«Droitisation» de la société ou refus des directionsde Gauche de mener le combat ?
L'élection de Sarko, sur la ligne politique la plus à droite qu'a eu le
camp ennemi depuis 1958, fait indubitablement mal à tout le peuple
de gauche et à tous les salariés conscients. Les médias en rajoutent et
répètent à foison que la victoire du candidat de la Droite et du Medef
est « confortable » et va permettre au président « de mettre en place
facilement ses réformes ». A l'opposé, en refusant de tirer les leçons
de la défaite et de dégager leur propre responsabilité, les différentes
composantes de la Gauche nous laissent suggérer que pour imposer
une alternative politique, il va falloir être patient... Bref, le thème
que l'on retrouve partout, du siège social de Bouygues à la rue de
Solferino, en passant par Rouge, c'est celui de la « droitisation
» de la société française, brandi en son temps par le stalinisme
pourrissant pour expliquer l'incapacité de la gauche à prendre le
pouvoir.
Mais aucun militant luttant pour la transformation sociale ne peut tenir réellement ce discours défaitiste. Tout d'abord parce que la victoire de Sarkozy est loin d'être écrasante. Les vieux, qui ont très largement voté pour Sarko par peur de ce que raconte Jean-Pierre Pernaud à 13 h, ne vont pas se bouger pour défendre le premier flic de France en cas d'affrontement social généralisé. Or, toutes les tranches d'âge autres que les personnes âgées ont voté majoritairement pour Ségolène, excepté la génération des 25-34 ans. Si on y regarde de plus prêt, on voit que ce sont les trentenaires qui ont pesé dans la balance. Rien de plus normal : ils sont ceux qui ont vécu le plus violemment, au début des années 90, l'entrée dans un marché du travail flexibilisé et la crise sans précédent des organisations ouvrières, que les penseurs bourgeois appellent « crise des idéologies ».Mais tous ne sont pas des Golden Boys et ils ne vont
pas tarder, dans leur majorité, à se rendre compte de
la portée de leur vote. En outre, il ne faut pas oublier
que près de trois millions de travailleurs immigrés,
quoique travaillant et payant des impôts en France,
n'ont pas le droit de vote, mais que leurs bulletins
seraient largement allés à Ségo, afin de barrer la
route à Sarko. Bref, l'ami de Bolloré est loin d'être
majoritaire dans le pays réel, d'où la nécessité de
« l'ouverture » au centre et à des personnalités
de « gauche », qui ne sont rien d'autre que des
aventuriers politiques qui ont toujours défendu
le Capital français. Notamment Kouchner, blanchissant Elf qui a
recours au travail forcé en Birmanie...
Cette tentative d'Union sacrée derrière une
politique de casse sociale accélérée est la preuve
de la faiblesse de Sarkozy.
Pour faire passer ce que
les précédents serviteurs des classes
possédantes n'ont pas réussi à faire passer
(remise en cause du droit de grève, casse de
la fonction publique, destruction totale des
retraites et surtout contrat d'embauche unique),
Sarko a besoin d'alliés. Mais Kouchner
et Allègre ne feront pas l'affaire et ce sont les
directions syndicales qui sont maintenant les
objets des travaux d'approche de la Droite...
Sarko n'a pas encore gagné la bataille décisive,
qui reste à livrer, que déjà la jeunesse a réalisé
ce qui n'a jamais été fait le soir même d'une
élection présidentielle. Elle a dit son mécontentement,
ses angoisses et sa haine de Sarkozy en
remettant en cause la légitimité de son élection,
dans le cadre des institutions bonapartistes de la Ve
république. Mais, la direction du PS ne trouve rien
à en dire. Pire, en brandissant le thème de la
« droitisation » de la société, elle nie la combativité
de nombreux secteurs de la jeunesse et du salariat.
N'est-il pas clair que ce qui se « droitise », ce n'est
pas la société dans son ensemble (dont les deux composantes
essentielles se radicalisent en vue de l'affrontement
social à venir), mais seulement les directions
des organisations de gauche, politiques et syndicales,
qui feront précisément tout pour éviter cet affrontement
ou pour en atténuer les effets ? La direction du PS est
en première ligne, elle qui a été incapable de mettre en
oeuvre un programme alternatif à celui de la Droite et du
Medef. Mais que dire du PCF et surtout de la LCR ? C'est
la renonciation du PC à la transformation sociale et à la
lutte de classes qui l'a réduit à ce qu'il est : un appareil
sclérosé qui ne défend plus que lui-même, c'est-à-dire ses
élus et ses permanents. De même, la LCR, par la voix de son
ex-candidat, dénonce les violences anti-sarkozy et proposent
aux jeunes empressés d'en découdre avec une journée de vigilance,
qui pourrait se tenir en... septembre! Soit après les
contres-réformes annoncées par le gouvernement ! La « droitisation
» de la société n'est qu'un leurre. Pire, elle est l'argument
des directions du mouvement ouvrier pour tenir les jeunes et les
salariés en laisse. En voulant se battre pour défendre les acquis
sociaux du siècle précédent, conquis au prix de sacrifices énormes,
à commencer par des vies ouvrières contre l'Etat français et
contre les fascistes, nous serions des antidémocrates ? Ou alors des
gens qui n'ont pas compris qu'il n'y avait rien à faire ? Les idéaux
de droite l'ont emporté dans la société ? C'est faux et archi-faux !
La mobilisation pour l'Europe sociale des peuples et contre le CPE
l'a prouvé bien mieux qu'un billet de vote. Refusons le défaitisme !
Nous devons précisément continuer le combat pour un autre monde
et pour la République sociale, ici et maintenant! Il n'a jamais été plus
décisif qu'aujourd'hui.
Jean-François Claudon