GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Un mouvement qui appelle des réponses politiques

La contre-réforme des retraites a redonné une place centrale au mouvement social. Depuis janvier une nouvelle situation est ouverte. Elle appelle des réponses précises sur la question de l’articulation entre mobilisation sociale et débouché politique, entre syndicats et partis.

Il convient tout d’abord de préciser les relations partis-syndicats. Lorsque des millions de salariés, de jeunes, de retraités sont en grève et/ou manifestent dans la rue à l’appel d’un mouvement syndical uni sur le rejet du projet gouvernemental, la première des tâches est d’apporter son soutien, d’additionner action politique et action syndicale. C’est ce qu’a fait la NUPES avec l’ensemble de ses composantes. Les tentatives de division engagées par la macronie et ses zélateurs s’expliquent largement par cette réalité.

Il faut néanmoins apporter des précisions car des incompréhensions et quelques tensions se sont fait jour. Les minimiser n’interdit pas d’en débattre. Pas de subordination ! C’est la plus simple et la meilleure des formules, car elle permet de respecter l’indépendance de chaque force politique, syndicale et associative. Dès lors que la tentation de la subordination, de l’hégémonie, se fait jour, le risque de nourrir des désaccords apparaît. Il ne peut y avoir de subordination du syndicalisme à la sphère politique ou l’inverse. Il doit y avoir débat, échange sur la place de l’un et de l’autre, sur le rôle de chacun.

Droit à la retraite à 60 ans

Soutenir la mobilisation contre le report de l’âge de départ en retraite et y participer activement n’empêchent nullement de formuler des propositions. Le rôle de la NUPES, c’est précisément de dessiner les contours d’un débouché politique. Non pas en renvoyant à de futures échéances électorales, au risque de sombrer dans l’électoralisme le plus démobilisateur, mais en formulant des arguments précis crédibilisant les solutions alternatives.

De ce point de vue, le droit à une retraite sans décote dès 60 ans doit faire l’objet d’une campagne unitaire et militante, car cet objectif correspond au débouché politique du mouvement social en cours. Cette revendication centrale a été acté dans les 650 propositions de la NUPES. Pourtant, des tentatives de remise en cause se font jour. Une partie significative, quoique minoritaire, du Parti socialiste discute par exemple ouvertement le bien-fondé de ce mot d’ordre. Raison de plus pour l’affirmer haut et fort et de mener campagne, toutes et tous ensemble, pour affirmer que le droit à 60 ans, c’est bien cela, le projet de la gauche !

Il suppose de traiter de concert les questions d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, d’augmentation des salaires, de Sécurité sociale. Mettre le social au cœur du projet politique alternatif ne signifie pas délaisser les autres questions tout aussi urgentes sur l’eau, la transition écologique, les violences faites aux femmes, la VIe République, etc. Il s’agit de prendre le contre-pied de toutes les politiques néo-libérales qui ont mis à mal le contrat social issu du Conseil national de la résistance et des combats qui ont suivi.

Les cotisations sociales, c’est l’avenir !

De ce point de vue, la question des cotisations sociales est capitale. Elle oppose une perspective basée sur la satisfaction des besoins à toutes les politiques de maximisation des profits. Il faut certes taxer les super-profits, avoir un impôt progressif, faire en sorte que le capital soit imposé à une juste hauteur (et notamment pour les grandes entreprises). C’est impératif afin de pouvoir, à partir du budget de l’État, développer les infrastructures nécessaires, les hôpitaux, les établissements scolaires, revenir au tarif réglementé du gaz et de l’électricité…

Mais les cotisations sociales – et l’augmentation de la part patronale – sont essentielles. Elles sont prélevées en amont de la répartition de la seule valeur ajoutée (ou des bénéfices bruts avant impôt). Elles dessinent un autre type de société, basé sur la satisfaction des besoins humains. C’est bien pourquoi les cotisations sociales alimentent des budgets distincts de ceux de l’État. Et parce qu’ils sont issus du travail, il est juste que ces budgets soient gérés par les salariés eux-mêmes.

