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Face à la marchandisation du monde, des services publics pour le XXIe siècle

Aborder la question des services publics du XXIe siècle est pour le moins complexe. Et surprenant : parler d’une projection dans le XXIe siècle est un peu incongru quand on en a déjà vécu plus de 16 % ! Comment prévoir ce que doivent être ou/et ce que seront les services publics demain ?

Réfléchir sur les services publics de demain impose d’éviter quelques écueils. Nous devons déjà clarifier de quoi nous parlons : le service public comme « principe » peut être rendu par différents outils que sont les services publics sous différentes formes, les entreprises publiques, des entreprises privées, des associations.

Premier écueil à éviter

Le premier écueil est que bien souvent, les réflexions partent de principes hérités de la fin du XIXe – début XXe siècles forgés à partir de la conception française du service public avec les écoles de Toulouse (Maurice Hauriou, positiviste et libéral) et surtout de Bordeaux (Léon Duguit, solidariste, proche des radicaux), donc ni l’un ni l’autre ne sont des marxistes. Il convient aussi de situer leur approche dans le contexte de l’époque à savoir le développement du capitalisme industriel et du concept de nation avec un État très centralisé.

La période particulière de l’après-guerre avec un rapport de force plus favorable qu’actuellement pour les travailleurs a élargi le service public et les services publics dans le cadre de l’État-providence. Il y a donc une forte présence de l’État, structure très centralisée avec une place importante du service public dans le cadre du compromis fordiste.

Avec le développement de la crise à partir des années 1970, ce schéma subit des attaques et petit à petit le service public se transforme avec notamment une réduction des services publics et une transformation des entreprises publiques de service public.

Aujourd’hui, le capitalisme est avant tout financier, mondial et en crise systémique. Il essaie de se régénérer via le « capitalisme vert » et de rétablir son taux de profit en rendant profitable tous les secteurs de la vie sociale. C’est la logique de privatisation, de délégation du service public.

Dans le même temps se développe une forte campagne contre les dépenses publiques visant à réduire drastiquement celles-ci, donc les politiques publiques.

 Cette période voit se développer

  • un double mouvement avec les phases successives de la décentralisation et une intégration plus poussée dans l’Union européenne, ainsi que
  • deux évolutions majeures :
  • La révolution informationnelle, des évolutions scientifiques et techniques ultrarapides ;
  • L’émergence de la question environnementale.

Enfin, élément essentiel pour nous, le rapport de force est très nettement moins favorable aux travailleurs qu’après la guerre.

Un second écueil

Le second écueil à éviter est que nous réfléchissions sur le service public de demain dans une sorte de société que nous voudrions « idéale », en ayant dépassé le capitalisme, donc une société que nous appellerions « socialiste ».

Intellectuellement, c’est sans doute très satisfaisant. L’utopie fait rêver ; cependant, le service public ayant pour fonction première la réponse aux besoins, nous devons apporter des réponses concrètes pour aujourd’hui, demain et après-demain. Cela nous oblige donc à croiser théorie et pratique, à prendre en compte la réalité d’aujourd’hui pour le transformer.

La conclusion est donc que nous devons collectivement faire l’effort de penser aux services publics de demain à partir de concepts renouvelés, sans pour autant abandonner les grands principes d’hier, prenant en compte la réalité d’aujourd’hui et les possibles de demain.

Quelle société demain ?

Si nous pensons que le service public est un instrument visant à satisfaire l’interdépendance sociale et à maintenir un lien social, une cohésion sociale, un outil de la transformation sociale et écologique, une composante de l’aménagement des territoires et un moyen de la réponse aux besoins, la question essentielle est : dans quelle société vivrons-nous demain, quelle société voulons-nous construire ensemble ?

J’ai l’impression que pas grand monde ne peut répondre sérieusement à cette question. Il convient donc, à partir de quelques grands principes, d’être très pragmatique pour avancer ensemble.

Des grands principes

Même si c’est de façon très rapide, il convient de soulever quelques points qui me paraissent importants pour construire le service public comme principe, du XXIe siècle.

