GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

« Pride » : les luttes pluralistes sont révolutionnaires

Nous reproduisons ici la chronique « Internationales » de notre ami Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à l'University College de Londres. Cet article est paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°218.

C’est une union dans une lutte improbable qui s’est nouée entre des mineurs gallois en grève et un groupe de militants LGBT londoniens. « Pride », un film britannique mis en scène par Matthew Warchus, raconte une histoire vraie et inconnue du grand public : nous sommes au printemps 1984 ; la grève des mineurs commence. À Londres, Mark Ashton, un militant gay, est chez lui devant son poste de télévision. À l'écran, Arthur Scargill, le leader du National Union of Miners s’exclame : « Les mineurs pourront se rappeler avec fierté qu’ils ont eu le privilège de participer à la plus grande lutte sur Terre ! ». Dans la séquence qui suit, on aperçoit Margaret Thatcher qui déclare sur un ton martial qu’elle veut faire plier les mineurs, ceux qu'elle appellera plus tard « l'ennemi de l'intérieur ».

Mark rejoint ses amis qui participent à la marche de la Gay Pride. Il veut les convaincre de soulever des fonds pour aider les mineurs en grève. Cette idée est, pour la plupart des gays et lesbiennes, aberrante : pourquoi se battraient-ils en faveur des mineurs ? Un homme originaire du nord de l’Angleterre exprime son opposition catégorique au projet : issu de la classe ouvrière, il garde de sa jeunesse le souvenir d’une communauté minière homophobe, profondément intolérante à l’égard des homosexuels.

Mark, le plus politisé d’entre eux, persévère : « Chaque communauté devrait exprimer sa solidarité vis-à-vis d’une autre. Il n’est pas logique de dire : ‘Je suis gay et je me borne à défendre la communauté gay, et je ne m’intéresse à rien d’autre ». Il poursuit : « Les brutalités des flics de Thatcher à l'encontre des mineurs, nous les avons connues aussi ».

Un petit groupe s'engage à collecter de l'argent pour les mineurs. Lorsqu’une somme significative a été rassemblée, une autre question doit être tranchée : à qui remettre le pactole ? Le choix se porte sur une petite ville minière dans la vallée du Dulais, située dans le sud du pays de Galles. La donation sera faite au nom des « Lesbians and Gays Support the Miners ».

Voilà ce petit groupe de militants LGBT qui prend la route dans un minibus déglingué et qui parvient en pleine nuit dans un village minier au sud du pays de Galles. L'accueil dans la salle communale des mineurs est franchement hostile. Seules les femmes qui organisent l'intendance pour nourrir des mineurs sans paye depuis des mois, les reçoivent décemment. Ces femmes du peuple ne sont pas dénuées d'auto-ironie et d'humour moqueur (« Est-il vrai que les lesbiennes ne mangent pas de viande ? » demande l'une d'entre elles sur un ton navré). Parmi ce groupe de femmes décidées, se trouve Siân James. Elle s'est mariée à un mineur à 16 ans, et à l'âge de 20 ans, elle a déjà deux enfants. Son univers bascule pendant cette année de grève. Ses responsabilités dans le comité de grève et la dureté du conflit la politisent. Elle passera ensuite son bac et fera des études universitaires. En 2005, elle est élue députée de la circonscription de Swansea pour le Parti travailliste. Son travaillisme est résolument de gauche et populaire.

Un petit miracle social va se produire : des individus issus de milieux sociaux et culturels jusqu'alors totalement étrangers vont apprendre à se connaître, se respecter et même s'apprécier. Mark et Dai, un délégué syndical, fraternisent et, en se serrant la main, ont conscience de reproduire le signe qui orne les drapeaux du syndicat minier : la poignée de mains, symbole d'une union qui fait la force, mais cette force est ici pluraliste. Les différences culturelles, sociales et géographiques entre les mineurs et les militants LGBT ne sont pas effacées par un coup de baguette magique. Elles subsistent, mais cette diversité provoque une dynamique positive au sein des deux groupes. Ce pluralisme est bien plus qu'une simple réaction de tolérance : il pose les bases d'une compréhension mutuelle, au-delà des différences qui subsistent. Il n'y a aucune acculturation forcée : ce pluralisme dans les luttes implique au contraire le maintien de l'identité de chacun, et repose sur le dialogue et l'échange. Cette démarche est potentiellement révolutionnaire car elle décloisonne les combats politiques et syndicaux traditionnels à gauche.

L'humanité est un sens pratique : cela commence par partager des moments de fraternité autour d'un verre ; les femmes chantent le sublime « Bread and Roses ». Jonathan, l'un des tous premiers Britanniques à avoir été testé positif du virus du sida, danse de manière frénétique dans la salle communale. Les femmes, hilares et heureuses, le rejoignent, puis quelques mineurs. « Je n'en reviens pas, dit Siân, les mineurs gallois, ça ne danse jamais ».

Au printemps 1985, les mineurs ont repris le chemin des puits. Ils n'ont pas oublié le témoignage de solidarité du groupe LGBT. Des bus quittent le pays de Galles et rejoignent Londres. Les mineurs vont prendre part, en tête de cortège, à la marche de la Gay Pride. La boucle de cette lutte hybride et pluraliste est bouclée. Deux ans plus tard, les syndicats font inscrire la reconnaissance de droits en faveur des LGBT dans le programme du Parti travailliste.

« Pride » est dans la veine de « Brass off » (1996), « Billy Elliot » (2000) ou « Made in Dagenham » (2010) ; celle de comédies sociales qui mettent en scène la classe ouvrière. Celle-ci n'est ni glorifiée, ni méprisée. Elle est représentée telle qu'elle est, avec ses forces et ses faiblesses. Les luttes pluralistes sont mobilisatrices : dans le cinéma de Londres, nous avons tous ri et pleuré, et salué la fin de la séance par de longs applaudissements.

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