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International – Europe

Europe : en finir avec la « politique du hanneton »

Le hanneton voit la lumière, mais pas la vitre qui l’en sépare. Il fonce droit dessus, s’assomme, se relève et recommence. À chaque élection européenne, les sociaux-démocrates européens ont pratiqué la « politique du hanneton ». Ils ont promis aux électeurs la lumière de l’harmonisation fiscale et sociale par le haut, mais ils se sont bien gardés de leur rappeler l’existence des traités l’interdisant.

Il est impossible de parvenir à l’harmonisation fiscale et sociale par le haut, indispensable pour changer l’UE, dans le cadre des actuels traités européens. Pour établir un Smic européen par exemple, l’unanimité des 28 États-membres au Conseil européen est en effet nécessaire. Ce qui est hautement improbable. Certes, le Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) indique qu’une « clause passerelle » pourrait permettre d’adopter des modifications substantielles à la majorité qualifiée avec 16 États-membres sur 28, représentant au moins 65 % de la population. Mais pour que cette « clause passerelle » soit mise en œuvre, il faudrait, au préalable, que cette procédure soit adoptée à l’UNANIMITÉ ! L’ensemble de la gauche doit en finir avec la « politique du hanneton » et ne pas cacher cette vérité.

Des avancées réelles

Des avancées, certes limitées, ont cependant été possibles et d’autres pourraient l’être. L’assiette consolidée de l’Impôt sur les sociétés est une condition nécessaire à l’harmonisation par le haut de cet impôt. La taxation des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Mircosoft) serait un progrès dans la lutte contre l’évasion fiscale. Plusieurs mesures votées par le Parlement européen visant à protéger l’environnement ont également constitué un progrès.

Ces avancées seront d’autant plus nombreuses que le nombre de députés européens de gauche au Parlement sera plus important. Cela pourra éviter, également, des votes contradictoires du Parlement européen qui, d’un côté, fixe des normes durcissant l’émission de CO2 des automobiles et, de l’autre, approuve le CETA, le traité de libre-échange entre l’UE et le Canada qui nivelle par le bas les normes environnementales.

Le Parlement a aussi permis d’éviter un certain nombre de reculs de l’UE et pourrait en empêcher d’autres. Ce fut le cas de l’abandon de la négociation de l’Accord mondial sur l’investissement en 1998. Le Parlement européen a également contribué à l’abandon partiel de la directive Bolkestein, qui décidait qu’un salarié devait être payé, non pas au salaire du pays dans lequel il travaillait mais au salaire de son pays d’origine. La généralisation de l’opt out, permettant de faire travailler les salariés européens au-delà de 48 heures de travail par semaine, a été rejetée par le Parlement européen en 2008.

D’évidentes limites

Il ne faut toutefois pas occulter les limites du pouvoir du Parlement européen. La seule institution européenne élue au suffrage universel est aussi celle qui a le moins de pouvoir : elle ne peut pas légiférer dans des domaines aussi importants que la fiscalité, la politique étrangère et de sécurité, la politique sociale… Dans ces domaines, le Conseil européen est le seul législateur. Le Parlement ne peut pas voter les ressources d’un budget européen pourtant dérisoire. La Commission européenne a, seule, l’initiative des actes législatifs.

Ce qui fait fuir les électeurs, ce n’est pas de souligner cette réalité. C’est, bien au contraire, le constant déni de démocratie que constituent les institutions de l’UE, leurs politiques continuelles de régression sociale et la « politique du hanneton » des sociaux-démocrates. Cette combinaison désastreuse a conduit à un désintérêt de plus en plus élevé pour les élections européennes. En 2014, l’abstention à ces élections s’élevait à 96,5 % en Slovaquie, à 81,8 % en République tchèque, à 76,2 % en Pologne, à 62,7 % aux Pays-Bas, à 57,6 % en France et à 52,1 % en Allemagne (moyenne de 56,2 % pour l’ensemble de l’Union).

La GDS a proposé à la discussion de toute la gauche cinq séries de mesures pour les prochaines élections européennes. Elle n’a pas mis en préalable la nécessité de rompre avec les traités européens, car cela aurait été un obstacle à une discussion de toute la gauche. Mais cela ne devrait, en aucun cas, amener à soutenir l’idée que le Parlement européen pourrait « changer la vie » : ses pouvoirs sont bien trop limités.

Déni de démocratie

15,5 millions d’électeurs en France ont pu, en 2005, faire l’expérience pratique de l’impossibilité de changer l’Europe dans le cadre des traités existants. Leur vote « non » avait recueilli 54,7 % des suffrages lors du référendum sur le TCE. Cela n’a pas empêché le traité de Lisbonne, copie conforme du précédent, de devenir, l’un des textes fondamentaux de l’Union.

Cette amère expérience constitue un point d’appui pour changer l’UE, car il ne sera possible d’y parvenir qu’en rompant avec les traités. Il faut cultiver cette précieuse expérience et rappeler, dès que l’occasion s’en présente, que le traité de Lisbonne est né d’un déni de démocratie. Cela enfoncera, du même coup, un coin dans le récit d’un Macron, chevalier blanc d’une Europe qui se prétend démocratique.

Cet article de nos camarades Jean-Jacques Chavigné et Pierre Timsit a été publié dans la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS), Démocratie&Socialisme n°259 de novembre 2018.

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