Prendre en compte les besoins. Le service public se définit comme une activité d’intérêt général prise en charge par une personne publique ou privée pour le compte d’une personne publique en vue de satisfaire l’intérêt général. Cette activité se concrétise par des politiques publiques, qui se présentent sous la forme d’un programme d’actions ou de missions propre à une ou plusieurs autorités publiques (locale, nationale, européenne).

Premier point : l’intérêt général est aujourd’hui partagé entre l’Union européenne, l’Etat, les collectivités territoriales. Second point : l’intérêt général connaît des limites, car c’est la loi qui définit ce qui relève de celui-ci. Or la loi est éminemment soumise aux rapports de force.

Sans abandonner l’intérêt général, l’avenir du service public passe sans doute par la prise en compte des notions de « biens communs », de « communs » ou de « biens universels » qui ont une valeur moins soumise aux aléas politiques. Mais cela ne doit pas empêcher d’élargir le service public en fonction des besoins à un moment donné ou/et dans un territoire donné.

La définition de ce qui doit relever du service public n’est pas simple et sans doute encore plus compliquée si nous voulons tenir compte du souhaitable et du possible. Nous citons souvent la santé, l’éducation, la formation, la mobilité, le logement, la culture, la sécurité, etc. Tout ce qui permet la vie au quotidien peut donc relever du service public. Est-ce souhaitable ? Est-ce possible ?

L’autorité publique doit-elle tout piloter ? Comment, par exemple, articuler politique publique et appropriation sociale des moyens de production ?

Cela pose aussi la question de la définition des besoins, tout en sachant que le consumérisme est un des moteurs du capital ? Par exemple, la téléphonie mobile doit-elle relever du service public ?

Après avoir défini ce qui en relèverait, il nous faut alors réfléchir à la définition des politiques publiques et à leur mise en œuvre concrète (services publics, entreprises privées, associations). Est-ce que ce ne sont que les services publics qui doivent mettre en œuvre les politiques publiques ? Si la réponse est positive, il suffirait de nationaliser un certain nombre d’entreprises et transformer de multiples associations en services publics…

La démocratie. La démocratie est un axe essentiel pour le service public de demain. Nous ne construirons pas celui-ci sans les citoyens, dans un cénacle réservé à quelques uns, même avec les meilleures idées possibles.

Dans le contexte actuel, la co-construction des politiques publiques et des services publics est un axe à la fois en termes de démocratie et d’assurance d’une réponse en phase avec les besoins. Cette co-construction doit être articulée avec le rôle des élus notamment au niveau de la décision.

La démocratie voudrait aussi qu’il y ait une intervention citoyenne et des personnels dans la « gouvernance » des services publics.

Enfin, l’évaluation démocratique des politiques publiques est indispensable.

La démocratisation concerne aussi les salariés travaillant dans les structures réalisant le service public.

La territorialisation. Depuis plus de 35 ans, la France est un État décentralisé. Le rôle et le place de l’Etat a profondément changé, avec un glissement progressif de type fédéraliste.

Les collectivités territoriales en particulier la région, la métropole et l’intercommunalité ont pris une place de plus en plus grande – au détriment de la commune et du département –, place renforcée par la dernière réforme territoriale et de l’État.

Le rapport au territoire a visiblement lui aussi changé. Le capital considère le territoire comme un facteur de production. Mais dans le même temps l’idée de vouloir faire société dans un territoire se développe.

Les politiques publiques relèvent de plus en plus des collectivités territoriales, dans leur définition et surtout dans leur mise en œuvre. La nécessité de politiques publiques nationales demeure essentielle dans un certain nombre de domaines (par exemple dans le domaine fiscal : TVA, IR…). Dans d’autres domaines, c’est nettement moins vrai.

Les réponses attendues et mises en œuvre prennent toujours plus en compte les réalités locales. Elles ne sont souvent plus uniformes sur l’ensemble de notre pays. Dans ce cadre, le principe de subsidiarité, en lien avec la démocratisation évoquée ci-dessus, contesté par certains, apparaît aujourd’hui comme un outil pertinent.

