Le retour de l'histoire
Nous reproduisons ici un article de notre ami Philippe Lewandowski paru dans la revue « Démocratie&Socialisme » n ?199 de novembre 2012.

Une Histoire occultée
L’inanité des théories raciales avait en effet déjà été relevée par Abraham Léon (curieusement absent des références citées par Shlomo Sand), dans son ouvrage intitulé « La conception matérialiste de la question juive »(1). Il y écrivait : « L’examen le plus superficiel de la question nous amène à la conclusion que les Juifs constituent en réalité un mélange de races des plus hétéroclites. C’est évidemment le caractère diasporique du judaïsme qui est la cause essentielle de ce fait. Mais même en Palestine, les Juifs furent loin de constituer une « race pure ». […] Il suffit de rappeler les nombreuses races qui s’étaient établies en Palestine : Hittites, Cananéens, Philistins, Égyptiens, Phéniciens, Grecs, Arabes. […] Le développement du prosélytisme juif durant l’époque grecque et romaine a fortement accentué le caractère mêlé du judaïsme. […] La conversion forcée d’esclaves au judaïsme, la conversion des Khazars ainsi que d’autres races et peuples au cours de la longue diaspora, ont constitué autant de facteurs qui ont fait du judaïsme un conglomérat caractéristique de races » (p.158-159).

Le paragraphe qui suit est encore plus frappant : « Parallèlement à la diffusion et au maintien de ce mythe historique fondateur, il a fallu : 1°) passer sous silence le dynamisme prosélyte du judaïsme, du IIe siècle avant J.-C. au moins jusqu’au VIIIe siècle ; 2°) ignorer la multiplicité des royaumes judaïsés apparus en diverses zones géographiques (en note : Le royaume d’Adiabène en Mésopotamie, le royaume d’Himyar dans la péninsule arabique, le règne de Dahiya al-Kahina en Afrique du Nord, le royaume de Semien dans l’Est africain, le royaume de Kodungallur dans la presqu’île méridionale de l’Inde, et le grand royaume Khazar au sud de la Russie. L’inexistence de la moindre recherche comparative concernant le phénomène captivant que sont ces royaumes judaïsés, ainsi que les destinées de leurs habitants, ne doit rien au hasard) ; 3°) effacer de la mémoire collective les grandes masses humaines converties au judaïsme sous ces monarchies et qui ont constitué le berceau de la plupart des communautés juives dans le monde : 4°) se faire discret sur les déclarations des dirigeants sionistes, à commencer par David Ben Gourion, le fondateur de l’État, bien au fait de l’inanité de la thèse de l’exil massif, et qui de ce fait voyaient dans la majorité des « fellahs » locaux une descendance des anciens Hébreux » (idem, p.24-25).
La nature fondamentalement mythologique et idéologique (et donc propagandiste) des thèmes de l’exil et du retour au pays des ancêtres est on ne peut plus clairement démontrée.
Critique et falsifications

Mais il semble de surcroît que le texte biblique, même tel quel, ne remplit qu’imparfaitement les fonctions que les propagandistes sionistes souhaiteraient le voir prendre, car il ne contient pas la notion de terre d’Israël (Eretz Israël) actuellement en vogue : « Dans la nouvelle traduction en hébreu du premier livre des Maccabées, publiée en 2004 dans une édition de qualité, la ‘terre d’Israël’ figure cent cinquante-six fois dans l’introduction moderne et les notes, alors même que les Hasmonéens ignoraient totalement qu’ils dirigeaient une révolte dans un territoire de ce nom. Un historien de l’université hébraïque de Jérusalem est allé encore au-delà en publiant un ouvrage scientifique intitulé ‘La terre d’Israël comme concept politique dans la littérature hasmonéenne’ alors même que ledit ‘concept’ n’existe pas dans la période considérée. Le mythe géo-national était encore si brûlant dans un passé récent que les éditeurs des écrits de Flavius Josèphe ont pris sur eux d’y greffer la ‘terre d’Israël’ au moment de la traduction » ( « Comment la terre d’Israël fut inventée » , p.41).
Cette déconstruction en règle des productions du grand théâtre de la propagande mérite d’autant plus la lecture que l’auteur prend soin de préciser (en mettant entre guillemets les notions qu’il récuse) : « Je ne pouvais pas admettre que les ‘peuples de la dispersion’ bénéficieraient d’un droit prioritaire de propriété nationale sur un territoire qu’ils n’habitaient plus depuis ‘deux mille ans’, alors même que la population qui y réside en permanence depuis plusieurs siècles se verrait dénier ce même droit. Un droit se fond, comme l’on sait, sur un ensemble de valeurs à partir desquelles sa reconnaissance par autrui est revendiquée : l’acceptation par la population locale pouvait seule conférer vigueur et légitimité morale à un droit historique au ‘retour des juifs’ » ( « Comment la terre d’Israël fut inventée » , p.26).
C’est rappeler que seuls les Palestiniens sont en mesure de conférer une légitimité morale aux Israélites venus s’établir en Palestine.
(1): Abraham Léon, La conception matérialiste de la question juive.- Réédition de Paris : EDI, 1980. (retour)