GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

15-17 octobre : Forum social européen de Londres

Après Florence et Paris Saint-Denis, le troisième Forum Social Européen s'est tenu à Londres du 15 au 17 octobre dernier. En plantant son chapiteau à Victoria Place, il a regroupé près de 20.000 altermondialistes de 65 nationalités. Il n'a pas peut-être pas mobilisé autant que les éditions précédentes même si les sujets demeurèrent aussi nombreux et les débats riches, intéressants et protestataires. Comme à l'habitude, le dimanche s'organisa autour d'une manifestation d'environ 50.000 personnes au cœur de Trafalgar Square.

Dominé par les mouvements anti- guerre anglais et notamment la plus visible des mouvements sociaux anglais, le Socialist Workers Party (Swp - parti d'extrême gauche révolutionnaire et anticapitaliste), les militants européens ont pu suivre près de 30 conférences plénières, 150 séminaires et 220 ateliers.

La protestation contre la guerre en Irak relégua certes un peu les questions européennes au second plan. Les 6 grands thèmes retenus pour les conférences portaient "Guerre et Paix", "Démocratie et droits fondamentaux", "Justice sociale et solidarité: pour les droit sociaux et contre la privatisation", "La mondialisation des multinationales et la justice mondiale", "Contre le racisme, la discrimination et l'extrême droite: pour l'égalité et la diversité" et "Crise environnementale et développement durable".

Très applaudi, le maire travailliste de Londres a donné le ton des débats dès l'ouverture du Fse, en déclarant: "J'espère que nous sommes dans les derniers jours de l'administration Bush".

Le vendredi, une foule se bousculait pour assister à un séminaire intitulé "l'Europe est-elle une alternative à l'empire américain?". Les commentaires sur l'impérialisme US furent nombreux : "Aujourd'hui, les Etats-Unis sont militairement plus puissants que n'importe quel autre pays. Ils utilisent cette suprématie pour imposer leur hégémonie", "Notre priorité, c'est la défaite du projet d'hégémonie américaine", regrettant la division entre la Grande-Bretagne et le couple franco-allemand à propos de l'Irak faisant les affaires des Usa.

Samedi, les débats étaient consacrés aux relations avec les syndicats et aux musulmans en Europe.

Sur le thème des "syndicats et des droits des travailleurs à l'ère de la mondialisation". Le constat a souvent été fait pour la défense des droits des travailleurs et des femmes et sur le regret que les syndicats de l'Ue "restent trop enfermés sur leur horizon national".

Sur l'Islam, les orateurs accusèrent la France de racisme et d'islamophobie, à travers sa loi interdisant le port des signes religieux à l'école. Sujet conflictuel car beaucoup regrettèrent qu'aucune contradiction ne fût possible, et polémique autour du le droit de la femme à choisir le voile islamique. Plus loin, lors d'un séminaire consacré à la Palestine, la politique américaine était à nouveau mise en cause pour son soutien inconditionnel à Israël.

Le traité constitutionnel dont se sont dotés les 25 pays de l'Union Européenne le 18 juin, fut aussi un sujet phare de mobilisation. Les divers mouvements sociaux estiment qu'il "constitutionnalise le libéralisme comme doctrine officielle de l'Ue (...), maintient le social dans le statut de pièce rapportée d'une construction européenne fondée sur le marché".

Enfin, sur un stand d'une association défendant l'environnement, on apercevait une pancarte à l'effigie de Bush sur laquelle on pouvait lire: "Wanted" pour "crimes contre la planète et tentative d'assassinat du Traité de Kyoto".

Dimanche matin, les mouvement sociaux réunis en Assemblée - seule instance habilitée à discuter de la suite à donner au mouvement et à produire une déclaration - se sont mis d'accord sur un "texte d'appel": feuille de route proposée aux militants du mouvement altermondialiste : "Nous nous battons pour une Europe qui refuse la guerre, nous demandons l'arrêt immédiat des bombardements en Irak et la restitution immédiate de la souveraineté au peuple irakien".

Sur l'Europe, le texte appelle à une journée de mobilisation dans tous les pays européens le 19 mars 2005, avec une grande manifestation à Bruxelles "contre la guerre, le racisme et l'Europe néo-libérale, pour une Europe des droits et de solidarité entre les peuples". Cette mobilisation interviendra trois jours avant un sommet des dirigeants de l'Union européenne à Bruxelles les 22 et 23 mars consacré notamment au bilan, à mi-parcours, du "processus de Lisbonne". (nb : lors du sommet de Lisbonne en 2000, les dirigeants de l'Ue s'étaient accordés pour soutenir croissance économique par la flexibilisation de la main d'œuvre ; la réduction des dépenses publiques et l'accélération des privatisations.)

Les mouvements sociaux qui demandent aussi de mettre fin à l'occupation israélienne, aux massacres en Tchètchénie et aux conflits sur le continent africain.

Enfin en début d'après-midi, 75.000 personnes selon les organisateurs (20.000 selon la police !) se sont rassemblées pour marcher sur Trafalgar Square en milieu d'après-midi. Le défilé s'est déroulé sans incident et dans une ambiance festive hormis de rares accrochages à la fin de la manifestation.

