GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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« Le vent se lève »

Un bon film "historique" doit se garder de deux écueils : celui de la didactique ou du cours d'histoire, et celui, inverse, de la digression dans la psychologie attribuée aux personnages. Il faut que le récit soit en quelque sorte à la fois fictif et réel.

Ken Loach est passé maître dans cet art. Structurellement, Le jour se lève est proche de son autre chef-d'oeuvre, Land and Freedom : c'est l'histoire d'une révolution trahie. Dans Land and Freedom, consacré à la révolution et la guerre civile espagnole, l'ennemi franquiste était invisible, derrière les lignes. La révolution était trahie et tuée par les staliniens, ce qui entraînait la défaite devant les franquistes. Dans Le jour se lève, l'ennemi est l'impérialisme britannique, il est visible, sale et brutal, il torture et, conformément à un rite sordide de bien des bandes de jeunes hommes armés du XX° siècle, il en veut aux cheveux des femmes.

Ce visage de la Grande-Bretagne est réel. Evidemment, les supporters de Sa Majesté n'ont pas aimé. Un spectateur de mes amis me disait avoir cru entendre les paramilitaires anglais crier "Schnell". Pas possible, pourtant : ce sont les nazis qui crient "Schnell" ! Et pourtant vrai sur le fond : les milices des Blacks and Tans, lachés par l'armée anglaise sur les ouvriers et les paysans irlandais en 1920, ce sont des Sections d'Assaut. Pareil.

Mais le noeud de l'histoire se déroule entre combattants irlandais. Deux frères. L'un (Teddy, interprété par Padraic Delanney), le premier à s'engager pour la cause nationaliste, résiste à la torture mais devient un partisan du premier gouvernement "indépendant" justifiant ses compromis avec la Couronne, dont le moindre ne fut pas l'abandon de l'Ulster. L'autre (Damien, interprété par Cilian Murphy), qui avait d'abord hésité, ira jusqu'au bout. Il faut dire qu'il est aidé par une rencontre faite dans une gare, puis dans une geôle : celle de la figure du militant ouvrier, un vieux cheminot qui a connu le père mythique du combat national révolutionnaire irlandais : James Connoly. Un spectre hante ce film, c'est Connoly. Grace à quoi le petit frère ira jusqu'au bout : jusqu'à la reprise de la lutte armée contre le gouvernement fantôche vendu aux Britanniques et contre les curés qui le défendent en chaire. Il sera fusillé par un peloton commandé par son ainé.

Les critiques ont là une échappatoire s'ils ne veulent pas trop "faire de politique" : "drame de la fraternité trompée", "drame éternel de l'engagement", "drame de toujours de la guerre". Tout cela est vrai, mais pour une seule raison : ni l'auteur, ni le spectateur conscient, ne sauraient être neutres. Nous sommes avec celui qui combat jusqu'au bout, contre la trahison qui ramène tout le vieux fatras. Et c'est par cela même que nous pouvons ouvrir nos coeurs aux drames des assassins de l'espoir, eux-mêmes. Si ce film peut passer pour universel, c'est parce qu'il a choisi son camp : celui des combattants, celui aussi des femmes, qui ne portent pas les armes mais qui prennent tous les coups et qui assurent la continuité de la vie et donc de la lutte. Parce que l'histoire réelle comme la fiction vraie, c'est celle que nourrit le combat des opprimés et des exploités debout dans leur dignité.

Vincent Présumey

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