GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Féminisme

Les anti-IVG à l'offensive aux USA

On connaît l’âpreté de la lutte pour la défense du droit à l’avortement aux États-Unis. Depuis plus de 40 ans, les anti-IVG n’ont eu de cesse de vouloir mettre la Cour suprême dans la position de revenir sur la jurisprudence établie par l’arrêt Roe vs Wade en 1973.

Le débat était attendu : la Cour suprême avait accepté d’examiner la loi du Mississipi interdisant l’avortement après cinq semaines de grossesse. Elle acceptait ainsi de rouvrir le débat de fond et la possibilité de remettre en cause l’arrêt Roe vs Wade. Rappelons que ce fameux arrêt ne légalise pas à proprement parler l’IVG, mais considère que l’interdire avant 22 semaines ne respecte pas le 14e amendement de la Constitution qui protège la liberté de tous les citoyens.

Un verrou en passe de sauter ?

Les débats ayant commencé sur le sujet, la conclusion était annoncée pour cet été, mais un document interne de la Cour suprême a fuité mettant en lumière les choix qui se préparent : ni plus ni moins que l’annulation de la jurisprudence Roe.

« Nous estimons que Roe et Casey doivent être annulés », écrit le juge Alito dans le document de quatre-vingt-dix-huit pages : « La Constitution ne fait aucune référence à l’avortement et aucun droit de ce type n’est implicitement protégé par une disposition constitutionnelle, y compris celle sur laquelle les défenseurs de Roe et Casey s’appuient principalement : la clause de procédure régulière et le 14e amendement ».

La composition de la Cour suprême dont les membres sont nommés à vie ne laisse planer que bien peu de doutes sur sa décision finale. À moins que la mobilisation sociale soit d’une ampleur inédite. Ce qui est encore possible, car il est difficile d’admettre qu’une poignée de juges réactionnaires puisse aller à l’encontre d’une opinion publique globalement favorable à la liberté de choix.

Les féministes s’organisent

Si la Cour suprême va jusqu’au bout de sa volonté, le droit à l’avortement aux USA ne serait plus garanti, la décision d’en maintenir l’accès pour les femmes serait donc laissée à l’appréciation de chaque État. Ce serait près de 26 États qui pourraient décider d’interdire l’avortement, ce qui affecterait 36 millions de femmes selon le Planned Parenthood Action Fund.

Les féministes se battent donc pour préserver ce droit, mais organisent aussi dès à présent concrètement l’action pour permettre aux femmes d’avoir accès à l’IVG partout et de manière sûre pour leur santé en finançant les déplacements nécessaires ou en développant l’IVG médicamenteux.

La bataille pour une loi fédérale

Joe Biden, dès son investiture et à de nombreuses occasions, a réaffirmé sa volonté « d’inscrire les principes de l’arrêt Roe vs Wade dans la loi ». Et pourtant rien n’a été fait dans ce sens. En effet, se joue là une autre bataille politique pour bousculer le fonctionnement des institutions américaines et permettre la mise en œuvre de réformes importantes.

Il faut savoir qu’une disposition du Sénat permet à une minorité de faire obstruction à l’organisation d’un vote. Vue de France, la technique, dite filibuster a de quoi surprendre. Pour l’enclencher, il suffit de prendre la parole en parlant pendant une durée illimitée jusqu’à ce que la majorité abandonne le projet. Car nul ne peut interrompre un sénateur lors de son intervention. Pour éviter un tel naufrage, une procédure permet toutefois de clore le débat, à condition de rassembler une majorité qualifiée des trois cinquièmes, soit 60 voix. Or, actuellement, le Sénat est composé de 50 démocrates contre 
50 républicains. Les démocrates ont donc besoin de 60 voix s’ils veulent éviter le fameux filibuster.

Depuis plusieurs mois, des voix s’élèvent chez les démocrates pour mettre fin à ce système, mais sans succès. Pourtant, un grand nombre de mesures soutenues par Joe Biden risquent de mourir ainsi au Sénat, que certains nomment le « cimetière législatif ». La situation est donc grave.

Bernie Sanders a déclaré le 3 mai, sur Twitter : « Le Congrès doit adopter une législation qui codifie Roe vs Wade comme la loi générale dans ce pays MAINTENANT. Et s’il n’y a pas 60 voix au Sénat pour le faire, […] il faut mettre fin à l’obstruction systématique (filibuster) pour l’adopter avec 50 voix ». Pour Alexandria Ocasio-Cortez, « les gens ont élu les démocrates précisément pour que nous puissions diriger dans des moments périlleux comme ceux-ci – pour codifier Roe – et avoir un président qui utilise son autorité légale pour briser l’impasse du Congrès sur des questions allant de la dette étudiante au climat. Il est grand temps que nous le fassions ».

Enjeu électoral ou argument électoraliste ?

Pour l’instant, dans un communiqué paru à la suite de la divulgation du fameux rapport, Joe Biden en appelle principalement à la mobilisation électorale pour les élections de mi-mandat qui auront lieu le 8 novembre. « Si la Cour suprême annule l’arrêt Roe vs Wade, il incombera aux élus de notre nation, à tous les échelons, de protéger le droit des femmes à disposer de leur corps. Et il incombera aux électeurs d’élire des responsables politiques qui défendent le droit à l’avortement en novembre. […] Au niveau fédéral, nous aurons besoin […] de plus d’élus pro-choix, et notamment d’une majorité à la Chambre pour adopter une loi reprenant les garanties de l’arrêt Roe vs Wade. Je m’emploierai à faire voter ce texte et à le promulguer. »

L’électorat pro-choix, et notamment les femmes, se mobiliseront à n’en pas douter pour ces élections, déterminées à ne pas voir la catastrophe s’installer dans de nombreux États, mais d’ici là le mal aura quand même été fait. Et la bataille sera à nouveau à mener.

Cet article de notre camarade Claude Touchefeu a été publié dans le numéro 295 (mai 2022) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…