Zones à faibles émissions (ZFE) Une colère qui monte
La mise en place concrète des ZFE dans les grandes métropoles du pays génère une colère et une contestation de plus en plus grandes. Ce qui pouvait apparaître comme une mesure positive se révèle en fait être une potentielle « bombe sociale ».
Une ZFE est une Zone urbaine à faibles émissions, dont l’accès est réservé aux véhicules les moins polluants. Leur instauration est obligatoire pour les agglomérations de plus de 150 000 habitants où les valeurs limites de qualité de l’air sont dépassées. Elles sont destinées à améliorer la qualité de l’air (particules fines surtout) et protéger la santé des habitants. Des zones à faibles émissions ont déjà été mises en place dans onze agglomérations (Grenoble, Lyon, Rouen, Reims, Nice, Toulouse, Saint-Étienne, Marseille, Montpellier, Strasbourg). Une trentaine d’autres situées en métropole de plus de 150 000 habitants doivent s’y ajouter d’ici à 2025.
La pollution de l’air est la 3e cause de mortalité prématurée dans notre pays, avec au moins 48 000 décès par an, et des maladies graves chez les enfants. Elle touche particulièrement les plus pauvres, notamment les populations vivant à proximité des axes routiers de nos villes. Répondre à ce problème majeur est donc une responsabilité politique réelle, mais la manière dont les ZFE se concrétisent suscite de plus en plus d’oppositions.
La « méthode ZFE » en question
Premier problème : le classement des véhicules pour donner le droit à circuler s’appuie sur la vignette Crit’Air basée sur l’année de construction du véhicule, sans prendre en compte la cylindrée, le poids ou le malus écologique. Les gros SUV et les grosses berlines pourront continuer à rouler tranquillement… Si la question des mobilités est une question collective essentielle de la bifurcation écologique, avec des mesures comme la ZFE, on prétend que c’est un problème individuel et que c’est donc aux individus de le résoudre! La manière dont les ZFE se mettent en place montre que l’on poursuit dans la logique du tout voiture individuelle, avec la volonté de remplacer le thermique par l’électrique. « On incite les gens à changer de voiture plutôt qu’à moins les utiliser, je n’appelle pas ça de l’écologie », disait une personne interviewée par Médiacités.
Par ailleurs, ce sont les personnes les plus pauvres qui ont les véhicules les plus anciens : en 2019, 38 % des ménages les plus pauvres avaient un véhicule classé Crit’Air 4 ou 5, contre 10 % des ménages les plus riches. Ainsi, la ZFE aboutit à limiter le droit à la mobilité des personnes qui en ont le plus besoin, en les confrontant à des dépenses quasi impossibles à assumer, et sans leur offrir de vraie solution, les aides n’étant pas à la hauteur ! Celles-ci sont d’ailleurs multiples et il n’y a pas de guichet unique. C’est un véritable casse-tête pour les obtenir.
Mais l’un des problèmes majeurs reste l’absence d’alternatives réelles à l’usage de la voiture pour certaines populations, et les retards accumulés concernant les transports collectifs.
Des mobilisations qui s’organisent
À Marseille, comme à Toulouse ou encore Montpellier, collectifs de citoyens et élus se mobilisent pour demander des moratoires ou la suspension de la mise en place des ZFE vécues d’abord comme inégalitaires, socialement injustes, laissant à la charge de chacune et de chacun l’essentiel du problème du transport et de son coût, favorisant un marché de l’automobile électrique hors de prix.
Quelle politique cohérente ?
Sur les moyen et long termes comme à brève échéance, les réponses à la pollution de l’air ne peuvent être pensées sans articulation avec celles liées à la crise sociale et climatique. On ne peut plus concevoir le développement des territoires avec une métropolisation galopante et des déserts ruraux, qui obligent à des déplacements massifs. Il faut repenser la ville et son urbanisation, ses liens avec les autres territoires, relocaliser des activités et des services publics dans les villes moyennes et dans le rural, construire un maillage territorial d’activités, de relations économiques mais aussi sociales, culturelles, agricoles… et de modes de transports diversifiés. Il est indispensable d’adosser la bifurcation écologique à un développement massif et cohérent des transports en commun et des mobilités « actives ». L’accélération et la densification des plans vélos sont notamment indispensables.
Une politique crédible et socialement acceptable demande tout d’abord de réduire au minimum le recours à la voiture individuelle en développant fortement les transports en commun. Dans l’immédiat, il faut mettre en place des tarifications sociales adaptées et des gratuités, mais aussi densifier et améliorer les réseaux. Il faut également développer, en lien avec les collectivités, l’État et la SNCF, des réseaux de RER métropolitains. L’État a annoncé vouloir investir 100 milliards d’euros pour le ferroviaire, dont une partie à cette fin dans les agglomérations engorgées de l’Hexagone (*). On pourra donc juger sur pièce. À quand, par ailleurs, la mise en place d’une autorité des transports associant État, Métropoles, Conseils départementaux, Conseil régional et la SNCF, à l’image de ce qui s’est fait dans le Grand Paris ?
Cet article de notre camarde Christian Bélinguier a été publié dans le numéro 303 (mars 23) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
(*) Cela ne signifierait pas que l’État investirait 100 Mds€ à destination du ferroviaire, car d’autres financeurs devraient être mis à contribution : Union Européenne, SNCF Réseau, Société du Grand Paris, collectivités, nouvelles sociétés de financement...