GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Le prochain coup ?

Nous publions ci-dessous la chronique Palestine de notre ami Philippe Lewandowski, parus dans Démocratie&Socialisme n°220 de décembre 2014.

Si elle ne s’affiche pas directement sanglante comme d’habitude, la nouvelle manœuvre du gouvernement israélien ne s’en inscrit pas moins dans la droite ligne de l’entreprise de colonisation et de nettoyage ethnique inhérente à l’idéologie sioniste. Elle consiste à modifier la définition de l’État d’Israël, délaissant l’appellation d’État juif et démocratique au profit de celle d’État national du peuple juif. Ce glissement sémantique à vocation institutionnelle est loin d’être anodin, et ses conséquences politiques s’avèrent des plus inquiétantes. Qu’il serve de prétexte à l’opération politique visant à remplacer la coalition gouvernementale présente par une autre, située encore plus à droite, importe peut-être moins que son contenu même, brillamment analysé par Eli Aminov sur le site de l’Alternative Information Center(1) :

« La loi d'État de la nation israélienne : une charia juive »

« Le premier ministre Netanyahou et son gouvernement sont actuellement en train de promouvoir « la crème de la crème » des lois antisémites : la définition d’Israël comme État de la « nation juive », i.e. État des Juifs du monde et non de ses citoyens non juifs. Israël est ainsi l’État des Américains et des Russes juifs, mais pas celui des résidents de Kufr Qassem. […] Cette loi écœurante implique que le droit d’exercer une définition nationale de soi-même en Israël s’applique uniquement à ceux dont les mères professaient la religion juive, ou à ceux qui sont passés par une cérémonie religieuse pour se convertir à la religion juive. Cette loi implique aussi que « Eretz Israël », i.e. la Palestine, est uniquement la patrie historique du peuple juif. Cette loi antisémite ne reconnaît pas le fait que ce pays est la seule patrie des Palestiniens, dont la vie nationale a été déracinée à cause de la prise de pouvoir israélienne. » […]

« La carte maîtresse » [du gouvernement israélien] est l’imposition de la charia juive sur la démocratie limitée israélienne. Pour les masses juives, nourries par une haine continue des Arabes, et empoisonnées l’an dernier par des incitations racistes issues directement du gouvernement, la législation proposée est claire : c’est un État juif, et à cause de cela, les Arabes dehors ! Exactement comme les slogans « les Juifs dehors » qui ont traversé l’Europe dans les années 1930. »

Ce qui n’est encore qu’un projet s’accompagne d’ores et déjà de menaces on ne peut plus précises : dans la ligne de mire se trouvent avant tout les Palestiniens d’Israël qui relèvent la tête et vont jusqu’à manifester pour protester contre les massacres commis à Gaza ou les assassinats plus ou moins ciblés de mise dans les Territoires occupés. Ils risqueront désormais de perdre une citoyenneté de seconde catégorie pour être transférés, selon les cas, soit dans le régime de semi-liberté caractéristique des Territoires occupés (contrôles israéliens, visites filtrées, incursions militaires, exactions des colons), soit en isolement à ciel ouvert (NB : le siège de Gaza n’est toujours pas levé).

Le danger d’un tel scénario doit être évalué à sa juste mesure.

Une sous-estimation dommageable

C’est malheureusement l’erreur dans laquelle semblent tomber des militants dont la bonne foi ne saurait toutefois être mise en doute. Lorsque Waad Ghantous, une Palestinienne de Haïfa, titre un article : « Nous n’avons que faire de ces histoires « d’État exclusivement juif » ! »(2), elle oublie les différences qui séparent une situation difficile d’une situation encore pire. Contrairement à ce qu’elle imagine, et malgré le silence complice des gouvernements occidentaux sur ce sujet, nulle personne sincère n’ignore le caractère ségrégationniste de la dite démocratie israélienne. Nous savons qu’elle est marquée par de nombreuses lois organisant sans vergogne spoliations et inégalités.

Nous savons cependant aussi que cette situation est « moins pire » que le régime militaire qui l’a précédée (jusqu’en 1966). Et nous craignons que, si elle s’aggrave à nouveau, ce soient les conditions mêmes de la lutte qui deviennent encore plus difficiles. Refuser de regarder en face les contraintes de la réalité n’offre guère de perspective de mobilisation unitaire, a fortiori donc de perspective politique. Ce dont témoigne, dans l’histoire, l’amère expérience du mouvement ouvrier allemand du début des années 1930. La politique du pire ne mène qu’à l’impasse. Il n’est pas inutile de se saisir de toutes les occasions de se faire entendre, et de ce point de vue, Haneen Zoabi a réussi à rappeler l’existence des Palestiniens à une société israélienne dont les œillères l’empêchaient de les prendre en compte, elle n’a pas hésité à prendre ses responsabilités, que ce soit sur le Marmara lors de la flottille pour Gaza, ou que ce soit à la télévision israélienne lors d’un entretien mené de main de maître face à une journaliste hostile. Que la politique remplace le chacun pour soi et les incantations stériles. Surtout devant un ennemi qui semble avoir fait le choix d’une stratégie de tensions permanentes.

Une stratégie de tensions

La stratégie du gouvernement israélien a pour cible aussi bien les Palestiniens que la société israélienne dans son ensemble. L’idéologie de l’exclusion et du refus de l’autre a tendance à se transformer en impératif que nulle contestation n’est autorisée à contrecarrer. Les protestations qui peuvent s’élever doivent être étouffées dans l’œuf.

Ce n’est pas un hasard si, juste après un semblant d’hésitation gouvernementale (le projet serait présenté à la Knesset sous une forme « adoucie »), les extrémistes sionistes se sont attaqués à l’une des rares écoles mixtes (i.e. palestiniennes et israéliennes) de Jérusalem. Il s’agit pour eux de promouvoir un exclusivisme non dénué de racisme, de démontrer, si nécessaire par la force et la terreur, qu’il est impossible à des communautés de vivre ensemble.

Il serait malencontreux de répondre à ces provocations sur le même terrain. Toute la force d’un programme alternatif repose en effet sur la proposition inverse : comme l’écrivait Edward Saïd, les Palestiniens resteront, et les Israéliens aussi. La question de l’égalité des droits en devient de facto la question centrale.

Et toute tentative de restreindre ces derniers doit par conséquent être résolument dénoncée et combattue.

Des centaines d’Israéliens arabes ont lancé une campagne de protestation sur Facebook en marquant leur photo de profil Facebook d’un cachet « citoyen de seconde zone ». Cette action en ligne est une manière de protester contre la loi sur le caractère juif de l’État israélien tout en la tournant en dérision.

Photo : Des centaines d’Israéliens arabes ont lancé une campagne de protestation sur Facebook en marquant leur photo de profil Facebook d’un cachet « citoyen de seconde zone ». Cette action en ligne est une manière de protester contre la loi sur le caractère juif de l’État israélien tout en la tournant en dérision.

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L’article en PDF

(1): Eli Aminov, Israel’s nation state law : Jewish sharia,, consulté le 06-12-2014. (retour)

(2):  Waad Ghantous, « Nous n’avons que faire de ces histoires « d’État exclusivement juif » ! », consulté le 06-12-2014. (retour)

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