GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Réformes structurelles, celles des libéraux ou les nôtres ?

Nous publions ici la première partie d’un dossier de la revue Démocratie Socialisme d’octobre.

Les mesures d’austérités mises en œuvre en Europe sont caractéristiques des politiques néo-libérales engagées sur le continent depuis le début des années 1980(1). La crise a cependant créé des opportunités nouvelles pour leur approfondissement. L’accentuation des contradictions entre modèles sociaux et exigences du marché a ouvert le champs des réformes possibles. Une évolution qualitative contenue dans la construction européenne que le contexte économique semble transformer en nécessité. Après la dérégulation de l’échange des biens et de la circulation du capital c’est la nature des rapports de production qui menace d’être redéfini. Cette nouvelle étape de l’offensive contre le monde du travail est sur l’agenda des gouvernements européens(2). Les pressions pour la faire aboutir sont nombreuses et révèlent l’acuité des rapports de classe à l’échelle de l’Union.

1. Actualité des réformes structurelles néo-libérales : une offensive sociale

Les organisations patronales, des groupes d'intérêt proches des milieux de la finance, des hauts fonctionnaires militent pour la mise en œuvre de réformes structurelles favorables aux marchés. Une opinion partagée par nombre d'élus convaincus de la nécessité de transformer le modèle social français afin de le rendre plus compétitif et plus conforme aux standards internationaux tels que promus par le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale ou l'Organisation Mondiale du Commerce.

Un objectif qui nécessite de remettre en cause l'arsenal législatif, normatif et réglementaire constitutif de l’État social(3). De l'Accord National Interprofessionnel de janvier 2013 aux débats sur la réforme des retraites en passant par les discussions sur un traité de libre-échange entre l'Union Européenne et les États-Unis, la pression s'accentue pour que soient démantelées les protections conquises par le mouvement ouvrier au cours du vingtième siècle.

2. Des politiques économiques éprouvées : le laboratoire des pays en développement

Jusqu'à la fin des années 1990 les réformes structurelles néo-libérales sont pour la plupart restées cantonnées aux pays pauvres(4). Ces derniers ont été contraints de se soumettre aux recommandations des institutions supra-étatiques afin de bénéficier d'aides financières et de soutiens logistiques pour pallier leur déficit d'infrastructures et leur problème de financement.

Pris en étau entre la dégradation des termes de l'échange et un sur-endettement structurel, des pays d'Afrique, d'Amérique Latine et d'Asie du Sud-Ouest ont accepté et mis en œuvre un ensemble de mesures à l'origine d'un appauvrissement des populations les plus fragiles, d'un exode rural non maîtrisé et de crises financières dévastatrices(5).

De l'Argentine à la Thaïlande, du Mexique à la Côte d'Ivoire, des régions entières ont été soumises aux stratégies prédatrices des firmes multinationales, à la perte de souveraineté économique, à l'imprévisibilité des flux de capitaux, à la corruption de leurs classes dominantes et à une dépendance post-coloniale aux banques occidentales.

3. De la crise des subprimes au choc économique : L'Europe un nouveau champ d'expérimentation

Depuis la crise de 2007, les réformes structurelles ne sont cependant plus l'apanage des pays en développement. Elles sont désormais préconisées par la plupart des gouvernements européens et de la Commission européenne. L'action de la troïka composée de représentants de l'Union Européenne, de la Banque Centrale Européenne et du Fonds Monétaire International en Grèce, Espagne, Portugal et Chypre en sont l’illustration(6).

Ces pays sont sommés de réformer leur système fiscal, de revoir la législation sur leur marché de travail, de privatiser les services publics pour obtenir un répit auprès de leurs créanciers. Cette dynamique de déréglementation s'étend désormais à l'ensemble des pays de la zone euro soutenus par les milieux de l'industrie et de la finance très actifs en Allemagne, France et Grande-Bretagne[(7)].

Une évolution qui manifeste le niveau de convergence entre les classes possédantes à l'échelle de l'Union et l'emprise qu’exercent en leur sein les financiers et les firmes exportatrices. La Commission et de la Banque centrale européenne ont un rôle déterminant dans l'articulation, l'harmonisation et l'expression de leurs intérêts.

