GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Le retour du " traité constitutionnel européen "

Le Conseil de l’Union européenne (dit Conseil des ministres), instance législative de l’Union européenne, est convoqué les 18 et 19 octobre pour adopter un " traité modificatif européen " (TME) préparé par la Conférence intergouvernementale (CIG) des 23-24 juillet 2007. Selon le mandat donné à cette CIG par le Conseil européen (sommet des chefs d’Etat et de gouvernement) des 21 et 22 juin derniers, le TME " introduira dans les traités actuels, qui restent en vigueur, les innovations découlant des travaux de la CIG de 2004 ". Or, ces innovations faisaient l’objet du projet de " traité constitutionnel européen " (TCE) et ont été rejetées, par référendum, le 29 mai 2005.

C’est donc l’ex-TCE, rejeté par les peuples néerlandais (à 62 %) et français (à 55 %) en 2005, que Sarkozy nous ressert mais, cette fois-ci, en ayant l’intention de le faire adopter par le Parlement pour ne pas se heurter à un nouveau veto populaire.

Les chefs d’Etat et de gouvernement veulent faire adopter les innovations néolibérales rejetées avec l’ex-TCE

Ils n’ont que mépris pour le suffrage universel et pour notre vote du 29 Mai. Ils savent que leur politique est minoritaire mais ils cherchent toujours à nous l’imposer. Agissant ainsi, ils nous rappellent que, s’émancipant du contrôle populaire, ils sont les vrais auteurs de l’orientation libérale et anti-sociale de l’actuelle construction européenne alors que, généralement, ils tentent de nous faire croire que, telle une divinité toute puissante, c’est " l’Europe " qui nous impose ses conditions.

Ce TME nous est présenté comme un traité " simplifié " qui n’est pas une " constitution " et qui retire la référence à la " concurrence libre et non faussée ". De ces trois arguments, un seul est vrai : le TME n’établit pas une constitution pour l’Europe. Mais, c’est un simple changement de tactique car, s’il était adopté, le TME aurait les mêmes résultats que ceux qu’aurait donnés le TCE : la Cour de justice européenne de Luxembourg attribue (abusivement) aux traités européens une valeur juridique supérieure aux constitutions nationales (seule une constitution européenne devrait avoir une valeur supérieure). Cette nouvelle tactique du Conseil européen (et de Sarkozy) n’est donc qu’une tentative de manipulation. Ce n’est pas une concession au " non " de gauche.

Pour les néolibéraux, ne pas donner au TME un caractère constitutionnel n’est pas reculer sur le fond. Leur fond consiste à faire ratifier le programme politique de l’ex-TCE et de maintenir telles quelles les institutions antidémocratiques actuelles qui leur permettent de détruire les acquis sociaux conquis, durant le XXe siècle, à l’échelle des Etats. Pour eux, l’Europe n’est qu’un prétexte.

La voie de l’Europe sociale passe par la constitution d’une Europe politique fédérale

Pour la gauche socialiste, le fond consiste à empêcher cette destruction des droits acquis, de les reconstruire à l’échelle de l’Europe et d’en conquérir de nouveaux pour édifier l’Europe des 35 h, du plein emploi stable, du salaire minimum unique, des services publics et de l’égalité des droits.

Ce programme ne peut pas être adopté par les institutions européennes actuelles : le Parlement, seul organe élu au suffrage universel, ne dispose que d’un semblant de pouvoir législatif. Une Europe politique démocratique est donc indispensable :

– un traité réduit à l’organisation de l’élection d’une Assemblée constituante et aux modalités de ratification ;

– une Assemblée constituante qui confronte divers projets et propose un projet de constitution ;

– un référendum européen pour adopter ou rejeter le projet proposé.

L’affichage " constitutionnel " de l’ex-TCE était un étiquetage mensonger, servant uniquement à " graver dans le marbre pour cinquante ans " un programme libéral et à barrer la route au fédéralisme européen. Le néolibéralisme est, en effet, hostile à toute République fédérale européenne, qui deviendrait trop facilement un instrument démocratique pour construire une Europe sociale. Aux yeux du Conseil européen, abandonner ce label " constitutionnel " fictif a pour seul inconvénient de laisser ouverte la perspective d’une véritable constitution démocratique.

