Un monde en faillite ?
MOMENT impressionniste. En novembre
2007, en plein mouvement contre la
LRU et les réformes du secondaire, Luc Ferry
stigmatise sur LCI le « rejet du réel » dont fait
preuve la jeunesse, « comme si le monde de
l’entreprise, c’était le diable »
. Un an plustard, le même Ferry vilipende cette fois les
entreprises qui sont devenues entre temps
« des lieux d’exploitation de l’homme par
l’homme »
. Et l’ancien ministre de l’ÉducationNationale de conclure de la sorte : les
« capitalistes [...] doivent comprendre ça, sinon,
ils vont se faire bouffer »
. Les adorateurs dulibéralisme quittant le navire en train de
couler, c’est sans nul doute un sport qui va
devenir très à la mode par le temps qui
courent... Car les lézardes qui fissurent le
monde libéral deviennent des fossés, dans
tous les pays que l’on érigeait encore il y a
peu au rang de paradis pour actionnaires.
L’Islande était une de ces merveilles pour
libéraux : une économie totalement dérégulée,
des fonds de pensions infiniment plus
puissants que la banque centrale, des
investissements directs à l’étranger en veux-tu,
en voilà... Un rapport du Sénat de 2007
prouve l’admiration à peine voilée que
suscitait dans la droite française ce modèle
ultra-libéral : « c’est à partir de 1991 que
l’Islande opère une véritable transition
économique, passant d’un système d’État-providence
à une économie libérale. [...] De
1994 à 2002, l’économie islandaise est
marquée par la libéralisation, la privatisation
des services – en particulier des banques – et
l’ouverture de l’économie et des marchés
financiers »
. Nos clairvoyants sénateursosaient parler d’une « situation économique
solide »
qui « apparaît comme l’une des plusflorissantes du paysage économique mondial
actuel ».
Un an plus tard, l’Islande est aubord du gouffre : la couronne a perdu 50 %
de sa valeur, les prix ont augmenté de 15 %
et la dette nationale est abyssale (près de 8
fois le PNB de l’île). En deux mots, la bulle
financière islandaise a explosé et le pays, au
bord de la banqueroute, en paie les frais. La
réaction ne traîne pas. Fin septembre, la
banque Glitnir voit 75 % de ses actions
rachetées par l’État islandais. La semaine
suivante, ce dernier prend le contrôle de
Landsbanki, la deuxième banque du pays,
puis de la principale institution financière, la
Kaupthing Bank. Selon le Premier ministre,
« nous étions confrontés à un risque réel de
voir l’économie nationale emportée dans la
tourmente bancaire internationale et de finir
par une faillite nationale, la législation était
nécessaire pour éviter une telle issue ». Pour
autant, les observateurs s’accordent à dire
que le PIB de l’Islande va connaître une
chute de plus de 10 %. Depuis octobre 2008,
les vagues de licenciements se succèdent et
les manifestations se multiplient pour
demander des comptes, ainsi que des
élections anticipées. Certains rassemblements
ont même pu dégénérer et susciter les
premiers heurts avec la police depuis 60 ans.
Comme quoi, la Roche tarpéienne du chaos
social est proche du Capitole des libéraux...
Et que dire de l’Espagne qui connaît une
« croissance négative » au 4e trimestre 2008 ?
La croissance espagnole, qui s’appuyait sur
le boom de la construction et sur
l’augmentation des prix immobiliers, s’est
effondrée sous les coups combinés de
l’endettement des ménages et de la crise des
subprimes. Alan Greenspan, l’ancien chef de
la Federal Reserve a d’ailleurs affirmé dans
El Pais, que « la bulle de l’immobilier en
Espagne a été plus importante que dans la
plupart des autres pays européens et de plus
grande ampleur qu’aux États-Unis et qu’en ce
sens, l’économie espagnole est plus
vulnérable à la crise que l’Amérique »
. Quedire du Royaume-Uni qui s’interroge sur la
pérennité de sa monnaie ? Que dire de la
Hongrie qui vit sous perfusion financière de
l’Union Européenne depuis plusieurs mois ?
Que dire de l’Allemagne et de ses 4 % de
récession ?
Il n’y a qu’une chose à dire. Si plupart des
états libéraux ne s’effondrent pas totalement,
ce n’est qu’en raison des « semences de
socialisme »
qui survivent en leur sein,héritage des acquis démocratiques et sociaux
obtenus à la Libération. Si la France se porte
moins mal que les autres, c’est grâce au
système de retraite par répartition, aux
allocs, à la sécurité sociale, à l’existence
d’une fonction publique importante... Il est
plus que temps de tirer les leçons politiques
de cette évidence.
Jean-François Claudon (75)