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Fable de fin d'année : un Noël sans Amazon

Un Noël sans Amazon parce que pas de pognon. Parce que pas de folie. Parce que pas d’excès. Nous deux, les mioches. Et puis le paternel, qu’habite juste en face. Qui traversera la route. L’année 2020 qui finit. Qui finit pas bien. Qu’avait pas commencé simplement.

Les notes du grand qu’avaient sérieusement baissé et on s’était tous mis d’accord pour relever la barre. Puis le confinement, en mars et l’instit’ qu’avait dit de faire du mieux qu’on pouvait. Mieux, elle avait dit qu’on était de bons parents. J’en avais chialé comme si j’avais dix ans. J’avais rien dit, mais ça avait fait un bien fou. Alors, du mieux qu’on pouvait, on faisait les leçons. Du mieux qu’on pouvait, on faisait les courses. Du mieux qu’on pouvait, on cuisinait. Enfin, je cuisinais. Pour la première fois de ma vie, c’est moi qui m’occupais des fourneaux. Parce que tu ouvrais ta caisse chaque matin et que moi, j’avais été mis en chômage partiel. Parce que le secteur était pas essentiel. D’abord la santé. Pas de bol, on avait bien repris l’été, j’avais même fait des heures supp’. Et puis, ça avait pas suffi. Le licenciement d’abord. Le secteur était redevenu essentiel. Mais moi, je ne l’étais plus. Depuis, je traîne mes guêtres dans un appartement qui se refroidit à mesure qu’on arrive dans l’hiver. On met des pulls et le soir, devant la télé, on se colle bien serrés sous des plaids. Et souvent, ça part en fou rire avec les enfants.

Moi, je suis bien content de quitter 2020 bientôt. Et de fêter Noël. On va pouvoir penser à autre chose le soir du réveillon parce que, quand même, on a prévu de faire comme si. Mettre une belle nappe en papier, faire un effort avec les habits. Le petit va certainement insister pour mettre du gel, faire une houppette. Et je vais certainement céder. Je pensais à ça. Que l’année 2020 elle ressemblait à 2008. Pas de pognon, pas de folie, pas d’excès. Et pas d’Amazon. Et ce Noël fêté avec tata Claude et tonton Jean. La tête du tonton quand on avait tous repris un deuxième verre de blanc à l’apéro et que lui se demandait s’il était bien raisonnable d’allonger un autre Ricard. Que c’était bien ! Les jeunes adultes que nous étions alors, sans gamin dans les pattes, et la vie devant nous. Pauvres, pas un sou. L’amour de la vie.

De la bonne bouffe aussi. Tu avais préparé un poulet, un peu trop cuit. Et des marrons. Et des fagots de haricots verts, enroulés dans le jambon. Tu te souviens ? On riait d’être ensemble. Il faisait chaud. Le paternel, de s’être trop apprêté, trop couvert, avait, dès la fin de l’entrée, de belles et grandes auréoles dessinées sur sa chemise encore impeccable à l’entame du repas. On avait fait des photos. Il baissait les bras, vérifiant à tout instant qu’on ne voyait pas l’étendue des dégâts.

Et nous, on se marrait. Saouls du flot continu des bêtises qu’on ânonnait, ivres de bonheur. Le bonheur de faire la fête. De partager quelque chose. Chapeaux de fortune sur la tête, lunettes « fantaisie » vissées au nez, Jocelyn déguisé en père Noël pour distribuer les cadeaux à minuit pile, avant que les neveux et nièces ne partent se coucher. On était bien dix autour de la table et, dans mes souvenirs, la cuisine était pas bien prévue pour accueillir autant. Faut dire, c’est bien le moment de l’année où on invite. Quelque part, ça n’a pas changé ! Les cadeaux étaient distribués vite fait. Jocelyn se faufilait du mieux qu'il pouvait et chacun recevait quelque chose. Parce qu’avant, bien sûr, il y avait eu le tirage au sort. Fin novembre, chacun savait. Jean offre à Cindy. Le papa de Kylian trouve pour Jocelyn. Certains se creusaient la tête. Et d’autres s’en fichaient. De toute façon, vu le sous qu’on avait, tout le monde faisait simple.

On avait passé une année minable. Autour de la table, je sais pas bien, peut-être qu’on était trois ou quatre sans boulot. Ou sur la brèche. À la première bouteille de rouge achevée, on tombait tous sur les patrons qui profitaient de la crise. La criiiise. Ils avaient que ça à la bouche. C’était pas leur faute, c’était la crise. En attendant, c’est nous qu’étions au chômage et moi, je le savais pas encore, mais pour un petit bout de temps. La criiiise ! À la deuxième bouteille, on échafaudait des plans pour faire la révolution. Le paternel voulait trouver 500 parrainages pour se présenter à la présidentielle. Les jeunes voulaient faire une manif. Et dormir dans le lycée. Tous, on voulait changer le système. On voulait une société plus juste. Que les gros arrêtent de tout prendre aux petits. Que c’était pas possible qu’on paie la crise, justement. Qu’il fallait faire payer ceux qui s’étaient enrichis pendant que nous, on était virés. On s’était mis à parler de ce qu’il faudrait pour que l’impôt soit juste. Et aussi de la redistribution des richesses et du partage du travail. Parce que tata Claude, elle se serait bien vue à la retraite pendant que les plus jeunes prendraient la place. On avait convenu que c’était une petite révolution et on s’était dit qu’on en toucherait un mot à Lolo, le camarade de la CGT, qu’avait des relais. Et on avait conclu en trinquant à la victoire de la gauche aux prochaines élections.

Au fur et à mesure de la soirée, le petit groupe s’était étiolé. La bûche glacée avait eu raison de nos ventres. Enfin la bûche… Les bûches ! Et Marie-Té qui voulait ab-so-lu-ment qu’on goûte à tout. Parce que c’est elle qui avait ramené le dessert, pour participer elle avait dit. Bien sûr, Marie-Té, elle savait bien que nourrir tout ce petit monde, même une seule fois par an, ça allait être compliqué. Alors, les bûches étaient les bienvenues. Plus tard, les plus jeunes avaient allumé la musique et dansaient. Nous, on avait rangé la table. Pour être honnête, peut-être que j’en avais profité pour aller fumer une cigarette sur le palier de la porte parce que, bien sûr, j’avais repris à fumer. 2008… Quelqu’un avait sorti un jeu de cartes et les parties de belotes s’étaient enchaînées. On prenait à cœur ou à carreau dans la cuisine pendant que ça se trémoussait dans le salon sur Amy Winehouse. Il y avait eu des boissons chaudes de servies. On avait grignoté des chocolats. Tata Claude avait insisté pour que la boîte fasse plusieurs fois le tour de la table… Je crois bien qu’au supermarché, elle avait choisi la plus grande boîte du rayon. Et elle voulait pas repartir avec.

À un moment, il y avait eu la chanson, ce tube-là. On avait tout arrêté et on avait rejoint les jeunes et on avait chanté à tue-tête « Toi + moi + tous ceux qui le veulent ». On avait fait un Noël sans Amazon. Sans chichis, simple. Et que c’était bien !

Cette fable de fin d'année de notre camarade Marlène Collineau est parue dans le numéro de décembre 2020 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS)

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