GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

“L’universalisme républicain” face au racisme décomplexé

Nous reproduisons ici la chronique « Internationales » de notre ami Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à l'University College de Londres. Cet article est paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°224/225 d’avril-mai 2015.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) vient de publier son rapport annuel. Ce document détaillé dresse l’état des lieux du rapport des Français au racisme, à l’antisémitisme et à la xénophobie.

Intolérance et racisme en hausse

Les résultats de ce rapport sont aussi déprimants qu’inquiétants : 70 % des sondés estiment qu’il y a trop d’immigrés en France ; 45 % ont une opinion négative de l’islam, les préjugés antisémites enregistrent des scores élevés (62 % pensent que les juifs ont un “rapport particulier à l’argent”), et le rejet des Roms est généralisé et virulent (77 % considèrent qu’ils ne veulent pas s’intégrer en France).

46 % des Français affirment que la religion musulmane constitue un groupe à part dans la société, contre 6 % pour les catholiques, 8 % pour les protestants et 28 % pour les juifs. 40 % d’entre eux estiment que l’interdiction de consommer du porc et de boire de l’alcool “pose problème à la vie en société”, et 79 % déplorent le port d’un simple foulard par certaines musulmanes.

De manière générale, la parole raciste varie en fonction de deux facteurs principaux : la situation sociale et économique et le discours public à l’endroit des minorités. En période de crise économique, l’intolérance s’accentue et les minorités deviennent souvent le bouc-émissaire de problèmes dont ils ne sont aucunement responsables. La population aussi est influencée par le discours des médias et du personnel politique. En d’autres termes, ce ne sont pas tant les actes qui créent le racisme, mais la façon dont les “faiseurs d’opinion” en parlent.

Un racisme décomplexé et libéré

Il existe en France aujourd’hui un racisme décomplexé et libéré car il est légitimé par les déclarations et les actions (ou inactions) de personnages ou institutions publics dont le rôle devrait être de le combattre sans relâche et de le délégitimer. Les exemples récents abondent : Manuel Valls qui réclame “des Whites, des blancos” sur le tournage d’un documentaire, “l’humour” franchouillard raciste de Brice Hortefeux sur la nécessité d’avoir un arabe, “mais pas trop car alors les problèmes commencent” ; Valls, encore, stigmatisant l’ensemble de la population Rom dont il décrète que sa “culture est incompatible” avec celle des Français, les injures et attaques racistes à l’encontre de Christiane Taubira par les partisans de la manif pour tous, à peine défendue par ses collègues au gouvernement ; Philippe Tesson relaxé par la justice après avoir déclaré que les “musulmans amènent la merde en France” ; Nicolas Sarkozy et l’UMP contre les menus sans porc à l’école ; la saturation des ondes par les idéologues du “Grand remplacement” tel Éric Zemmour ou les réactionnaires en guerre contre le “politiquement correct de l’antiracisme”, tel Alain Finkielkraut et, last but not least, la campagne anti-hijab commencée il y a 26 ans par des laïcistes intégristes de la gauche caviar (Élisabeth Badinter, Alain Finkielkraut, Régis Debray, etc.) lors de la première affaire du foulard dans un lycée à Creil, et jamais interrompue depuis. Cette gauche caviar ayant abandonné la lutte contre les inégalités sociales (si tant est qu’elle s’y soit un jour intéressée) a souhaité faire oublier ses propres renoncements sur le dos des populations immigrées et prolétaires. C’est une escroquerie politique majeure.

À travers une lecture scandaleusement dévoyée de la laïcité qui a conduit à la loi de 2004, un racisme institutionnalisé jusqu’aux plus hauts sommets de l’État s’est imposé en France depuis une vingtaine d’années. Ce fait marquant a légitimé le racisme décomplexé, et libéré la parole raciste d’une partie croissante de la population.

Un universalisme franco-centré

Force est de constater que la France “républicaine”, officiellement au-dessus des différences raciales et religieuses, est l’une des sociétés les plus “racialisées” en Europe. La doxa laïco-républicaine à la française qui martèle ad nauseam les notions de “liberté, égalité, fraternité” comme le prêtre prononce la messe, ne résout rien. Le discours laïco-républicain est magique car il ne s’accompagne pas de politiques anti-racistes et anti-discriminatoires adéquates sur le terrain. Celles-ci se donneraient les moyens de combattre le racisme dans la pratique, mais la bourgeoisie au pouvoir n’en a que faire de l’égalité, toute préoccupée par le démantèlement de l’État social. Le récit républicain français d’une citoyenneté universelle, a-raciale et a-culturelle est un leurre. La France est en réalité un pays catho-laïque qui promeut un communautarisme franco-centré. Ce dernier protège les valeurs et les intérêts de la bourgeoise républicaine au pouvoir. Tant que l’on ne rompra pas – notamment à gauche – avec ce discours incantatoire et défaitiste, le racisme décomplexé continuera de progresser, ainsi que son principal bénéficiaire : le Front national qui, fort naturellement, revendique haut et fort ce républicanisme et cette laïcité franco-centrés.

Document PDF à télécharger
L’article en PDF

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…