GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Libertés

Sécurité, répression, offensive réactionnaire tous azimuts

Depuis le remaniement de l’été, Macron fait le choix d’accélérer son virage droitier, en matraquant sur l’islamophobie et la sécurité. Objectif politique : séduire l’électorat de la droite traditionnelle dans la dernière ligne droite avant 2022. La gauche, malheureusement, n’est pas à la hauteur.

Deux ministres occupent le devant de la scène depuis cet été : Gérald Darmanin et Jean-Michel Blanquer. Ils poursuivent une ligne à droite toute sur les questions de sécurité et des libertés. S’ils sont mis en avant, c’est à dessein : Macron veut donner des gages sécuritaires à l’électorat de droite traditionnelle dont il a déjà séduit une partie avec sa politique économique.

Grossière manœuvre

L’objectif de la manœuvre est triple. Élargir son électorat potentiel en vue de 2022 tout en coupant l’herbe sous les pieds de LR pour achever de les affaiblir. Ensuite, occuper l’agenda médiatique sur des sujets où la gauche est incapable de mener la bataille, non seulement parce qu’elle est divisée mais aussi parce qu’elle n’a pas les idées claires. Enfin, repasser à l’offensive contre le mouvement antiraciste et les succès que celui-ci a engrangés, en novembre 2019 avec la grande manifestation nationale contre l’islamophobie, puis en juin 2020 avec les manifestations de masse contre les violences policières et le racisme dans la police.

C’est dans ce contexte que les assassinats de Conflans et de Nice commis par deux jeunes musulmans ont fourni à l’exécutif un prétexte en or. La réprobation horrifiée qu’ont suscitée ces crimes ont créé une brèche dans laquelle le gouvernement s’est engouffré. Le ton général a été à l’intimidation de toute voix dissonante et à l’inculpation de tous les adversaires de l’islamophobie ambiante et d’État.

Lois liberticides

L’offensive réactionnaire était déjà dans les tuyaux, sous une forme législative bien néfaste. Le discours de Macron de septembre dernier sur les « séparatismes » avait donné le la. Des lois liberticides étaient en préparation sous prétexte de lutte contre l’« islamisme radical », en réalité en surfant sur l’islamophobie ambiante qui permet à tout dirigeant politique de droite de passionner les foules dans les meetings aussi bien du Rassemblement national que de LR.

D’abord, la loi Sécurité globale : elle instaure une vidéosurveillance généralisée des manifestations par drones et le recours aux technologies de reconnaissance faciale (ce qui pose un léger problème en matière de protection des données privées), introduit un délit sévèrement sanctionné pour diffusion malveillante d’images de policiers (le désormais célèbre et détesté article 24), transfère à la police municipale des compétences de police judiciaire et autorise les policiers à porter leur arme de service dans des lieux publics en dehors de leurs heures de service. L’avis de la Commission nationale consultative des Droits de l’homme est sans appel : la loi « ouvre des perspectives de surveillance sans précédent, particulièrement menaçantes pour l’exercice des droits et libertés fondamentaux »1.

Viens ensuite la loi « confortant les principes républicains » (sur laquelle on reviendra spécifiquement dans le numéro suivant de la revue). Cette loi s’inspire d’une vision liberticide de la laïcité, car elle entend créer un contrôle de l’exécutif sur la vie interne des cultes, en flagrante contradiction avec aussi bien l’esprit de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État et de celle de 1907 sur l’exercice public des cultes2. Le projet de loi étend l’obligation de neutralité qui s’applique aux agents de l’État à des personnes de droit privé assurant des « missions » de service public. Il octroie aux préfets le pouvoir de suspendre ou interdire les décisions des collectivités qu’ils estimeraient en « carence républicaine », et élargit les motifs de dissolution d’associations par le Conseil des ministres, accentuant les pouvoirs répressifs arbitraires de l’administration. Enfin, le projet de loi entendait dicter aux associations cultuelles la manière dont les ministres des cultes doivent être choisis, et autoriser l’État à intervenir dans la formation des imams.

Brefs, ces deux lois comportent des entorses graves aux grandes lois libérales de la IIIe République (dont celle sur la liberté de la presse de 1881, en plus des deux lois citées plus haut). Elles rétrécissent l’espace des libertés au profit de l’arbitraire administratif. Pas étonnant qu’elles suscitent toutes les deux l’opposition unanime des associations de défense des droits humains et des libertés fondamentales. Sans parler du fait qu’elles interviennent dans un contexte de banalisation de l’état d’urgence : depuis 2015, la France aura vécu plus longtemps dans ce régime d’exception que dans un régime de droit commun qui garantit l’État de droit…

Violences policières et répression

À ces lois sont venues s’ajouter les violences policières et le renforcement de la doctrine répressive du maintien de l’ordre. Le schéma national du maintien de l’ordre présenté par Darmanin en septembre consacre les tactiques déployées par le préfet Lallement ces dernières années dans les manifestations parisiennes. On en a eu un exemple avec l’évacuation violente du campement de migrants place de la République en novembre, lors duquel des élus ont même été nassés en toute impunité.

