Analyse de l'élection présidentielle de 2007
Une élection présidentielle est un moment
fort de politisation, donc de polarisation de
la société. Aussi, pour comprendre les résultats
d'une élection, il faut à la fois étudier les
processus politiques à l'oeuvre au sein de la
population mais aussi le rôle des partis et de
leurs leaders car sans organisation dirigeante
capable, l'énergie des masses se volatilise comme
de la vapeur non enfermée dans un cylindre
à piston. Cependant, le mouvement ne vient ni
du cylindre, ni du piston, mais de la vapeur.
Un an avant l'élection, le Parti Socialiste est en
position de force : il peut s'appuyer sur des victoires
institutionnelles (élections européennes, élections
régionales), mais aussi sur des mouvements
sociaux (comme le CPE) qui même s'ils n'ont pas
toujours été victorieux (mouvement des retraites), ont
cristallisé une opposition forte au gouvernement en
place. Tout semblait indiquer (même les sondages !)
que la gauche ne pouvait pas perdre cette élection. Depuis
près de 30 ans, jamais un gouvernement en place
n'avait été réélu.
C'est pourquoi la défaite de 2007 est encore pire que
celle de 2002. Toujours en décalage avec sa base (mal à
l'aise sur les retraites, en conflit sur le Traité constitutionnel européen, timide dans un premier temps sur le CPE),
la direction du PS paie aujourd'hui l'addition de ses erreurs
et ses fébrilités passées. La campagne n'a, cette fois-ci, pas
été polluée par des sujets comme l'insécurité en 2002 : la
gauche a perdu alors que la campagne s'est faite autour des
grands sujets qui constituent,
en théorie, le coeur de la gauche. La question du travail en est la plus triste illustration. Alors, oui cette défaite est pire que la précédente : le niveau d'adhésion à la candidate et à ses idées en est une preuve accablante : seule la moitié des électeurs aurait voté pour elle, l'autre moitié aurait d'abord voté contre Sarkozy.
La victoire institutionnelle de la droite est-elle pour autant une
victoire sociale qui traduirait une droitisation de l'électorat ? Cette
lecture navrante de simplicité est des plus accommodantes pour les
partisans du néocentrisme, dont les capacités d'analyse sont aussi
dynamiques qu'un encéphalogramme plat.
La reprise par l'institut de sondage
par BVA de ses enquêtes menées sur ces huit derniers
mois dément catégoriquement cette approche. « Ce document
fait un sort à plusieurs idées plus ou moins à la mode parmi les
commentateurs selon lesquelles :
de la société française ;
économique et social que lui imposait le PS ;
de gauche et c'est pour ne pas l'avoir effectuée assez
nettement que Ségolène Royal a perdu.
L'examen de nos études dément indéniablement chacune de
ces trois « analyses ». Il prouve au contraire que la gauche
avait toutes ses chances de l'emporter mais qu'elle n'y
est pas parvenue en n'assumant pas assez ses mesures et
l'orientation idéologique et politique qu'elle induisait.
C'est bien l'absence de lisibilité politique de la candidate
sur les grands enjeux économiques et sociaux conjuguée
à une propension à se « centriser » (entre-deux tours)
voire à se « droitiser » (autorité, sécurité et drapeau)
en faisant campagne sur les thèmes de son adversaire
qui explique le mieux cette déroute.»
Sarkozy a certes mené une campagne de droite dure
et revancharde (mai 68 n'a toujours pas été accepté
par une partie de la droite !). Sa victoire est d'abord
celle de Neuilly contre Clichy. La géographie du
vote l'illustre parfaitement et est un marqueur social
fort : pour les banlieues, la candidate du Parti
Socialiste était l'instrument d'opposition à l'élection
de Sarkozy. Mais en même temps, derrière
ce clivage marqué, on a bien vu que pour convaincre,
Sarkozy a dû ajouter à sa palette une
approche plus sociale en posant la question du
travail. Ce sujet a trouvé un écho retentissant
dans l'ensemble de la société car il revient à
poser la question de la reconnaissance de la
place de chacun dans la société et des efforts
qu'il réalise pour s'y épanouir.
La défaillance idéologique des élus socialistes
sur le sujet fut cruelle. S'il y a bien eu un
phénomène de droitisation dans cette campagne,
ce fut avant tout celui d'une part importante
de la direction du PS et avec elle
de son appareil.
Cette dernière a profité du « phénomène
» Bayrou, dont la campagne fut d'abord
une campagne de position, plus que de
proposition, pour traiter cette poussée sondagière
comme une force politique constituée,
rassemblant sur des bases programmatiques
un électorat homogène et cohérent.
Pourtant, il s'agissait seulement d'un vulgaire
caillot, produit de la décomposition
idéologique de la direction du PS, mâtiné
d'une couche d'inquiétude soulevée par la
personnalité de Sarkozy chez une partie de
l'électorat de droite. Il est déplorable de voir
un parti se tirer deux balles dans le pied (les
appels de Kouchner et Rocard à une alliance
avec le centre trois semaines avant le premier
tour !), en redemander une deuxième couche,
dans un élan masochiste, en faisant de Bayrou
(et non de son électorat) un partenaire, à l'occasion
du second tour.
Une campagne présidentielle est un moment fort
de polarisation, d'adhésion ou de rejet. Logiquement,
nombreux sont les nouveaux venus gonfler
nos rangs au sein du parti socialiste à l'occasion de
cette campagne. Tout aussi logiquement, la candidate
bénéfice souvent chez ces nouveaux adhérents
d'un capital sympathie important car c'est à l'occasion
de “sa” campagne qu'ils sont venus nous rejoindre.
Il va donc falloir réussir à déconstruire les discours
qui viseront à masquer les faiblesses idéologiques de la
campagne, sans briser trop durement les illusions des
nouveaux adhérents.
A cette occasion, la recomposition de la gauche est plus
qu'à l'ordre du jour et d'abord et avant tout au sein du
parti socialiste. Unité de toute la gauche du Parti, tel doit
être le mot d'ordre ! Au delà des egos, il nous faut donc
enfin réussir à réunir dans un bloc, dont la base est déjà très
homogène, les différents représentants de la gauche du Parti
: Emmanuelli, Hamon, Filoche, Dolez, Mélanchon, Vidalies,
Lienneman. Un accord tactique, voire programmatique
avec Fabius (sur la base d'un accord a minima) est aussi une
question qui se pose.
Le prologue, que fut cette élection, contient tous les éléments
du drame : droite dure, décomplexée, néolibérale, autoritaire
face à une gauche molle qui perd ses repères. Mais le drame
n'est pas encore mis au point. Les socialistes peuvent encore
modifier le cours des choses, à condition de s'affirmer comme
une force de gauche décomplexée et fière de ses fondamentaux.
Dans les moments de doute, dans les moments de crise, il faut
toujours revenir aux fondamentaux : Serrons les rangs !
Ernest Simon