GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Écologie

Gestion de l'eau : question éminemment politique

En Europe, la disponibilité de l’eau semble aller de soi. Pourtant, en raison de la crise climatique, la sécheresse s’y installe. Ce phénomène est amplifié par les pratiques de production agroalimentaire intensives. D’après l’ONU, le monde devra faire face à un déficit hydrique global de 40 % dès 2030. Aujourd’hui déjà, un tiers de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable.

L’ONU a défini un statut particulier pour l’eau en 2010 : « Le droit à une eau potable propre et de qualité et à des installations sanitaires est un droit de l’homme, indispensable à la pleine jouissance du droit à la vie ». Malgré cela, sa raréfaction en fait une denrée de plus en plus précieuse, qui aiguise les appétits d’un monde néolibéral sans cesse à l’affût de nouvelles sources de profit. Le mode de gestion adopté par l’Australie ou la Californie est édifiant sur ce plan.

L’eau à la bouche… du capital !

L’Australie souffre déjà très concrètement de la raréfaction de l’eau... Elle est le 2e pays consommateur après les États-Unis. 65 % de celle-ci sont liés à l’agriculture. Se fondant sur la théorie de la rareté de Walras* et sur les préceptes de l’économiste Mike Young, pour lequel la manière optimale de gérer une ressource rare passe par le marché, le gouvernement a décidé dès 1994 de mettre en place un marché de l’eau avec des quotas individuels de prélèvement échangeables. Un système censé soutenir l’économie tout en empêchant le gaspillage de la ressource, et supposé « améliorer la rentabilité économique de l’eau en favorisant les transferts vers les secteurs agricoles à plus forte valeur ajoutée », comme la vigne ou l’horticulture. Comme on pouvait s’y attendre, ce système incite à la spéculation avec des conséquences dramatiques pour les plus petits exploitants.

La Californie est très gourmande en eau, et 80 % y sont dépensés par l’agriculture intensive, alors que les particuliers sont extrêmement contraints aux économies. Au début des années 1990, après plusieurs années de sécheresse, l’état a créé une banque de l’eau, qui a acheté et revendu des droits de prélèvements pour gérer la pénurie. En 2020, l’eau est devenue un produit financier, et la Bourse de Chicago et le Nasdaq ont lancé des contrats à terme sur celle-ci ! Ceci est censé permettre de « se couvrir contre la volatilité des prix » !

On a pourtant l’exemple de ce que cette marchandisation de l’eau peut donner en termes financiers avec Thames Water en Angleterre, dont les 50 milliards de dollars de dettes créés par le fonds vautour de la Banque Maquarie sont au final remboursés par les contribuables…

Un commun à préserver

La gestion de la production et de la distribution d’eau potable dans le monde est en partie aux mains du secteur privé, un oligopole où les géants français Véolia et Suez sont leaders. Il faut compter aussi les producteurs d’eau en bouteille comme Nestlé, Danone, Coca et Pepsi, qui continuent à pomper dans les sources malgré les sécheresses. Pour toutes ces entreprises, le fonctionnement est le même : acheter, traiter et conditionner de l’eau municipale à très bas prix, pour la revendre en bouteilles parfois 133 fois plus cher ! Et quand on sait qu’en France, quatre verres d’eau sur dix sont issus de bouteilles...

Selon certaines études, le marché mondial de l’eau devrait atteindre 1 000 milliards de dollars en 2025. C’est « l’or bleu » du XXIe siècle ! En 2016, 90 % de sa gestion mondiale restaient encore dans le cadre de régies publiques. On ne peut que batailler pour que ce pourcentage augmente.

Car l’eau est un « commun », un élément naturel précieux qui n’appartient à personne, et devrait être géré au mieux pour le bien de toutes et tous. C’est totalement contradictoire avec une approche néo-libérale qui la soumet aux lois du marché, au profit.

Solution planification !

Il s’agit a contrario d’avoir une approche systémique et globale de la question. D’assurer en même temps son accès à tous, agir pour davantage de sobriété, l’économiser, notamment par des choix sur le plan de l’agriculture, mais également préserver sa qualité et sa durabilité.

Cela implique de se projeter, de planifier la transformation de notre modèle agricole, vers une agriculture paysanne économe et vertueuse. De planifier aussi l’entretien et le renouvellement des infrastructures, des réseaux de canalisations, afin de prévenir les fuites et le gaspillage. Un grand plan d’investissement, d’aides aux collectivités compétentes, est nécessaire.

Il faut aussi protéger l’eau des pollutions liées aux produits phytosanitaires utilisés par l’agriculture intensive (pesticides…), traiter les nouvelles pollutions insidieuses (nanoparticules…), mettre un terme aux coupes rases de forêts, aux barrages de grande taille, au détournement de lits de rivières, à la privatisation des barrages existants.

Les inégalités d’accès à l’eau constituent un facteur majeur de conflits. Il faut affirmer le droit à l’eau, comme droit humain de base. Cela pourrait notamment se traduire par la gratuité des premiers m3 indispensables à la vie.

Cet article de notre camarade Christian Bélinguier a ét épublié dans le numéro 291 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Selon la théorie de la rareté de Léon Walras, le plaisir d’une consommation d’une unité de bien dépend de la quantité consommée et du plaisir procuré par cette quantité. Ce plaisir sera d’autant plus important si le bien est défini par sa rareté. C’est notamment en se fondant sur cette théorie que certains économistes requalifient le bien commun de l’eau en tant que bien économique.

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