GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Jeunes

Le 4 février, un nouveau « 4 août » ?

"Forfaiture"... Voilà le mot qui a dû trotter dans la tête de millions de citoyens, début février, alors que notre président, de façon d'autant plus révoltante qu'aucune résistance apparente ne semblait se constituer, faisait modifier la constitution, afin qu'elle puisse accueillir en son sein le traité de Lisbonne, improprement appelé "mini-traité" ou "traité simplifié". Revenons sur cet évenement essentiel à l'aune des développements politiques récents.

Sans surprise, Sarko a opté pour une ratification par voix parlementaire. Son argument était d'une simplicité enfantine : "Cette décision était dans mon programme de candidat. J'ai été élu par près de 20 millions de Français, qui ont donc validé par avance ce choix". Argument simpliste s'il en est, auquel on peut répondre de plusieurs façons:

  • 1. Faut-il rappeler que la plupart de nos concitoyens ne votent pas pour un candidat après avoir appris par coeur son programme ? L'an dernier, la question européenne était, dans l'ordre des priorités, loin derrière les salaires, la santé ou l'enseignement...
  • 2. Si les promesses électorales sont à ce point des dossiers que notre vertueux président s'assigne à prendre en main, comment expliquer que le pouvoir d'achat des salariés soit en berne ? Comment expliquer que les petites retraites n'augmentent pas ? Décidément, Sarko a une relecture à géométrie variable de ses engagements de campagne...
  • 3. Les élections ne sont que le reflet à un moment t du rapport de force social et politique au sein d'une Nation. On ne peut pas s'appuyer pendant 5 ans sur le résultat d'une élection, la participation fût-elle record. Les sondages et les résultats des municipales montrent suffisamment que la confiance presque irrationnelle qu'une partie des Français avaient placée en Sarko s'est littéralement envolée en quelques mois. Sarko va-t-il pour autant se démettre ?
  • Comme souvent, la vérité est ailleurs. Lors d'une allocution devant des parlementaires européens, il y a quelques mois, Sarkozy a été amené à reconnaître que tout référendum en France sur la question du nouveau traité européen aboutirait à un nouveau vote négatif des Français. Ce n'est donc pas l'urgence de la situation qui le pousse à opter pour une ratification parlementaire "pour sortir l'Europe de l'ornière", mais bien la certitude qu'il a que le peuple français repousserait ce texte, comme il a repoussé à une majorité conséquente le TCE au soir du 29 mai 2005. On pourrait s'arrêter là et imputer ce déni de démocratie au mépris profond qu'a Sarko pour le peuple quand il ne pense pas comme lui. Cependant, la forfaiture démocratique auquel nous avons assisté est bien plus profonde qu'elle n'en a l'air. Soyons pour une fois indulgents et reconnaissons que, cette fois-ci, il serait malhonnête de tout mettre sur le dos de notre Bonaparte national...

    La frustration des militants et des citoyens attachés à l'Europe sociale est en d'autant plus tenace, que nous pouvions stopper Sarkozy sur cette question fondamentale. Nous avions en effet en main l'instrument politique et institutionnel qui aurait pu imposer à Sarkozy le recours au référendum et qui aurait donc permis au peuple souverain de s'exprimer sur ce que lui seul pouvait trancher.

    Comme l'a rappelé à plusieurs reprises le Comité pour un Référendum, dont

    l'Offensive Socialiste faisait partie,

    le référendum sur le traité de Lisbonne n'était pas le fait du prince ! Il ne s'agissait pas de supplier humblement Sarko Ier, comme l'on quémande une grâce... En effet, si le président n'obtenait pas un vote majoritaire aux 3/5ème du Congrès réuni à Versailles, mécaniquement, il était contraint, s'il tenait à adopter le soit-disant "mini-traité", à recourir au référendum. Il n'y avait là point de fatalité, puisque le second tour des élections législatives a fortement limité la majorité de droite à la Chambre et que les rangs de l'opposition, Assemblée et Sénat confondus, dépassaient les 2/5ème du Congrès. Il existait donc bel et bien, en son sein, une minorité de blocage susceptible d'imposer un référendum. Le ressaisissement populaire du 17 juin dernier avait au fond eu le mérite d'empêcher le Congrès de devenir une vulgaire chambre d'enregistrement aux ordres de Sarko. D'ailleurs, les journalistes et autres observateurs des classe possédantes ne s'y étaient pas trompés et, dès le soir du scrutin, avaient fait le lien entre le réveil du peuple de gauche et la question européenne.

