GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Jaurès et l’école : pour une éducation émancipatrice et laïque

A l'occasion du centenaire de la mort de Jean Jaurès, la revue Démocratie Socialisme a commencé la publication d’une série d’articles sur le martyr de juillet 1914. Nous reproduisons ici l’article paru dans la revue D&S de janvier 2014.

Le 31 juillet 2014 marquera le centième anniversaire de l’assassinat de celui qui, jusqu’au bout, a tenté d’éviter la catastrophe d’un conflit jetant les peuples les uns contre les autres. Nous continuons notre série d’articles sur le tribun socialiste et c’est un autre aspect de la pensée jaurésienne, peut-être moins connu mais tout aussi fécond, que nous explorons ici. Jaurès a beaucoup écrit, réfléchi et disserté sur l’école. Par ses articles dans la presse, dans des revues pédagogiques ou dans ses discours à la Chambre des députés, il ne manque jamais une occasion de rappeler son attachement au système éducatif laïque. Partisan des pédagogies novatrices de son temps, il fut également un des premiers défenseurs actifs du droit des enseignants à se syndiquer pour faire vivre une école démocratique. Cent ans après, à l’évidence, nous avons encore à apprendre de Jaurès.

Un rapport personnel et direct à l’école

Jaurès entretient avec l’école un rapport direct empreint d’un immense respect pour le corps professoral, dont il est lui-même un membre éminent. Tout jeune, il bénéficie d’une bourse pour étudier au collège de sa ville de Castres. Reçu premier au concours d’entrée à Normale Sup il décroche, en 1881, l’agrégation de philosophe. Il demande alors un poste au lycée d’Albi dans son sud-ouest natal. Jaurès se fait une haute idée de son métier de professeur et prépare ses cours avec un grand soin. Après deux années passées à Albi, Jaurès est nommé à l’Université de Toulouse où il enseigne la philosophie. En 1885, élu député du Tarn, il délaisse provisoirement ses fonctions professorales. Battu en 1889, il retrouve ses étudiants de l’Université toulousaine puis est élu adjoint au maire de la ville. Chargé de l’instruction publique, il met en œuvre ses idées en matière de politique éducative. Partisan de l’ouverture d’écoles primaires publiques par les communes, il y œuvre durant trois ans. Réélu député en janvier 1893, Jaurès quitte définitivement le monde de l’enseignement mais il suit de très près les questions liées à l’école jusqu’à la fin de sa vie.

Pour une école laïque

D’abord comme étudiant puis comme professeur et élu la pensée éducative jaurésienne poursuit le même but : une école au service du peuple. La première condition pour tendre vers cette ambition est la nécessité du caractère laïque de l’enseignement. Pour Jaurès, les lois Ferry de 1881-1882 sont un acquis indéniable qu’il faut consolider. Jusqu’au vote de la loi de Séparation en 1905, et même au-delà, il bataille sans relâche pour une application active de la laïcité scolaire. Partisan d’un monopole public sur l’enseignement il ne va cependant pas jusqu’à réclamer la nationalisation des écoles confessionnelles. Les esprits ne lui semblent certainement pas assez mûrs même si, selon lui, les fonds publics ne doivent être alloués qu’aux seules écoles de la République. L’école laïque doit avant tout permettre d’émanciper les jeunes esprits de la tutelle étouffante de l’Eglise. Jaurès mène de rudes batailles contre les cléricaux qui tentent de déstabiliser ou d’intimider les instituteurs en remettant en cause leur neutralité et en attaquant les manuels scolaires censés être contre le catholicisme. Ne séparant cependant jamais le combat laïque du combat social il déclare en 1910 dans le célèbre discours Pour la Laïque : « Laïcité de l’enseignement et progrès social sont deux formules indivisibles ».

