GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Elections législatives

Désobéir à l’Europe ou la changer ?

Effrayés par la possible victoire de la NUPES en juin, les éditorialistes autorisés de la bourgeoisie cherchent à diviser ses rangs en brandissant le chiffon rouge – ou plutôt bleu – de l’Europe en péril. Désobéir aux traités libéraux serait selon eux la preuve irréfutable d’un repli nationaliste. Décryptage.

Les idéologues de la classe dominante poussent des cris d’orfraie depuis le 1er mai. À les en croire, les respectables formations de gauche « pro-européennes », telles qu’EELV et le PS, auraient, au risque de perdre leur âme, conclu un pacte avec le diable « eurosceptique » incarné par la France insoumise et par les communistes. L’offensive des faiseurs d’opinion stipendiés se cristallise autour de l’emploi du terme de « désobéissance » aux traités européens dans les différents accords conclus par la France insoumise avec leurs partenaires de la NUPES.

Tout le monde désobéit !

Notons tout d’abord que cela fait bien longtemps que plus personne ne respecte les traités européens ! À commencer par les critères de convergences définis au moment de Maastricht. Selon le traité de 1992, les États-membres s’engageaient, la main sur le cœur, à contenir l’inflation sous une barre fixée 1,5 point au-dessus du taux des trois États-membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix. Pour ce qui était du déficit et de la dette publique, il s’agissait de les maintenir respectivement en-deçà des seuils de 3 % et de 60 % de son PIB.

Or, depuis des années, s’il y a bien une « convergence » européenne, elle est dans le non-respect de ces fameux critères. Ainsi, l’an dernier, le déficit public s’est établi en France à hauteur de 6,5 % de son PIB selon l’Insee. La dette publique en représentait au même moment près de 118 %. À celles et ceux qui argueront que la pandémie a irrémédiablement changé la donne, il serait bon de rappeler qu’en 2019 déjà, la dette hexagonale flirtait dangereusement avec la barre des 100 %. Et seul l’intégrisme néo-libéral de Macron et consorts permettait à l’époque au gouvernement Philippe - Le Maire de présenter un budget de guerre sociale juste au niveau du seuil fatidique des 3 %.

Le vertueux Macron a donc, comme tous les autres, transgressé allègrement les « règles » européennes. Mais cela n’a pas l’air de gêner outre-mesure les éditorialistes, pourtant effarouchés par les propositions de la NUPES. « L’européisme » de ces honnêtes gens semble décidément à géométrie variable ! Ils viennent toutefois de tomber sur un os, puisque, le 9 mai, depuis Strasbourg, Macron lui-même s’est déclaré « favorable » à une « révision des traités » régissant l’Union européenne. Il faudra toute l’agilité oratoire des différents éditocrates pour répéter sans sourciller, pendant encore plusieurs semaines, que ce qui est bon quand Macron le propose devient le mal absolu dès lors que c’est la gauche unie qui le met sur la table…

Une formule qui divise

« Ils désobéirent, vous désobéissez, nous désobéirons. » Telle pourrait être le tableau de conjugaison de la NUPES en matière européenne. Selon nous, à un détail près toutefois. Car le terme de désobéissance est, en lui-même, extrêmement malheureux ! Il divise la gauche en élargissant en son sein des fissures que l’on pourrait largement colmater et qui sont le résultat de débats anciens et en partie dépassés. Le dénominateur commun des forces de la NUPES en matière européenne, c’est la renégociation des traités. La seule, la vraie. Pas celle que Hollande annonçait réaliser dans les premiers mois de son mandat et qui n’a pas vu le début d’un commencement de réalisation. Et encore moins celle de Macron, qui n’est qu’une chimère conçue pour duper les électeurs de gauche déboussolés et trompés par la presse aux ordres.

Le terme de désobéissance est malheureux pour une seconde raison. Sans que cela soit naturellement voulu, il met finalement la NUPES sur le même plan que l’élève pris en faute par son professeur. Et que ce dernier soit un pédagogue fou imposant des règles aussi absurdes que dangereuses à toute la classe ne change pas grand-chose à l’affaire. L’élève convaincu de manquement aux règles communes doit être puni. C’est dans l’ordre des choses. Ce que nous entreprenons collectivement mérite mieux que ce terme infantilisant.

Changer l’Europe

Le terme de désobéissance laisse en effet entendre que nous sommes seuls à refuser les règles de l’Union. Et qu’une République française dirigée par la gauche unie serait en quelque sorte condamnée à faire cavalier seul. Cela nous semble largement en-deçà de la réalité telle qu’elle pourrait advenir en cas de victoire de la NUPES.

Comment en effet imaginer que la victoire de la gauche unie dans notre pays pourrait ne pas avoir de profondes répercussions sur le continent ? Notamment quand on sait le discrédit des traités que tout le monde bafoue depuis des lustres ! Nous ne voulons pas désobéir pour désobéir. Nous voulons entraîner. Nous voulons prendre la tête d’une fronde qui pourrait mobiliser la plupart des peuples européens meurtris par l’austérité budgétaire, ainsi que par l’incurie européenne face à l’urgence climatique et face à la pandémie.

Qui peut croire que nos sœurs et nos frères grecs, portugais, espagnols et même italiens pourraient refuser de nous suivre sur la voie d’un bond en avant fédéral, d’une mutualisation partielle de la dette, d’un véritable plan d’investissement européen ambitieux (notamment en matière environnementale) ? Et ce d’autant plus que, quoi que l’on pense du nouveau gouvernement siégeant à Berlin, les austéritaires les plus fanatiques ont été chassés du pouvoir outre-Rhin.

Cet article de notre camarade Jean-François Claudon a été publié dans le numéro 295 de Démocratie&Socialisme, la revue de la gauche démocratique et sociale (GDS).

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