Ceux qui sont restés
Nous publions ci-dessous la chronique Palestine de notre ami Philippe Lewandowski, parus dans Démocratie&Socialisme n°218 d’octobre 2014.
En guise de préalable, commençons par rendre leur nom à ceux auxquels il est dénié : appelons donc Palestiniens d’Israël ceux que les médias, lorsqu’ils en font mention, appellent Arabes d’Israël, et que le gouvernement de l’État d’Israël divise encore en Druzes et en Arabes, ces derniers de surcroît subdivisés en Chrétiens et en Musulmans. Ce savant découpage obéit de toute évidence à des intentions idéologico-politiques visant à diviser un peuple aux croyances ou incroyances naturellement diverses, visant à remplacer une réalité historique par une sorte de construction théorique parfois mâtinée de négationnisme éhonté, visant à formater un mode de pensée orienté par des œillères qu’on appellerait maintenant politiquement correctes. Quittons par conséquent une pseudo-correction politique qui n’a de correction que le nom.Histoire
Les Palestiniens d’Israël sont les descendants des 156 000 Palestiniens (sur les 870 000 vivant alors dans cette partie de la Palestine) qui ont pu rester sur le territoire qui devint, le 14 mai 1948, l’État d’Israël. Ils sont actuellement plus d’un million et demi, et représentent 20 % de la population de l’État. Lors de son admission à l’ONU en 1949, Israël reconnaissait officiellement une Charte dont les signataires s’affirmaient « résolus
Le nouveau promu montra d’emblée le peu de cas qu’il faisait de sa propre parole : un régime militaire (qui ne prit formellement fin qu’en 1966) fut imposé à une part de sa population, une juridiction retorse permit aux nouveaux arrivants de faire main basse sur la plus grande partie des terres. Les expulsés qui s’étaient réfugiés dans d’autres localités du nouvel État se virent interdire de revenir dans les lieux dont ils étaient originaires : ce sont les « présents absents » d’une législation dont l’équité ne s’embarrassait pas trop du paraître.
Un peu quand même, à usage, disons, publicitaire : les juristes sionistes inventèrent alors une citoyenneté formelle distincte de la nationalité. Et tous les citoyens se retrouvèrent alors sur un pied d’égalité, permettant ainsi à l’État d’affirmer qu’il était la seule démocratie du Proche-Orient. Laissant dans l’ombre le fait que les ressortissants de telle nationalité n’avaient ni les mêmes droits ni les mêmes devoirs que ceux de telle autre nationalité.
Comment ne pas citer ici la députée « suspendue » Haneen Zoabi : « La démocratie ne se limite pas à la liberté d’expression » ?
Présent
Il est presque devenu banal de reconnaître en Israël un État d’apartheid. Presque, parce que la doxa dominante dans les médias s’obstine à prétendre qu’il n’en est rien. Mais surtout insuffisant, parce que le dit développement séparé s’avère ici bien développement d’un côté, mais très concrètement dé-développement de l’autre. À l’étranglement planifié de l’économie palestinienne à Gaza ou dans les territoires occupés s’ajoutent en effet, plus ou moins camouflées, les multiples obstacles ou restrictions freinant la carrière et le développement des Palestiniens d’Israël :
Sous-citoyens parmi les sous-citoyens, les Bédouins bénéficient d’un traitement si outrageant qu’il va jusqu’à susciter la protestation d’une fraction de la nationalité majoritaire, contraignant la Knesset (parlement) à une sorte de valse-hésitation dans la mise en œuvre du plan Prawer, visant à transférer 30.000 à 40.000 Bédouins de leurs villages dans sept bourgades de regroupement définies par les autorités. Le sursis de l’opération n’empêche bien sûr pas les destructions répétées par l’armée (aidée par des adolescents embrigadés) des villages dits non-autorisés ou non-reconnus obstinément réoccupés par leurs propriétaires.
En d’autres termes, la politique de nettoyage ethnique se poursuit au sein même des frontières de l’État d’Israël reconnues par l’ONU – et ce, non seulement dans le Naqab (Néguev), mais aussi dans des villes où subsistent des quartiers regroupant des Palestiniens, comme Akka (Acre).
Menaces
Cette ligne constamment ré-avivée de judaïsation forcenée des territoires fait peser de lourdes menaces sur les Palestiniens d’Israël, qui s’inquiètent à bon droit de leur avenir. L’idée de les transférer en masse vers l’étranger ou du moins vers les bantoustans tolérés comme ersatz d’État palestinien reste prégnante chez les sionistes les plus extrémistes. Une variante plus subtile consiste à vouloir placer sous juridiction de l’Autorité Palestinienne certains districts israéliens à majorité palestinienne « en échange » des colonies sises dans les territoires occupés qui seraient intégrées à l’État d’Israël proprement dit. De physique, le transfert se fait juridictionnel, dans l’espoir d’être plus facilement accepté, non pas par une population que l’on se garde bien de consulter, mais par les chantres occidentaux d’un « processus de paix » ayant beaucoup de peine à convaincre qui que ce soit.
La seconde caractéristique de cette fausse perspective consiste à maintenir le voile sur le caractère hybride d’une démocratie dont une partie des membres ne jouit pas des avantages à égalité de l’autre. La lutte en faveur des mêmes droits pour tous les citoyens reste d’une brûlante actualité dans un pays poétiquabusivement présenté comme un Phare pour les Nations : ne voici pas les Palestiniens d’Israël menacés d’être privés de citoyenneté, fût-elle de seconde zone ?
Mais en dernière analyse, l’enjeu en cours dépasse la mise d’une fraction de la population de l’État d’Israël et touche bel et bien l’ensemble du peuple palestinien.
Enjeu
Point n’est besoin d’être énarque pour se rendre compte que sous ce débat d’apparence circonscrite réapparaît la question de fond sur la question de la solution d’un État offrant les mêmes droits à toute sa population ou de deux États viables et distincts aux frontières clairement définies. L’idéologie sioniste dure prônerait certes un seul État purement juif, tolérant tout au plus quelques enclaves palestiniennes résiduelles encouragées à disparaître. Gageons qu’il ne s’agit là que d’une rêverie dont les chances de réalisation sont plus que problématiques.
Le paradoxe veut que la solution à deux États n’ait plus comme défenseurs que les discussions para-diplomatiques interminables qui ne servent qu’à gagner du temps pour rendre irréversible une politique de colonisation constante, ce qui reste d’une gauche israélienne incapable de saisir à bras le corps le problème palestinien, et une direction politique palestinienne dénuée de perspective stratégique.
C’est la politique israélienne elle-même qui rend de plus en plus incontournable la perspective d’un seul État démocratique pour tous.