Cette marche représentait le point culminant du FSE et de ses trois jours de débats, séminaires et discours qui avaient donc réuni altermondialistes, anti-racistes, syndicalistes, pacifistes...

Un forum qui a notamment servi de tribune à ceux qui dénoncent la politique en Irak du président sortant G.W. Bush et de son allié, le 1er ministre britannique T. Blair.

Tout en déambulant à travers les manifestants, venus pour la plupart de pays européens, on entendait des slogans tels "Bush dehors, ne votez pas pour Bush !", "Blair doit partir". Une jeune Londonienne expliquait que ce n'était pas dirigé contre le peuple américain mais contre la politique de son président. Elle ajoutait son souhait de mettre fin à l'occupation de l'Irak, au retrait des troupes se retirent et concluait : "Nous ne faisons qu'aggraver la situation et nous tuons beaucoup, beaucoup d'Irakiens".

Formant une délégation importante, des Italiens criaient "Berlusconi Terrorista" et des Espagnols chantaient "Hasta la victoria siempre". On scandait puissamment aussi " non au privatisation, pour une Europe de la paix et de la justice sociale".

Et enfin des filles voilées d'associations musulmanes britanniques dénonçaient la politique israélienne dans les Territoires palestiniens et la construction par l'Etat hébreu d'un "mur" de séparation en Cisjordanie : "liberté pour les Palestiniens", "Sharon assassin". Les milliers de manifestants avaient reçu le soutien retentissant du frère de l'ingénieur Ken Bigley, l'otage britannique décapité en Irak par ses ravisseurs : "Plus il y aura de gens pour élever la voix, plus nous serons en sécurité".

La journée se clôtura avec un grand concert.

Selon les organisateurs, le Fse fut "un grand succès" et se sont réjoui de la "qualité des débats".

Outre le "texte d'appel" : ils ont proposé un calendrier général de mobilisation pour les mois qui viennent, avec notamment un appel à "mobilisation massive à l'occasion de la tenue du sommet du G8 en Ecosse en juillet 2005". Ils ont donné enfin rendez-vous au prochain Fse, qui se tiendra à Athènes, vraisemblablement au printemps 2006. Le prochain Forum Social Mondial aura pour sa part lieu à Porto Alegre (Brésil) fin janvier 2005.

Notons qu'un forum "off", baptisé "au-delà du Fse", fut organisé par des organisations comme les "No Vox" ("sans voix", sans travail, sans papiers, sans logement) et des mouvements libertaires.

"Le Fse se doit d'être "un lieu d'action et non pas seulement un lieu de discussions, nous sommes un pied dedans, un pied dehors. Nous participons au processus, mais nous ne voulons pas en être les otages", ajoutent-t-elles, soulignant que ce Fse fit trop peu de place à des sujets comme le chômage ou la constitution européenne.

Par ailleurs, certaines voix se sont élevées revendiquant que ce Forum à Londres n'est pas la réalité. On ne voit pas de chômeurs, ni d'immigrés. Préinscrit, l'entrée au Fse coûtait 30 _ pour un chômeur et 40 euros (30 £) pour un travailleur, sur place 10 _ en plus. Au Fsede Paris, l'inscription s'élevait de 3 à 50 _ en fonction du revenu.

De plus, comme l'a déclaré A. Schweltzner, représentant du mouvement national de la lutte pour le logement au Brésil, "Il n'aurait jamais dû avoir lieu à Londres, car tout est trop cher, c'est dommage !", tout en ajoutant "On ne peut pas être contre la guerre seulement, il faut aussi parler du modèle économique qui régit le monde" et en plaidant pour un forum "plus démocratique".

Enfin des "artistes activistes" et autres rebelles rappelaient leur volonté de faire de la politique en étant "irrationnel", pour préserver l'utopie et donner de l'espoir.

Petit note discordante révélatrice sur ce Forum Social. Après les réussites de Florence en 2002 et de Paris-Saint-Denis en 2003, le rassemblement de Londres ne déclenche plus qu'un enthousiasme mesuré et démontre qu'après un développement spectaculaire, la mouvance altermondialiste marque actuellement une pause. Comme l'explique certains représentants d'Attac, il convient de s'interroger sur l'orientation à donner aux forums sociaux même si des idées et initiatives commencent à prendre corps, avec la signature d'une centaine de chefs d'État en faveur de la création de taxes internationales pour lutter contre la faim, ou le mouvement des villes françaises se déclarant "hors Agcs" et "hors Ogm" (aujourd'hui au nombre de 540 soit près de 15 millions d'habitants). Rien n'a pu cependant empêcher la guerre en Irak, l'Europe affirmant résolument son modèle libéral et la France est en pleine contre-réforme sociale.

Ce qu'il nous manque le plus actuellement, nous altermondialistes, est une réelle alternative construite à ce qu'il dénonce et de stratégie pour lutter contre la mondialisation libérale. A travers nos cris, des propositions ont aussi jailli telles une taxe sur chaque transaction financière, l'abolition de la dette des pays du Sud et la réduction des dépenses en armements mais nous devons aller plus loin - nous battre, lutter, réunir et proposer plus encore !

Nous devons commencer au quotidien en marquant notre refus intransigeant au Traité Constitutionnel et porter haut et fort ce NON le 19 mars prochain aux oreilles de tous nos confrères européens à Bruxelles.

Jean Damien

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