Cela soulève bien sûr de façon différente notamment les questions d’égalité d’accès et de péréquation. Nous devons construire les réponses les plus adaptées à chaque situation. Cela peut avoir des effets importants par rapport à ce que nous connaissons. Par exemple, il suffit de voir les conséquences de la production locale d’énergie par rapport à un système très centralisé.

Le service public ne peut pas se penser seul. Il est partie intégrante de l’aménagement des territoires, en lien avec l’industrie et les services.

L’Union européenne. Réfléchir au service public de demain nous oblige à prendre en compte l’Union européenne… au moins tant que nous n’en sommes pas sortis !

La question du service public et des services publics européens n’est pas la plus simple sachant que cela supposerait sans doute une intégration encore plus forte, tout en intégrant des notions très différentes selon les pays.

La révolution informationnelle. Comment ne pas intégrer la révolution informationnelle dans notre réflexion ? Près de 90 % des procédures administratives sont numérisées, le courrier papier est de plus en plus remplacé par le courrier électronique. Même au niveau de la santé, des évolutions importantes sont en cours. De plus den plus de services sont accessibles depuis chez soi.

L’intelligence artificielle est en train de transformer notre société, nos façons de travailler, de nous divertir, de vivre. Une société plus collaborative, plus contributive émerge non sans conséquences en termes d’exclusion, de pauvreté notamment.

Le rapport au travail et à l’emploi bouge. Sans être exhaustif, nous pouvons citer le travail des consommateurs, le travail collaboratif, le télétravail, le travail dans un environnement assisté, le travail non salarié… Nous devons réexaminer notre conception du travail.

Ces évolutions ne peuvent qu’avoir des conséquences en termes de politiques publiques et au niveau de leur mise en œuvre. Globalement, le service public ne se construit plus « verticalement », mais « horizontalement », en réseau. Il faudrait aussi aborder le travail des usagers du service public. Le numérique nous oblige aussi à revisiter les notions de « proximité », de l’accès au service public.

Le financement. C’est bien sûr un point majeur pour le service public. Il convient déjà de souligner que le service public est producteur de richesses, c’est un investissement et pas seulement un coût.

Dans l’immédiat, il serait facile de réorienter les sommes données sans contrepartie au patronat vers le service public, de lutter contre la fraude fiscale, etc.

Mais, nous ne pouvons pas éviter d’avoir un vrai débat portant sur ces questions :

  • Quelle part des richesses créées les citoyens veulent consacrer au service public ?
  • Comment fait-on ? Le PIB, même s’il croît régulièrement, n’est pas sans limites.

Nous retrouvons aussi ici la problématique de la péréquation.

Des grands principes à faire évoluer. Depuis un peu plus d’un siècle, le service public en France s’est construit sur quelques grands principes : égalité d’accès et de traitement, continuité, adaptabilité. Nous pouvons ajouter : la pérennité, la qualité, la neutralité. Ces principes demeurent totalement d’actualité, même s’il faut sans doute les revoir en fonction des éléments – qui ne sont pas exhaustifs – évoqués ci-dessus.

Rien n’est écrit d’avance, sauf la volonté des libéraux et du capital de poursuivre la casse du service public. Il n’y aura pas de grand soir du service public, mais une construction discutée et partagée par les différents acteurs concernés, prenant en compte la réalité et en ayant une utopie réalisable.

Cette co-construction nécessite de prendre en compte les grandes évolutions actuelles, y compris en intervenant sur celles-ci et les grands principes qui irriguent le service public dans notre pays.

Par exemple, la préconisation du CESE dans son rapport de janvier 2017 (« L’évolution de la fonction publique et des principes qui la régissent ») demandant la réunion d’« assises nationales et territoriales du service public » peut ouvrir quelques perspectives.

Didier Lassauzay (article paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°245 de mai 2017)

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