Rien ne justifie que budgets sociaux et budget de l’État soient additionnés pour faire ressortir des déficits qui ne sont pas de même nature.

Camp contre camp

Les droites, toutes les droites, veulent toujours plus d’exonérations de cotisations sociales, la gauche doit promouvoir, à l’inverse, le recours accru à ces dernières C’est bien ce débat que doivent promouvoir, en grand, les forces de gauche, pour qu’apparaisse nettement, à une échelle de masse, le choix entre deux types de société. Celui mis en avant, à quelques nuances près, par toutes les droites, du RN à la macronie, en passant par LR, contre les cotisations sociales, pour leur exonération…, et celui porté historiquement par la gauche basé sur la solidarité, un autre partage des richesses et la mise en commun socialisée des recettes à affecter à la protection sociale, au logement et demain à des sphères plus importantes de notre vie en société.

Ces petits rappels ne résument pas ce que doit être une politique de gauche dans sa globalité mais l’illustrent, donnent un sens à l’alternative politique que nous appelons de nos vœux au plus vite.

Mener ce combat des cotisations sociales, c’est combattre au mieux le RN qui cherche à se présenter comme le débouché politique, comme le meilleur défenseur des salariés et de leur retraite, alors que ses propositions ne feraient qu’aggraver la perte de recettes de la Sécurité sociale.

L’acte II de la NUPES

Face au RN et à l’union des droites, la NUPES doit incarner l’alternative majoritaire. La campagne « retraites » menée dans tout le pays par la cette dernière avec un grand nombre de réunions publiques est le socle pour construire un mouvement plus vaste encore, fait de collectifs ouverts dans tout le pays. Pour reprendre la formule qui fait florès en ce moment sur la nécessité d’un acte II de la NUPES, disons tout simplement que les bases sont posées. Qu’il s’agit désormais d’élargir, de consolider et de bâtir pour gagner les étapes à venir tant sur le terrain social que sur le terrain politique.

La gauche est traversée de débats. Ce n’est pas nouveau. La constitution de la NUPES a été un moment de rassemblement, mais il reste du travail pour unifier autour d’un programme de rupture largement partagé.

LFI a, sons contestation possible, permis la constitution de la NUPES. En dix ans, ce mouvement et ses dirigeants ont su gagner une place essentielle aux élections présidentielles successives, gagner des forces militantes, entraîner une partie de la jeunesse. Depuis sa constitution, ce mouvement – dit « gazeux » – a su trouver une place dans l’espace politique. D’abord sur la base d’une orientation d’inspiration « populiste », puis en s’ancrant davantage dans le champ de la gauche et en établissant un programme qui répond aux principaux enjeux de la période. Mais le refus de transformer ce mouvement en outil politique à tous les niveaux en constitue la limite fondamentale. Dans les élections intermédiaires, LFI n’a pas su s’imposer et se construire comme une force locale, départementale, voire régionale, incontournable. C’est ce qui provoque des contradictions fortes en son sein, du désamour et aussi des prises de distance. En dépit de velléités de structuration datant de décembre 2022, le fonctionnement reste très autocentré sur un noyau dirigeant coopté, au point même de provoquer une crise sur la question de la démocratie ces dernières semaines. Le fonctionnement verrouillé, les finances centralisées n’aident pas au développement dynamique de cette force nouvelle. Saura-t-elle dépasser cette situation ou, à l’inverse, connaître les mêmes déconvenues que Podemos en Espagne ? La question reste ouverte. Là encore, l’acte II de la NUPES peut constituer un moment d’interrogation forte de ce mouvement.

La NUPES au cœur des enjeux

Éclatée, morcelée par une histoire chaotique depuis au moins vingt ans, et surtout depuis le quinquennat maudit Hollande-Valls, la gauche n’a pourtant jamais été aussi nécessaire qu’aujourd’hui, notamment face au dérèglement climatique et à la tout aussi insoutenable montée des inégalités sociales. Pour que notre camp redevienne le débouché politique naturel des luttes qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, des regroupements sont nécessaires.

