GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Réformes structurelles, celles des libéraux ou les nôtres ?

Nous publions ici la suite d’un dossier de la revue Démocratie&Socialisme d’octobre.

10. La voie démocratique, le chemin de l’alternative

Les expériences politiques du vingtième continuent à peser dans l'élaboration d'une stratégie socialiste(1) . La Révolution soviétique s'est achevée en dictature, le social-libéralisme n'est pas parvenu à résoudre les contradictions entre occupation et conquête du pouvoir. Au Portugal, la dernière révolution sur le continent européen, les forces de gauche ont échoué à inscrire dans le temps les éléments de rupture engagés à la chute de Salazar. Plus récemment en France, l'échec de l'épisode de relance et de nationalisation du gouvernement Mauroy, ont illustré les limites d’une construction sociale non-démocratique(9).

Ces échecs doivent inciter à la prudence. Il n'y a pas de certitude que le changement social aille dans le sens que nous souhaitons. Ils nous renseignent cependant sur les erreurs à ne pas répéter. De la Révolution soviétique nous pouvons retenir la nécessité de maintenir les institutions du suffrage universel direct, le pluralisme politique et l'Etat de droit(2). Du front populaire qu'il ne peut y avoir de transformation sociale durable par alliance avec les forces de droite, qui étaient dominantes dans le Parti radical(3). De la révolution portugaise que le socialisme est un processus long qui nécessite l’unification de la gauche pour réussir(4) . Enfin du premier mandat de François Mitterrand qu'il ne peut y avoir de changement sans s'appuyer sur les luttes populaires.

11. Démocratie et socialisme

Une société socialiste peut avoir différentes formes. Mais toutes ces formes possibles ont la même base : le mode de production socialiste. Définir celui-ci c’est préciser la forme des rapports sociaux qui doivent dominer (et se soumettre tous les autres) dans les activités de production, activités nécessaires à l’existence des humains.

Si l’histoire des sociétés jusqu’à nos jours est, à peu de choses près, celle des luttes sociales, on ne peut oublier que toutes ces luttes furent motivées par la volonté de s’émanciper de contraintes qui n’étaient pas toutes naturelles(5) . Depuis la plus haute Antiquité, les luttes sociales sont motivées, pour chaque individu, par la conquête de droits qui ne peuvent pas avoir d’autres limites que le respect des droits des autres.

Le propre des rapports sociaux démocratiques est de respecter les droits reconnus à tous, c’est-à-dire d’établir la souveraineté populaire qui universalise la souveraineté individuelle. C’est la démocratie qui définit la nature de toutes les luttes émancipatrices.

C’est pourquoi la démocratie, le respect des droits universels, constitue la forme des rapports sociaux du mode de production socialiste. Si ce mode de production est dominant, les rapports démocratiques vont s’étendre de la production à toutes les activités sociales pour établir une société socialiste.

12. L’égalité par la reconnaissance de droits universels

L’universalité des droits implique leur égalité, les rapports démocratiques fondent donc l’égalité sur le droit et non l’inverse. D’ailleurs l’égalité qu’établissent d’autres formes de rapports sociaux, n’est pas toujours productrice de nouveaux droits. Par exemple, les rapports de réciprocité (nos rapports de politesse) qui aboutissent à une égalité de droits lorsque s’exerce la réciprocité, ne procèdent pas du respect de droits universels, mais du privilège accordé à l’invité (voir les rapports de production des premières sociétés humaines)(6). Les rapports contractuels (accords, marchés, traités,…) peuvent conduire à l’égalité d’un droit, lorsque les rapports de forces sont équilibrés entre les parties, mais ne procèdent du respect de droits universels et ne permettent pas souvent l’établissement de nouveaux droits.

La construction des rapports démocratiques demande l’adoption d’une Constitution qui reconnaît des droits universels. Cette reconnaissance provient d’un jugement politique, issu d’un débat au terme duquel les constituants, confirmés par le peuple, ont tranché entre des intérêts contradictoires en choisissant de satisfaire les uns, ceux qui sont universalisables, et de rejeter les autres, qui ne peuvent pas être attribués à tous. Ce jugement est porté au vu de multiples cas particuliers, mais dans l’ignorance de plusieurs autres qui, peut-être, auraient conduit à d’autres solutions : le procédé est inductif et le jugement est toujours révisable.

13. La souveraineté démocratique par l’unification territoriale

Dans un monde divisé en plusieurs Etats souverains (dépositaires de la souveraineté de leur peuple), les droits constitutionnellement reconnus varient d’un pays à l’autre. Les droits effectivement respectés aussi. La démocratie est donc incomplète.