4. Les réformes structurelles, un projet économique d'ensemble

À la différence des politiques économiques conjoncturelles les politiques structurelles n'agissent pas sur les fluctuations de la croissance. Elles ne relèvent pas des instruments budgétaires et monétaires traditionnellement utilisés pour agir sur les cycles mais d'un ensemble de mesures qui ont vocation à modifier durablement les rapports de production.

Avec les politiques structurelles telles que les réformes Hartz en Allemagne ou l'accord national interprofessionnel de 2013 en France, l'objectif est de transformer les conditions d'accumulation du capital en intervenant sur le potentiel de croissance des économies concernées. Cela passe par des mesures qui s'inscrivent sur le long terme, à la différence des politiques contra-cycliques d'austérité ou de relance.

En effet élever le niveau de croissance potentielle suppose d'agir prioritairement sur les relations entre les capitalistes et la classe salariée(8). La configuration des conditions d'exploitation et de mobilisation de la force de travail en est l'enjeu.

5. L'épuisement des politiques conjoncturelles : la recherche d'un nouveau modèle social

Depuis le début des années 1980, les économies européennes connaissent une progression très limitée des gains de productivité. C'est pourtant de l'efficacité productive de la force de travail que dépend la plus-value à l'origine du profit réalisé sur le marché des biens et services. Ce ralentissement est d'autant plus problématique pour les capitalistes qu'il les condamne à s'équiper toujours plus afin d'en réduire les effets sur leurs marges bénéficiaires.

Or cette modification dans la composition du capital s'avère avoir des effets inverses à ceux attendus. En effet, en l'absence de choc technologique, l'accumulation de machines réduit la proportion de richesses que les capitalistes peuvent s'approprier à l'issue de la production. Une crise de la profitabilité que les exigences des actionnaires rend insoutenable. Dès lors, seule la dévalorisation de la main d'œuvre par une baisse du salaire réel peut inverser la situation et rétablir le taux de profit(9).

Dans ce cadre, les politiques conjoncturelles ne constituent plus un ressource opportune et pertinente pour les classes dominantes. D'un côté, les mesures de rigueur affectent la demande de biens de consommation et ne peuvent plus être compensés par un crédit abondant sans créer de nouveaux risques systémiques et de l'autre les mesures de relance imposent une redistribution des richesses considérées comme insoutenable par le patronat et inefficace par les hauts fonctionnaires.

Cet épuisement des mesures contra-cycliques explique l'émergence d'un consensus parmi les capitalistes et les élites du pouvoir pour rompre avec l'État social tel qu'issu du compromis de l'après Seconde Guerre mondiale .

  • Les parties 2 et 3 de ce dossier seront publiées dans les prochaines lettres de D S.

    Document PDF à télécharger
    L’article en PDF

  • (1): Frédéric Lordon, Les quadratures de la politique économique : Les infortunes de la vertu, Albin Michel, 1997 (retour)

    (2): Jean-Jacques Chavigné, « Ils mènent l’Europe droit au mur ! », Démocratie Socialisme, n ? 204, avril 2013 (retour)

    (3): Cyril Gispert, « Quelle politique pour l’emploi ? », Démocratie Socialisme, n ? 203, février 2013. (retour)

    (4): Joseph E. Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête, Fayard, 2003. (retour)

    (5): ?ric Toussaint, « La discipline de la dette ?, Les Cahiers de Critique Communiste, Éditions Syllepse, 2003. (retour)

    (6): François Chesnais, « La dette publique, question névralgique de la lutte des classes en Europe ?, Carré Rouge, n° 44, Novembre 2010. (retour)

    (7): Jean-Jacques Chavigné, « L’Europe des spéculateurs ?->2125 (retour)

    (8): Cyril Gispert, « Quelle politique pour l’emploi ? ?, Démocratie Socialisme, n ? 203, mars 2013. (retour)

    (9): Cyril Gispert, « Salaire, emploi et profits : un conflit d’intérêt ? ?, Démocratie Socialisme, n ? 201, janvier 2013. (retour)

    Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




    La revue papier

    Les Vidéos

    En voir plus…