La vidéo du passage à tabac du producteur de musique Michel Zecler dans le 17e arrondissement de Paris a cristallisé les liens évidents entre l’article 24 de la loi Sécurité globale et l’impunité dont jouissent les policiers. Pire, ces policiers avaient mis en garde à vue Zecler après l’avoir tabassé et accusé par déposition de les avoir agressés – un cas grossier de faux en écriture publique (passible de 10 à 15 ans de prison…) qui souligne à quel point de nombreux policiers s’estiment au-dessus des lois et protégés par leur hiérarchie.

Islamophobie et police de la pensée

Si sur les deux cas précédents, la gauche a su tant bien que mal unir sa voix en opposition aux projets du gouvernement, voire mettre le gouvernement en difficulté (promesse de réécriture de l’article 24, Macron obligé d’intervenir publiquement contre les violences policières, voire de promettre – au grand dam de la plupart des syndicats de policiers – la création d’une plateforme nationale de signalement des contrôles au faciès), l’offensive spécifiquement islamophobe lancée par Darmanin et Blanquer après les assassinats du mois d’octobre a permis au gouvernement de rester sur ses deux jambes. Ces deux ministres ont même pu faire oublier les graves affaires dans lesquelles ils sont impliqués. Darmanin est en effet placé en témoin assisté par les juges d’instruction dans le dossier dans lequel il est accusé de viol3, tandis que Blanquer est suspecté d’avoir utilisé l’argent public pour monter un « syndicat » lycéen (Avenir Lycéen) pro-gouvernemental qui a dilapidé les fonds publics.

À l’initiative de Darmanin, le Conseil des ministres a dissous des associations musulmanes et antiracistes (BarakaCity et CCIF) et le ministère de l’intérieur a fermé la mosquée de Pantin, sans aucune accusation ni preuve d’infraction pénale de leur part. De même Darmanin a annoncé une vaste opération de perquisition administrative (sans l’autorisation d’un juge donc) de 76 lieux de cultes musulmans accusés de « séparatisme », un délit qui n’existe pas dans le code pénal.

Le gouvernement reproche au CCIF (une association de défense de droits humains dont le travail est reconnu à l’échelle internationale) de critiquer les politiques antiterroristes et d’accuser le gouvernement d’islamophobie. Comme le dit très bien la LDH, le gouvernement invente donc le « délit d’opinion » dont il s’érige en plus en juge. C’est gravissime.

Surtout que demain ces mesures pourraient concerner la gauche. Après l’assassinat de Conflans, un torrent d’accusations s’est abattu sur la France insoumise, qui porterait selon ses accusateurs une « responsabilité » dans cet assassinat. Blanquer a même accusé Mélenchon de « trahison » pour avoir participé à la marche contre l’islamophobie de novembre 2019, en même temps qu’il a ciblé les universitaires « islamo-gauchistes » dont les thèses convergeraient « avec les intérêts des islamistes »4.

Tout cela a débouché sur ce qu’il convient d’appeler un délit d’opinion académique dans la loi de programmation de la recherche, qui stipule désormais que les « libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République », valeurs définies juridiquement nulle part et donc ouvrant à l’arbitraire du pouvoir.

La gauche aux abonnés absents

Si la gauche a manifesté contre la loi Sécurité globale, elle s’est globalement tue contre l’offensive islamophobe de Darmanin. Seules les associations antiracistes de défense des droits humains et des libertés (LDH, Human Rights Watch, Amnesty International, European Network Against Racism, UJFP, Fondation Franz Fanon) et quelques insoumis (Coquerel, Obono) ont su la dénoncer. Bravo à eux. Pire encore, tout cela a fourni l’occasion à des accusations fratricides : Hidalgo enjoignant à EELV de « clarifier sa position sur la République », Olivier Faure qui charge Mélenchon dans les colonnes de Marianne sur la laïcité et ainsi de suite.

Au lieu de concentrer le tir contre les maillons faibles du gouvernement – Darmanin et Blanquer, dont il faut réclamer à cor et à cris les démissions –, la gauche lui donne une opportunité de se relancer. Alors que la presse internationale a critiqué le virage autoritaire de Macron, que l’affaire Zecler a créé une crise politique au sommet de l’État, qu’un vaste mouvement social de plusieurs centaines de milliers de manifestants a battu le pavé, la gauche n’en tire aucun profit politique, à cause de ses divisions et de son incapacité à adopter une position claire sur l’islamophobie.

Cet article de notre camarade Christakis Georgiou a été publié dans le numéro 280 (décembre 2020) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

(1)https://www.cncdh.fr/sites/default/files/a_-_2020_-_16_-_ppl_securite_globale_nov_2020.pdf?fbclid=IwAR0-QubFLimcyzOG-epWK7mAdRzbIhnj_tItQVuLrvC4PBAdRhPVb5-KOMU

(2) Sur ce dernier point, plus de détails dans Lou Syrah « Loi “séparatisme”: un piège pour tous les cultes », Mediapart, 4 décembre 2020.

(3) Il faut insister sur ce point. Le statut de témoin assisté comporte une certaine présomption de culpabilité : les juges placent des personnes dans ce statut lorsqu’ils ont des preuves pouvant faire croire à leur culpabilité. Or, il s’agit là du ministre de l’Intérieur, le chef ultime de la police judiciaire, chargée de mener les investigations dans les affaires d’infraction pénale. Comment peut-on faire confiance à la police pour enquêter en toute indépendance sur son propre chef ?

(4) Dans le Journal du Dimanche du 25 octobre.

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