Les traités internationaux, instaurant des rapports contractuels, ne peuvent qu’exceptionnellement harmoniser les droits reconnus en les alignant sur la Constitution la plus favorable.

Pour favoriser l’harmonisation des droits au plus haut niveau, la meilleure voie consistera à s’engager davantage dans l’unification territoriale à l’échelle continentale, puis mondiale(7). Le socialisme n’est réalisable qu’à l’échelle mondiale : la construction d’une Europe fédérale sera un pas en avant.

Mais il n’y aura pas de socialisme sans rapports démocratiques pleinement développés, encadrant les rapports contractuels et marchands, sans institution d’un ordre constitutionnel et sans éradication des rapports inégalitaires (monocratiques, bureaucratiques, communautaristes…).

Les rapports contractuels (marchands…) peuvent être porteurs de droits universels (donc égaux) effectifs s’ils sont encadrés par une législation démocratique qui établit l’équilibre des forces entre les parties et permet la coexistence de la démocratie et du marché.

14. Les « lois du marché » domestiquées, les rapports marchands cantonnés

L’injustice des rapports marchands réside dans le fait que les prix ne respectent pas, en général, les « valeurs en travail » des marchandises. Fixés par le marché, c’est seulement « en moyenne » que les prix respectent les « valeurs en travail ». Dans une société socialiste, l’encadrement démocratique des marchés doit être suffisant pour que les prix ne s’en écartent pas, tout au long du processus de production.

Certains biens ne sont pas de véritables marchandises parce qu’ils n’ont pas de « valeur en travail », puisqu’ils ne sont pas le produit d’un travail humain : la force de travail, la monnaie, la nature (sol, sous-sol, eau, air)(8) . Le capitalisme les transforme en marchandise, le socialisme les gère démocratiquement : droit à un environnement protégé, impossibilité de spéculer, remplacement du contrat salarial par un statut fonctionnel.

La propriété publique de la terre rend impossible la spéculation foncière. Une monnaie unique rend sans objet la spéculation sur les devises. Le statut fonctionnel définit les droits des travailleurs. Les entreprises sont autogérées parce que les actions ont été transformées en obligations et ne donnent plus de pouvoir. Les rapports entre entreprises sont encadrés par la loi. La réduction du temps de travail par la loi garantit que les gains de productivité soient répartis entre tous pour garantir le plein emploi.

Ce n’est pas une utopie, ça existe déjà. En France, le sous-sol est propriété publique, pourquoi pas le sol ? Une Europe fédérale pourra gérer une monnaie unique… Le statut fonctionnel peut être la transcription du statut des fonctionnaires. Les Scop fonctionnent selon le principe “un emploi, une voix”. De grandes entreprises administrent toutes leurs unités de production qui s’enchaînent d’amont en aval du processus de production. La loi des 35 heures était un partage du temps de travail par la loi et non par le marché.

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(1): Eric Hobsbawm, L’âge des extrêmes : histoire du court XXe siècle (1914-1991), André Versaille éditeur, coll. « Histoire », 2008. (retour)

(2): Antoine Artous, « Démocratie et émancipation sociale », Les cahiers de critique communiste, Editions Syllepse, 2003. (retour)

(3): Jacques Danos, Marcel Gibelin, Juin 36, Les bons caractères, 2006 (1ère éd. 1952). (retour)

(4): Gérard Filoche, Printemps portugais, Editions Actéon, 1984. (retour)

(5): Chris Harman, Une histoire populaire de l’humanité. De l’âge de pierre au nouveau millénaire, La Découverte, 2011. (retour)

(6): Alain Testart, Le communisme primitif, Maison des sciences de l’Homme, 1986. (retour)

(7): Pierre Ruscassie, « L’unification territoriale et la démocratie », Démocratie et Socialisme, n° 206, Eté 2013. (retour)

(8): Jacques Gouverneur, Les fondements de l’économie capitaliste, Contradictions, 2005 ; Karl Polanyi, La grande transformation, Gallimard, coll. « Tel», 2009 ( 1ère éd 1983); Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, Les liens qui libèrent 2013 ; Tran Hai-Hac, Relire le Capital, Page deux, Coll. «Cahiers libres», 2003. (retour)

(9): Jean-Jacques Chavigné, Pierre Ruscassie, « Individualité, citoyenneté et marché. La citoyenneté, la nation et le peuple », mai 2009, http://www.democratie-socialisme.org/spip.php?article1891(retour)

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