    La gauche a donc une lourde responsabilité à porter dans cette affaire. La direction de notre parti en tout premier lieu, puisque c'est sur elle que s'exerce le plus directement et le plus sûrement les pressions politiques sarkoziennes en appelant à "l'union sacrée", au nom des "réformes nécessaires". Débauchage de ministres "d'ouverture", absence d'opposition à la droite lors du mouvement social fin 2007 et attraction du Modem sont les trois faces d'une même pièce. En effet, Sarkozy a besoin d'une large majorité idéologique, beaucoup plus large que sa simple majorité parlementaire, s'il veut réellement appliquer son programme de régression sociale, qui n' a guère comme parallèle que la machine de guerre thatcherienne mise en place au début des années 1980 contre la classe ouvrière anglaise. En retour, notre parti, en pleine confusion idéologique, est tenté de s'aggripper aux mains tendues et d'accepter de faire des concessions politiques au camp ennemi... C'est bien ce qui s'est passé le 4 février dernier, lorsque 32 socialistes ou apparentés ont voté "Oui" avec la droite, et que 151 parlementaires de l'ex-Gauche Plurielle ont préféré les compromission de l'abstention au vote "Non", seul vote conforme à la souveraineté populaire. Les pro-sarko du type Lang et Valls, ainsi que la foule des abstentionnistes, ont permis au coup de force de se produire, puisque si tous les élus d'opposition avaient voté conformément à ce qu'exigeait leur mandat populaire, il y aurait eu 361 votes négatifs et la barre des 3/5ème n'aurait jamais été franchie...

    On pourrait palabrer des heures sur ces parlementaires bien peu attachés à leur mandat populaire ; gageons d'ailleurs que certains gauchistes en manque de sociaux-démocrates à insulter vont s'en faire un plaisir... Nous préférons nous concentrer sur ceux qui, tels les députés socialistes et républicains de 1940 refusant d'accorder à Pétain les pleins pouvoirs, ont valeureusement dit leur opposition à la politique antidémocratique de Sarkozy et au traité européen, tout autant libéral, clérical et antidémocratique que son prédécesseur, le TCE rejeté dans les urnes par plus de 55 % de Français ! Ces véritables représentants du peuple de gauche, s'ils avaient franchi la limite des 2/5ème, auraient, conformément au voeu de leur électorat et de leur base sociale, ouvert la voie politique, pour chasser Sarko et sa bande et, par suite, pour désigner une assemblée constituante à même de nous représenter réellement.

    Nous voilà donc dans l'ère du Traité de Lisbonne, improprement appelé "mini-traité", car il n'a de "mini" que le nom. Certes, par rapport au TCE rejeté en 2005, certains termes changent, puisque le texte ne se présente pas comme une constitution. Mais là où le bât blesse, c'est que le texte est un véritable copié-collé du TCE. La "concurrence libre et non faussée", chère aux libéraux, est réaffirmée une nouvelle fois dans le protocole 6. La clause, stipulant que la BCE est indépendante et que son seul objectif est la lutte contre l’inflation est maintenue et la stabilité des prix devient même un objectif de l’Union. Enfin, le "dialogue" officiel avec les Eglises, remettant en cause la loi de 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat, est conservé dans le point 28. Giscard n'avait-il pas d'ailleurs dit, il y a peu, que le seul avantage de ce traité par rapport au feu TCE était d'être davantage "incolore et indolore" ? Pour autant, l'Europe-marché sans substance politique, le rêve des libéraux censé détruire les acquis démocratiques et sociaux des peuples d'Europe, ne l'a pas définitivement emporté.

    Plus que jamais, il convient de continuer la lutte pour une Europe vraiment politique et démocratique, pour une Europe sociale, garantissant l'emploi et les droits des salariés du continent. Nous n'oublions pas que la direction du PS a laissé faire, tandis que la direction du MJS votait une résolution condamnant le coup de force de Versailles lors de son CN de février. Il est cependant à regretter que nous n'ayons pas davantage entendu le MJS sur cette question, lui qui avait pourtant pris courageusement parti pour le "Non" au TCE en 2004. Mais, nous continuerons à militer, avec d'autres, au sein du PS et du MJS pour que ces organisations, nées du salariat, retrouvent leur base sociale naturelle, mise à mal par la mondialisation, la déréglementation et par l'Europe libérale. Pour ce faire, il faut se battre, dans la transparence et le respect de la démocratie, pour redresser leur ligne politique et faire du socialisme organisé un outil pour ceux qui n'ont pas renoncé à construire un autre monde.

    Jean François Claudon

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