Chronique Palestine : l’huile sur le feu
En dépit des apparences, la déclaration de Donald Trump sur Jérusalem ne doit pas être considérée comme une surprise à laquelle personne ne s’attendait. Non seulement la perspective en était tracée dès le programme du candidat à la présidence, mais encore elle s’inscrit parfaitement dans le projet de remodelage du grand Moyen-Orient par une stratégie de « chaos constructif », pour reprendre l’expression lancée par Condolezza Rice, secrétaire d’État américaine, en 2005.
L’apprenti sorcier de Washington affiche une fois de plus son dédain des institutions internationales et son peu de souci des bains de sang subséquents à la destruction de l’Irak et au développement d’extrémismes à couverture religieuse. Certains de ses alliés ne cachent d’ailleurs pas leur désir d’en découdre, même si leurs projets ne sont pas tous les mêmes.
La déclaration du 6 décembre 2017 équivaut à jeter de l’huile sur un feu menaçant de s’embraser. Qu’un prétendu pompier, censé faciliter la tenue des négociations, en soit à l’origine, rend l’inquiétude d’autant plus légitime, et l’indignation d’autant plus justifiée.
Le mépris des institutions et du droit international
Mine de rien, ce sont d’un coup 70 ans de résolutions de l’ONU et de son Conseil de sécurité qui sont qui sont ici foulés au pied. La quatrième Convention de Genève subit un sort semblable. C’est toute une partie de la diplomatie américaine qui se voit reniée, car n’est-elle pas partie prenante des instances citées, n’est-elle pas signataire de ces conventions ?
Ce nouveau cavalier seul des États-Unis d’Amérique s’ajoute au retrait de l’UNESCO, des accords sur le climat, et du pacte mondial sur la migration.
Seuls contre tous, y compris contre la planète, est-ce là une position tenable ?
Feu vert pour les fondamentalismes
Ce n’est pas la première fois qu’entre en œuvre une stratégie consistant à transposer sur le plan religieux des problèmes d’ordre politique. Rappelez-vous : en Afghanistan, elle s’est illustrée en formant et en soutenant des djihadistes vus avec sympathie tant qu’ils combattaient les troupes soviétiques ; parmi eux, un certain Ben Laden.
La réduction du problème politique de Jérusalem à une thématique confessionnelle est du même ordre : exit l’occupation, exit la colonisation, exit les inégalités de fait. Exit toute raison sauf celle du plus fort du moment, place aux passions radicales et à leurs cortèges de tueries. Pour ces dernières, tout compte fait, en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, les colons surarmés, protégés par l’armée, ont déjà pris une bonne avance.
Faux frères
Deux gouvernements arabes font preuve d’une solidarité plutôt ambigüe pour la cause palestinienne : l’Égyptien al-Sissi est surtout connu pour sa contribution au blocus de la bande de Gaza. Côté saoudien, il y a quelques semaines, le futur roi Mohammed ben Salman est allé jusqu’à suggérer à l’Autorité palestinienne de renoncer à faire de Jérusalem-est la capitale du futur État palestinien au profit d’Abu Dis, une localité située au sud-est de Jérusalem.
Il est vrai que le premier tient son pays sous dictature militaire de fait sans parvenir à contrer les attentats meurtriers et endémiques dans le Sinaï. Quant au second, il est engagé à la fois dans une guerre au Yémen, et dans une partie de bras de fer avec l’Iran pour des raisons de prééminence tant religieuse que géopolitique.
Les protestations verbales qu’ils ne peuvent manquer d’émettre ne sauraient dès lors s’avérer bien crédibles.
La voie étroite des Palestiniens
Les Palestiniens se retrouvent à nouveau sans réels soutiens. Le théâtre de la diplomatie européenne persiste dans une inconsistance appelée à durer tant qu’il se refuse à envisager des sanctions réelles contre un État israélien bafouant avec hargne et constance le droit international.
L’unité palestinienne récemment proclamée demeure fragile et soumise à de fortes pressions. Pour al-Shabaka (réseau de réflexion palestinien) elle ne doit pas être une fin en soi, mais devenir une synergie permettant d’accroître le poids de la cause palestinienne sur l’arène internationale, notamment en Europe, qui ne peut pas prétendre ignorer le droit : du point de vue du droit international, Jérusalem-est et le Golan se trouvent en effet dans la même situation que la Crimée.
Il faut également tout faire pour empêcher que d’autres États suivent Trump ou transfèrent leur ambassade à Jérusalem. La bataille diplomatique est cruciale.
La conclusion de Nadia Hijab, co-fondatrice et directrice-exécutive d’al-Shabaka, sonne comme un avertissement : « Ce que Trump a fait pourrait constituer un coup fatal pour la cause palestinienne si les Palestiniens et leurs alliés ne réussissaient pas à offrir une réponse cohérente et coordonnée. C’est en pensant à ces problématiques, à d’autres solutions, et en développant des stratégies que les Palestiniens et leurs alliés pourront transformer cette tragédie en opportunité »*.
* Nadia Hijab, « After Trump’s Jerusalem H-Bomb: Weighing Options for Palestinians », https://al-shabaka.org/ commentaries/trumps-jerusalem-h-bomb-weighing-options-palestinians/ utm_source=AlShabaka+announcements&utm campaign=7a0c0d36bccAbuZarifa_Commentary_Nov2017&utm_medium=email&utm_term=0_a9ca5175dc-7a0c0 d36bc-416238805 , consulté le 08/12/2017.
Cet article de notre ami Philippe Lewandowski est paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°250 de décembre 2017