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Le dernier discours de Salvador Allende

Nous publions ici un article de notre ami Philippe Marlière déjà paru dans son blog hébergé chez médiapart.

Salvador Allende (1908-1973), un médecin de formation, est démocratiquement élu président du Chili en 1970, à sa quatrième tentative. C’est un socialiste ; le premier marxiste à accéder à ce poste sur le continent sud-américain.

Le 11 septembre 1973, l’armée chilienne lance ses chars contre le palais de la Moneda, la résidence présidentielle. Les cadres fascisants de l’armée avaient déjà tenté de renverser le régime de gauche démocratiquement élu. Le nouvel assaut sera victorieux. De la junte militaire qui organise cet acte odieux émergera Augusto Pinochet, qui avait été nommé général en chef des armées par Allende quelques jours auparavant. Le coup d’État est financièrement et logistiquement soutenu par les États-Unis sous la présidence Nixon.

Quelques minutes avant la prise de la Moneda, Allende s’adresse à la nation chilienne sur les ondes de Radio Magellanes. C’est un discours d’adieu. Le « président camarade » a refusé de fuir le pays, comme le lui proposait les putschistes. La qualité de l’enregistrement est médiocre. Surimposés aux paroles du président chilien on entend des bruits de fond : des voix angoissées et agitées, ainsi que des bruits d’explosion et de fusils automatiques. La retransmission se déroule dans le chaos général alors que les chars entourent déjà le palais présidentiel.

Salvador Allende parle de sacrifice, de loyauté vis-à-vis du peuple, de dignité, de son amour du Chili et de la fierté des réformes sociales importantes qu'il a entreprises pendant ses trois années de présidence. Il vilipende la traîtrise des militaires ; des hommes qu’il a souvent nommés et qui se sont retournés contre lui. Ce document sonore est extraordinaire : Allende parle de lui au passé. Il a déjà intériorisé l’acte ultime qu’il s’apprête à commettre : son suicide.

Cette photographie est la dernière qui ait été prise dans le palais de la Moneda, le 11 septembre 1973. Allende a la tête recouverte d’un casque de combat et porte en bandoulière une kalachnikov ; un modèle soviétique que lui avait offert son ami Fidel Castro. Cette ultime photographie d’Allende est transmise plusieurs mois après le coup d’État à Marvin Howe, le correspondant du New York Times en Amérique latine. Le quotidien new yorkais la reproduit bientôt en première page, lui conférant un statut mythologique. C’est en février 2007 que l’on révèle l’identité du photographe. Il s’agit d’Orlando Lagos Vásquez, l’un des photographes officiels d’Allende, qui vient de mourir quelques mois auparavant à l’âge de 94 ans.

Certains à gauche ont raillé le « légalisme pointilleux » et la « naïveté politique » de Salvador Allende. Ces « erreurs » et « errements » furent, pour ses détracteurs, autant responsables de sa chute que la trahison des militaires ou les entreprises de déstabilisation constantes du patronat chilien et de l'impérialisme étasunien.

En réalité, l'expérience du gouvernement d’Unité Populaire est aujourd'hui davantage porteuse d’enseignements que les révolutions de la première moitié du 20e siècle qui, dans le contexte de deux guerres mondiales, offrent un schéma militarisé du processus révolutionnaire. La présidence d’Allende permet de penser les mouvements de résistance populaire en cours en Amérique Latine ou ceux potentiels, en Grèce ou en Europe. Le gouvernement d’Unité Populaire, unitaire et pluraliste, lutta pour le socialisme en organisant à chaque étape le plus grand rassemblement des forces populaires autour d'objectifs concrets et radicaux, qui répondaient aux besoins du peuple chilien. Il a échoué face à la résistance acharnée des possédants, mais cette défaite n’invalide pas la pertinence de la démarche.

Quelles que soient ses erreurs, Allende s’est comporté avec un courage et une dignité d’homme d’État jamais égalée depuis dans la gauche internationale. Salvador Allende était un socialiste ; un socialiste chilien. Il a tenté, dans l’adversité croissante, de gouverner tel quel et jusqu’à sa mort. C’était le 11 septembre 1973, il y a quarante ans.

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