Le TME veut modifier les traités existants et non les remplacer, à la différence de l’ex-TCE

Il modifie le vocabulaire du TCE puisqu’il ne se présente plus comme une constitution : au lieu de " loi et loi-cadre ", il reprend les formules actuelles de " règlement, directive et décision ". Au lieu de " ministre des Affaires étrangères ", il reprend "Haut responsable de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ". Mais, il en garde les innovations et ne retire pas la règle de la " concurrence libre et non faussée ".

Le TCE, rejeté en 2005, devait remplacer tous les traités antérieurs, en prétendant être une constitution. Il reprenait donc toutes les dispositions des traités de Rome (1957) et de Maastricht (1992) complétés par ceux qui ont suivi. Le Conseil européen reconnaît qu’il leur ajoutait des innovations. Pour aggraver la dérive libérale, celles-ci auraient accéléré le démantèlement des services publics, la destruction du droit du travail et les délocalisations.

Le TME, qu’ils se promettent de faire passer en force, veut réintroduire toutes ces innovations dans le " traité de l’Union européenne " (Maastricht consolidé, TUE) et dans le " traité instituant la Communauté européenne " (Rome consolidé, rebaptisé " traité sur le fonctionnement de l’UE, TFUE) qui, ainsi modifiés, seront maintenus.

Ce TME n’est même pas un traité "simplifié ". C’est une " usine à gaz " de 279 pages modifiant deux traités déjà très longs : outre un préambule, il contient une déclaration de 63 pages, un lot de 12 protocoles occupant 69 pages et le texte du traité proprement dit (les innovations issues de l’ex-TCE) qui fait 145 pages pour 359 points de modification. Pour consulter ce dossier :

www.consilium.europa.eu

Un marché unique dépourvu de régulation démocratique et soumis à la finance

Les chefs d’Etat et de gouvernement des pays européens soustraient peu à peu le marché unique européen au contrôle des institutions démocratiques nationales sans le soumettre au contrôle d’institutions européennes. Le pouvoir législatif est partagé quatre institutions dont une seule, le Parlement, celle qui a le moins de pouvoir, est issue du suffrage universel direct. Conseil européen, Conseil des ministres et Commission européenne sont au service des opérateurs financiers.

Ce dispositif antidémocratique est maintenu par le TME. Non seulement les dirigeants de la finance sont les maîtres des marchés, mais aussi de la politique européenne : ce sont leurs besoins qu’ils imposent aux institutions européennes.

Ils imposent leur loi grâce à la règle de la " concurrence libre et non faussée ". Elle n’avait pas besoin d’être rappelée par le TME puisqu’elle est déjà présente dans le traité de Rome (articles 3 et 101) et dans le traité de Maastricht (article 3). Elle est, néanmoins, réaffirmée dans le protocole 6 qui accompagne le TME et qui a la même valeur juridique que lui.

Comme l’ex-TCE, le TME définit l’Europe comme une " économie sociale (sic) de marché hautement compétitive ". Il propose une construction européenne où le libre-échange est généralisé : que le plus riche l’emporte.

Le TME reprend, point par point, les innovations de l’ex-TCE

Dans le TME, il n’est pas question de réaliser une harmonisation sociale vers le haut par la loi de la démocratie. Son objectif est, au contraire d’obtenir un alignement des conditions sociales vers le bas par la loi du marché : le libre-échange généralisé, sans limite, est un moyen pour démanteler le droit du travail.

Il n’est pas davantage question d’harmonisation fiscale, puisque la fiscalité ne deviendrait pas une compétence européenne. Cela n’empêche pas la Commission européenne de s’opposer à la baisse de la TVA, puisqu’il s’agit alors de commerce. La possibilité qu’une majorité de Parlements nationaux (un tiers ou un quart dans certains cas) remette en cause un projet d’acte législatif, est offerte seulement pour faire barrage à un projet qui outrepasserait les compétences de l’UE (mais l’accord de l’institution concernée, telle que la Commission, est nécessaire). C’est seulement dans le cas de codécision que le Parlement européen peut faire barrage (article 7 du protocole 2 accompagnant le TME).

La banque centrale européenne (BCE) reste indépendante de toute institution politique et garde les mêmes fonctions. Et son mandat de veiller à la stabilité des prix devient même un objectif de l’Union européenne (point modificatif 4 du TME). Mais la redistribution des revenus et la réduction du temps de travail ne sont toujours pas des objectifs de l’UE.