Pour une école émancipatrice

C’est à travers ses articles dans La Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur que se dessine le projet éducatif global de Jaurès. Cette publication, destinée aux instituteurs et à ce qui serait aujourd’hui l’équivalent des professeurs de collège, ouvre ses colonnes au dirigeant socialiste à partir de 1905. Il s’aventure sur le terrain pédagogique et corporatif avec une connaissance sans faille des besoins des enseignants. Il n’a de cesse, lors de chaque discussion budgétaire, d’intervenir en faveur de crédits supplémentaires en faveur de l’école publique et n’hésite pas, en 1913, à mettre en parallèle les dépenses engendrées par la loi portant le service militaire à 3 ans et l’insuffisance de moyens accordés à l’éducation. Il réclame également que l’instruction obligatoire soit portée à 14 ans. Le député socialiste pense, qu’il faut aller vers l’unification du système scolaire et en finir avec le dualisme réservant les lycées aux seuls enfants de la bourgeoisie. Au niveau pédagogique, Jaurès part du postulat que tous les enfants sont capables de réussir et insiste, dans des nombreux articles, sur l’aspect central d’une bonne maitrise de la lecture. Cependant, loin d’abaisser les contenus, il appelle au contraire les maitres à ouvrir les enfants du peuple sur les classiques de la littérature et à transmettre, toujours avec enthousiasme, un contenu exigeant. Il souhaite aussi, en héritier de la culture humaniste, une ouverture sur les pratiques artistiques et sportives.

…et démocratique

Une solide formation initiale doit être prodiguée aux futurs maitres à qui la nation doit également assurer de bonnes conditions matérielles. Dans une intervention à la tribune de la Chambre en 1910 il s’élève contre le fait que « beaucoup d’entre eux (les maitres) plient sous le fardeau démesuré de classes énormes ». Délivrer les instituteurs du poids des notables locaux lui parait aussi une nécessité absolue. Jusqu’en 1914 les enseignements du primaire sont nommés sur proposition du préfet. Une loi, votée en avril 1914, et ardemment soutenue par Jaurès fait passer le pouvoir de nomination des préfets aux recteurs. C’est un premier pas vers l’indépendance des enseignants vis-à-vis du pouvoir politique. L’instituteur est également un citoyen qui doit pouvoir participer à la vie démocratique et pouvoir se présenter à une élection et, au début du XXème siècle, cela est loin d’être acquis. Jaurès prend également toute sa place dans le long combat pour la reconnaissance du droit syndical dans la fonction publique. Si les syndicats ouvriers ont été légalisés en 1884, il n’en va pas de même dans la fonction publique où le droit syndical est inexistant. Profitant de la loi de 1901 sur les associations, de nombreux instituteurs créent des Amicales où se discutent les revendications de la profession mais qui restent sous l’influence des notables locaux. Une minorité d’entre eux, souvent les plus jeunes, vont plus loin en proclamant leur volonté d’adhérer à la jeune CGT. En 1906, la fédération nationale des syndicats d’instituteurs publics émerge et lance, quatre ans plus tard, le bulletin l’Ecole Emancipée. Pour contrarier ces efforts d’organisation Clémenceau, alors ministre de l’Intérieur, s’érige en garant de l’ordre social et réprime les récalcitrants. En 1906 six fonctionnaires, dont Marius Nègre, secrétaire du syndicat des instituteurs sont révoqués. Ces syndicalistes courageux trouvent en Jaurès leur plus ardent avocat. Pour lui, les fonctionnaires ont le droit de défendre leurs intérêts. Invité par le premier congrès de la fédération des instituteurs en février 1906, il prononce un vibrant plaidoyer en faveur de l’action syndicale des enseignants même s’il n’envisage pas encore la grève comme une modalité d’action des instituteurs.

Ecole et socialisme

Le tribun ne sépare jamais le combat pour l’école du combat pour le socialisme. Une école égalitaire et démocratique est illusoire dans un système capitaliste. Dans un célèbre discours prononcé à la chambre des députés en 1893 Jaurès interpelle les élus de la Nation : « Comment voulez-vous qu’à l’émancipation politique des travailleurs ne vienne pas s’ajouter l’émancipation sociale quand vous avez décrété et préparé vous-même leur émancipation intellectuelle (…) Vous n’avez pas voulu seulement que l’instruction fut universelle et obligatoire : vous avez aussi voulu qu’elle fut laïque. Et qu’avez-vous fait là ? Vous avez interrompu la vieille chanson qui berçait la misère humaine…et la misère humaine s’est révélée avec des cris, elle s’est dressée et elle réclame aujourd’hui sa place au soleil du monde naturel ».

L’unité des travailleurs manuels et des intellectuels, de la classe ouvrière, des paysans pauvres et des instituteurs ouvrira la voie vers la République sociale !

A lire : Jean Jaurès, De l’éducation (anthologie), présentée par Gilles Candar et Christian Laval, Syllepse, 2005.

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