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Victoire de Lula au Brésil : et maintenant ?

Lula est sorti victorieux de son duel face au sinistre président de l’agrobusiness, de l’armée et des évangélistes. Mais, vu l’arc de forces qui a permis sa réélection et face aux réelles capacités de nuisance du « bolsonarisme », les difficultés ne font que commencer pour le nouveau président

En septembre, les sondages, unanimes, plaçaient invariablement l’ancien leader syndical loin devant le président sortant. La seule incertitude portait sur l’ampleur du triomphe du candidat pétiste : victoire haut la main dès le 1er tour ou large succès au second ? On le sait, la réalité fut tout autre.

Le danger des droites radicalisées

Au soir du 1er tour, Lula plafonnait en-dessous de 48,5 % et, surtout, Bolsonaro dépassait largement les 43 %, ce qu’aucune étude d’opinion n’avait vu venir. Cette « résilience » de la droite extrême brésilienne, après le fiasco de la gestion pandémique et plus généralement à l’issue d’un mandat calamiteux à tout point de vue, interroge. Après Trump, Bolsonaro prouve que les droites radicalisées, attaquant les secteurs « progressistes » de la bourgeoisie pour mieux assurer la domination de cette dernière en tant que classe, font florès sur fond de crise systémique du capitalisme.

Pour une partie de la petite bourgeoisie, mais aussi – hélas ! – des nôtres, le sentiment que tout va de mal en pis, au lieu de se muer en légitime colère contre les véritables responsables des difficultés socio-économiques, est dévié, en raison du poids de l’idéologie dominante, mais aussi des errements de la gauche, vers divers boucs-émissaires : étrangers, « bobos des centres-villes », écolos, syndicalistes, militantes et militants féministes… C’est sur ce type de discours intolérants et mensongers que se fonde la force électorale des droites radicalisées.

En raison des pesanteurs historiques, ainsi que des reculs successifs de la gauche dans ce qu’on appelle parfois la bataille culturelle, le discours anti-étatique de la droite latino-américaine est devenu audible pour une partie non-négligeable de la population qui (sur)vit entre secteur informel et « auto-entrepreneuriat » de misère. Comme le note Pablo Stefanoni dans un récent article publié en français dans la revue Contretemps, les attentes économiques de ces secteurs peuvent en venir à « coïncider avec des discours contre l’“assistanat”, en faveur du port d’armes ou du rejet de l’impôt ».

Une « vraie » victoire tout de même

La campagne menée par la droite et l’extrême droite chiliennes contre le projet de Constitution rédigée par la gauche l’a prouvé tout début septembre : les populistes et les obscurantistes sont prêts à manier insultes et fake news de manière tout aussi vicieuse qu’efficace pour arriver à leurs fins.

C’est pour cette raison qu’il convient d’inverser le discours médiatique dominant sur la victoire de Lula. Il n’a pas fait « que » 50,9 %. Il ne l’a pas emporté « d’un cheveu ». Il a en réalité réussi, grâce aux centaines de milliers de militants de gauche qui l’ont soutenu et aux millions de salariés qui ont voté pour lui, à battre l’appareil d’État qui s’était dressé dans son entier contre son retour : la caste militaro-bureaucratique, les mafias qui infestent les couloirs du pouvoir central, les Églises les plus réactionnaires, les médias de caniveaux, les administrations provinciales corrompues, ainsi que les magnats de l’agrobusiness.

Quoi qu’on pense du programme et du discours « au-dessus des classes » de Lula dans cette campagne, c’est bien ce Brésil qui a été défait, malgré les millions de reais versés à Bolsonaro par ses donneurs d’ordre, malgré les mensonges véhiculés sans vergogne par les pires tabloïds et les barrages montés en toute hâte par la police routière à proximité de certains bureaux de vote pour dissuader l’électorat populaire de participer au scrutin.

Normalité ou nouvelle conflictualité ?

Le 1er novembre, après 48h de silence assourdissant et alors que les blocages de routes par ses partisans faisaient redouter une remise en cause des résultats du vote, Bolsonaro a finalement annoncé son intention de « respecter la Constitution ». Après avoir concédé à demi-mots sa défaite, il a déclaré que les manifestations en sa faveur devaient « être pacifiques » tout en veillant bien à les justifier en tant que fruits « d’un sentiment d’indignation et d’injustice » légitime. Même s’il a lieu dans la douleur, le retour à la normale tant attendu semble donc se profiler à l’horizon.

Car il ne faut pas se payer de mots. Toujours selon Pablo Stefanoni, Lula représente aujourd’hui « davantage un retour à la normalité qu’un projet de changement profond ». Les tenants « progressistes » de l’oligarchie ont en effet été des zélateurs du vote Lula presque aussi enthousiastes que les organisations syndicales ou que le petit peuple du Nordeste. La coalition large et interclassiste nécessaire à la victoire contre Bolsonaro doit laisser la place au combat politique qui ne s’exprime pas tant en termes moraux qu’en confrontation de projets de société. Les « supporters » de Lula issus du petit peuple comme du salariat organisé doivent comprendre qu’ils n’obtiendront que ce qu’ils arracheront par la lutte. Aux forces de la gauche brésilienne de le leur apprendre au plus vite.

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