Pourquoi des forces qui travaillaient ensemble au sein du Parti socialiste pour le Non socialiste au TCE en 2005 ou encore plus près de nous contre la loi (anti-)Travail et contre la politique dite « de l’offre » ne se rassemblent-elles pas ? Pourquoi les départs massifs d’adhérents du PS, et dans une moinder mesure du PCF, de Génération.s et d’EELV ne donnent-ils pas lieu à rassemblement ? Pourquoi les mouvements citoyens ne débouchent-ils pas sur de nouvelles formes d’engagement politique et de construction de nouveaux outils ? Pourquoi les intellectuels et les chercheurs se mobilisent-ils moins dans le champ directement politique ?

Il faut travailler à ces questions, revenir aux causes du morcellement de la gauche politique, culturelle et intellectuelle. Dépasser les causes de divisions anciennes comme celles nées depuis la fin du XXe siècle est indispensable. Dépasser la situation de morcellement est possible en fixant la perspective de construction d’un nouvel outil politique. Le chemin peut paraître long, des raccourcis peuvent être certes tentant ; mais il n’y a guère d’autre choix que de fixer l’objectif d’une représentation politique du salariat et de la jeunesse. Une représentation pluraliste et démocratique qui tire les leçons des crises du stalinisme et de la social-démocratie. Une représentation qui prenne à bras le corps les défis de notre temps, à commencer par le défi climatique. L’acte II de la NUPES peut constituer une étape cruciale en ce sens. Et frayer la voie à la construction d’une Maison commune de toute la gauche et de l’écologie avec une vocation majoritaire.

Recompositions nécessaires

Dans cette perspective, des recompositions sont possibles – fussent-elles partielles – si la volonté politique est là. C’est ce que nous proposons depuis des années. Comité de liaison, fédération des gauches unitaires, fusion de forces au sein d’un même parti… Depuis le premier mandat de Macron, nous avons multiplié les propositions. En 2023, il est plus que temps de prendre des initiatives, des initiatives qui rassemblent en lien avec la construction de la NUPES. Des initiatives qui aident à construire une liste commune aux européennes, puis des listes unitaires partout aux prochaines élections municipales. C’est maintenant que cela se joue, en tout cas avant que les appareils justifient, au nom de leurs différences ou encore de leur identité propre, d’aller séparément aux prochaines échéances électorales.

Et ces initiatives doivent aussi contribuer dès maintenant à combattre les politiques néo-libérales, liberticides, des différentes droites. Tout en aidant à construire des rapports de force favorables au plus grand nombre. Ne pas voir que la dispersion des forces constitue une difficulté supplémentaire aux mobilisations, c’est manquer de clairvoyance !

Bien entendu, une recomposition politique doit tenir compte du pluralisme existant à gauche. Tout regroupement doit respecter les histoires et particularités de chacune des forces existantes. C’est une condition sine qua non au rassemblement : pluralisme et démocratie, loin des ornières du centralisme bureaucratique ou des inclinaisons au bonapartisme.

Faisons le pari que les déclarations des uns et des autres sur la nécessité de leur propre dépassement ou sur la nécessité d’une force nouvelle, ou encore sur la nécessité de fonctionnements démocratiques, convergent pour jeter les bases d’une gauche démocratique, unitaire, écologiste et sociale dotée d’un projet de rupture. C’est urgent, et tel est l’enjeu des prochains mois. Cela dépend tout autant des organisations, courants, responsables qui adoptent les déclarations ci-dessus que des milliers de militants sans parti qui aspirent à changer la donne et qu’on retrouve aujourd’hui dans les rues.

Cet article de notre camarade Jean-Claude Branchereau est à retrouver dans le numéro 303 (mars 2023) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale.

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