Les " services économiques d’intérêt général " (SIEG) sont toujours soumis à concurrence et leur démantèlement est donc programmé. Ce fut le cas pour France Télécom, c’est le tour de la SNCF, d’EDF, de GDF.

L’Ecole et la Santé publiques sont dans la ligne de mire.

La politique de sécurité et de défense est conforme aux engagements souscrits au sein de l’OTAN (point modificatif 48, page 31), donc à la conception bushiste de la lutte anti-terroriste, c’est-à-dire de main mise sur les zones pétrolifères. Si les frontières sont effacées pour les capitaux et les marchandises, elles sont toujours étanches pour les humains : nous n’avons pas tous des droits égaux, même à conditions égales.

Les traités ainsi modifiés affirment que l’UE respecte l’égalité des Etats (point 5 du TME), mais nulle part il n’est mentionné que l’UE reposerait sur la souveraineté populaire européenne : nous sommes loin du parlementarisme et du fédéralisme européens !

Le TME insère, dans le préambule du traité de Maastricht et dans son article 12, une référence à l’héritage religieux de l’Europe (point 1) et au dialogue officiel avec les Eglises (point 28) : nous sommes loin de la laïcité !

À la Charte des droits fondamentaux, qui se limite à reconnaître la liberté de travailler et non le droit à un emploi, est accordée la même valeur juridique qu’aux traités. Mais, pour faire respecter son caractère contraignant, aucune compétence supplémentaire qui pourrait être nécessaire, n’est attribuée à l’UE (point 8). En outre, la Grande-Bretagne est dispensée de s’y soumettre : le respect des droits démocratiques est facultatif, mais la liberté de la concurrence, qui consacre l’égalité apparente des chances et l’inégalité réelle des résultats, est obligatoire.

Pour un référendum, pour un vote " non "

La représentation parlementaire est un reflet très déformé de l’opinion, principalement en raison du caractère bonapartiste, monarchique, des institutions de la Ve République. Sarkozy a annoncé sa décision de faire ratifier le TME par le Parlement. Vraisemblablement, il évitera de faire coïncider cette ratification avec les élections municipales et cantonales de 2008, ce serait les politiser et prendre le risque de les perdre. Il choisira plutôt le moment de la présidence française du Conseil, durant le second semestre 2008. Cette ratification sera organisée avant la campagne des élections européennes de juin 2009 pour les mêmes raisons.

La gauche ne doit pas accepter ce refus de Sarkozy de se soumettre à la volonté des citoyens. D’ailleurs, durant la campagne présidentielle, tous les candidats de la gauche ont affirmé que le TME devait être soumis à référendum. C’est la seule procédure démocratique pour un texte dont la valeur juridique deviendrait supérieure à celle de la Constitution, s’il était adopté.

Une campagne de masse, autour de collectifs unitaires, doit être organisée pour obtenir un tel référendum.

Un appel est déjà proposé à signature de tous les citoyens à l’adresse :

referendumeurope2007.free.fr.

Parallèlement, les parlementaires de gauche devraient s’engager à voter " non ", quelle que soit d’ailleurs leur opinion sur ce TME, pour rendre incertaine sa ratification parlementaire et participer ainsi à la campagne pour qu’il soit soumis à référendum. C’est notamment une bataille interne au Parti socialiste, pour que soit respecté l’engagement de la campagne présidentielle.

Remettre la gauche à l’offensive

Si la campagne pour un référendum était gagnée, elle ouvrirait la voie à une nouvelle campagne pour le " non ". Sinon, elle aurait permis de mettre la question de l’Europe sociale au cœur de la campagne pour les élections européennes de juin 2008 et de participer ainsi à la construction des perspectives dont la gauche a besoin pour se préparer à l’affrontement à venir contre Sarkozy, en défense du droit du travail et des services publics.

L’importance des campagnes pour un référendum et pour le vote " non " ne doit pas être sous-estimée sous prétexte que le référendum a déjà eu lieu et que la réponse a déjà été apportée en 2005. La question est posée de nouveau et la réponse qui sera retenue sera la nouvelle réponse. Ce nouveau combat est partie intégrante du combat contre Sarkozy et contre le néolibéralisme français, européen et mondial.

Pierre Ruscassie

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