Leçons de Grèce
A l’heure où cet article est rédigé, la crise
politique et sociale bat son plein en Grèce. Il n’est
pas question ici de spéculer sur son issue éventuelle.
Nous proposerons dans le prochain numéro d'Unité,
un article plus approfondi sur l’Histoire de ce pays, de
sa gauche, de son mouvement social.
Nous pouvons cependant, d’ores et déjà, faire
quelques observations et en tirer une leçon.
Les « violences » dont nos média nous
rebattent les oreilles,
n’ont à voir que de très loinavec les émeutes qui ont secoué nos quartiers
populaires en 2005. Certes, des parallèles peuvent
être fait : là-bas
comme ici, c’est la mort d’un jeune
assassiné par un policier qui a mis le feu aux poudres; là-bas
comme ici, les jeunes qui se révoltent voient
leur avenir professionnel bouché, pris entre bas
salaires et chômage de masse ; là-bas
comme ici, les
méthodes d’action sont, pour une partie au moins des
protagonistes, radicales voire violentes. Mais les
comparaisons s’arrêtent ici.
En effet, si les causes semblent en partie
similaires, le mouvement actuel en Grèce est bien
plus organisé et surtout bien plus politisé, donc bien
plus dangereux pour le pouvoir en place. C’est un
mouvement qui s’apparente en réalité beaucoup plus
à ce qu’a connu la France avec la mobilisation contre
le CPE.
Car c’est bien la jeunesse scolarisée qui est
le fer de lance du mouvement,
notamment leslycéens. D’une révolte légitime et spontanée pour que
justice soit rendue, après le meurtre de l’un de leurs
camarades, la mobilisation est très vite passée à la
mise en cause de la droite au pouvoir.
Mise en cause, non seulement, de la
politique gouvernementale en matière d’emploi,
d’éducation et de sécurité, mais
mise en cause, surtout, du gouvernement de
Karamanlis luimême.
Les lycéens, rejoints par les
étudiants et soutenus par les salariés, demandent sa
démission pure et simple. Les syndicats de salariés
ont euxmêmes
appelé à une grève générale très
bien suivie.
Dans ce contexte, en reprenant le mot
d’ordre de démission du gouvernement débouchant
sur la tenue d’élections législatives anticipées, le parti
socialiste grec nous donne une double leçon de
politique et de démocratie. En effet, lorsque la crise
sociale est si intense que le gouvernement en place
n’est plus légitime et paraît suspendu dans le vide, la
gauche ne peut pas se contenter d’une position
légaliste consistant à attendre tranquillement les
élections telles qu’elles sont prévues par le calendrier
institutionnel. La crise ne peut se résoudre
positivement que par l’appel immédiat aux urnes, par
la démocratie. Le peuple doit trancher !
Rappelons nous.
Au moment de la crise du
CPE en France, la droite avait subi plusieurs
mouvements sociaux d’ampleur et plusieurs défaites
électorales (référendum, européennes, régionales).
Le gouvernement de Villepin n’avait plus aucune
légitimité. En n’appelant pas à des législatives
anticipées, le parti socialiste a, à l’époque, donné le
temps à la droite de se refaire une santé avant son
élection préférée : la présidentielle. Effectivement,
lors d’une élection législative, le débat porte
davantage sur les projets politiques et la droite,
ayant, à cette période, fait la démonstration de la
dangerosité sociale de son programme, n’avait
aucune chance de revenir au pouvoir. Sarkozy serait
alors apparu pour ce qu’il était : le représentant du
camp dont le peuple ne voulait plus.
Au lieu de cela, nous l’avons laissé se reconstruire,
avec l’aide des média, une image d’homme nouveau,
incarnant une pseudo rupture
et donnant l’illusion de
l’action. Ceci lui a permis de gagner cette élection qui
dépolitise les personnes en personnalisant la
politique, qui centre le débat public sur les
personnalités au lieu de leur programme.
Hélas ! Nous ne pouvons pas refaire
l’Histoire.
Nous ne pouvons pas non plus présager dece qui se passera en Grèce : même si elle obtient des
élections, la gauche grecque ne pourra uniquement
parier sur le rejet de la droite, elle devra proposer un
programme pour mobiliser son camp et ainsi éviter
écoeurement et abstention.
Il nous faut, par contre, retenir cette
leçon de la Grèce
pour l’avenir. Et, dans le climatsocial actuel, il se pourrait bien qu’il s’agisse d’un
avenir proche.
Pour l’heure, saisissons toutes les
occasions pour marquer notre solidarité avec la
jeunesse et les travailleurs grecs. L’assemblée
générale de l’école polytechnique d’Athènes nous
appelle d’ores et déjà à une « journée de résistance »
européenne et mondiale le 20 décembre 2008.
Rappelons que la mobilisation de 1974, dont cette
université fut l’un des fer de lance, contribua à
précipiter la chute du régime des colonels.
Thomas Chavigné