme, la logique de compétition économique à l’œuvre conduisent à une réforme « hors sol » par rapport aux besoins, aux souhaits des citoyens

    Le gouvernement n’apporte aucune réponse sur ce sujet pourtant primordial pour l’acceptation d’une telle réforme.

    Des questions tout aussi essentielles que

  • le positionnement des régions les unes par rapport aux autres, par rapport aux régions ou États européens (par exemple la nouvelle région Alsace – Champagne Ardenne – Lorraine est frontalière avec 4 pays), le positionnement des territoires infrarégionaux entre eux
  • la gouvernance des régions
  • demeurent des inconnues à ce jour.

    Il est déterminant pour l’avenir que les citoyens construisent ensemble le projet régional et les projets de territoires, la gouvernance de ces territoires.

    Ceci est de toute évidence l’enjeu majeur des prochaines élections régionales de décembre 2015.

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