GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Notre adversaire, c'est le monde de la finance ! … alors pas de cadeaux !

Il y a près d’un an, au Bourget, François Hollande proclamait – à juste titre – que son ennemi c’était la finance. Ce fut la phrase la plus appréciée et la plus populaire de sa campagne. Une réforme bancaire, très commentée ces derniers jours, a été présentée au Conseil des ministres du 19 décembre et sera débattue à l’Assemblée et au Sénat mi-février. Cette nouvelle loi est à apprécier globalement avec celle déjà votée sur la Banque Publique d’Investissement (BPI) et celle à venir sur l’épargne.

La proposition numéro 7 de François Hollande était ainsi rédigée :

7 - Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives. J’interdirai aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux.

Il sera mis fin aux produits financiers toxiques qui enrichissent les spéculateurs et menacent l’économie.

Je supprimerai les stock-options, sauf pour les entreprises naissantes, et j’encadrerai

les bonus. Je taxerai les bénéfices des banques en augmentant leur imposition de 15 %. Je proposerai la création d’une taxe sur toutes les transactions financières ainsi que d’une agence publique européenne de notation.

Force est de constater que le projet présenté par Bercy est très en deçà de cet engagement que nous jugions déjà insuffisant au moment de sa rédaction.

Une réforme « canada dry » ?

Il n'y aura pas de réelle séparation des activités bancaires « utiles » et des opérations financières spéculatives avec ce projet de loi. Plusieurs patrons de banques le disent et s'en félicitent même si leur fédération s’est crue obligée de sortir un communiqué reprochant au projet de loi d’être une nouvelle contrainte et un frein à la croissance.

Le projet de loi, en l’état, va dans le sens de tout le lobbying des banquiers vis-à-vis de Bercy et notamment du Trésor (dont le directeur fut nommé par Sarkozy).

Certes plusieurs activités de marchés devront être filialisées mais c’est pour en exclure tout de suite un grand nombre au nom de la relation client.

Certes il y a quelques interdictions bonnes à prendre (le flash trading notamment*) mais contourner cette interdiction sera possible. Certes il y a un pouvoir renforcé, bon à prendre, des instances de régulation telles l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) ou l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Il n’y a cependant rien en termes de réglementation contre la présence des banques françaises ou de leurs filiales dans les paradis fiscaux, contre les produits financiers toxiques qui portent en germe de nouvelles crises financières possibles.

Tel qu’il est le projet de loi est même inférieur aux propositions faites au niveau européen (rapport Liikanen) qui n’ont d’ailleurs rien d’exceptionnelles. Trois à cinq fois moins d’impact aux dires des banquiers eux-mêmes, sans doute beaucoup plus d'après plusieurs experts.

Pourquoi faire moins que ce que l’Europe pourrait faire d’ici quelques mois ?

On voit l’intérêt des banques qui souhaitent ainsi bloquer toute initiative européenne un peu plus contraignante mais, du côté d’un gouvernement de gauche souhaitant que l’Europe évolue, s’harmonise… on peine à voir la logique.

Si une crise bancaire se reproduisait à partir de produits financiers complexes, comme celle des subprimes avec un effet systémique, c'est encore l'Etat qui serait appelé au secours au nom de la sécurisation des dépôts.

On se rappelle des 380 milliards de garanties apportées par l’Etat aux banques françaises sans contreparties, ou des 1 000 milliards de prêts long terme mobilisés en 2011 par la BCE au profit des banques (dont les banques françaises) sans résultat probant. Faut-il comprendre que ce qui était mauvais sous la droite pourrait se reproduire avec la gauche ?

Autre question : la taille des banques (« too big to fail », « trop grosse pour faire faillite » ), un des problèmes soulevés par la crise ne changera pas. Par exemple, BNPParibas demeurera l’une des plus grosses banques mondiales. Et la construction hybride de BPCE appuyé sur des banques coopératives (Banques Populaires et Caisses d’Epargne) qui financent, de fait, des opérations de marchés de Natixis et même des produits toxiques …a encore de beaux jours devant elle.

L'entourloupe consiste à conserver dans le champ de la banque non spéculative toutes les opérations faites pour le compte d'un client (voir lettre de Finance Watch à Moscovici **). Or, pratiquement toutes les opérations financières avec leurs contreparties se font toujours in fine pour le compte d'un client...

Amender le projet de loi !

Il faut donc amender ce projet sur la base des orientations du PS, en partenariat avec toute la gauche, comme cela a été fait pour la loi sur la BPI.

Pierre Moscovici a ouvert au Bureau National du PS, mardi 18 décembre la possibilité d’amendements affirmant même souhaiter que le projet soit voté par toute la gauche.

Il faut mettre du contenu à la séparation des activités de marché.

Il faut interdire la possibilité de crédits aux Hedges Funds (les fonds spéculatifs), interdire la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux, baisser les bonus et rémunérations variables des traders – véritables pousse au crime pour faire du « chiffre ».

La question d’un cantonnement des activités spéculatives ou d’une séparation des activités reste un aspect formel des questions posées. Certes le cantonnement ou la séparation limite la garantie des Etats aux seules activités basées sur les dépôts de la clientèle mais elle ne règle pas la question des causes de la crise.

Pour s’attaquer à la racine de la spéculation, il faut réglementer plus strictement, limiter, encadrer les dérivés, la titrisation ... interdire le flash trading même au-delà d’une seconde… et faire revenir les banques à leur cœur de métier à savoir le financement de l’économie réelle.

Certains de ces points peuvent avancer tout de suite.

Il faut ré-ouvrir les dossiers du surendettement au moment où le gouverneur de la Banque de France envisage de fermer les services en question et de réduire l’emploi de manière drastique en même temps que les missions de service public conquises par la banque centrale, souvent très au-delà des autres banques centrales en Europe.

Et les droits des consommateurs ou usagers des banques doivent faire partie de la réforme au travers d’un service bancaire de base universel avec le droit au compte, la question des frais bancaires, etc. Il y a là de quoi être entendus et compris par une grande majorité de la population.

C’est sans aucun doute le point le plus névralgique du libéralisme et le plus populaire dans la gauche : s’en prendre aux banquiers et aux ravages anti-sociaux qu’ils ont imposés, eux qui sont entièrement responsables de la "crise".

* flash trading : c'est du courtage à haute fréquence consistant en achat et vente d'actions, de devises et même de matières premières directement par ordinateur. A partir de calculs mathématiques, les logiciels comparent les cours pour acheter et vendre le plus rapidement et bénéficier des écarts de prix pour réaliser une plus-value On est très loin de la "Bourse à papa" qui consistait à investir dans une entreprise comme finalité; Il s'agit seulement de faire de l'argent. En Europe 40% des transactions passent par les ordinateurs, aux Etats Unis c'est 50% des échanges

** Lettre ouverte de Finance Watch à Pierre Moscovici

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