GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe La revue DS

Elections allemandes : les remords de l’unité perdue

L'article de bilan des élections allemandes, écrit par notre camarade Christakis Georgiou, a été publié dans le numéro 248 (octobre 2017) de la revue de GDS, Démocratie&Socialisme. Alors qu'Angela Merkel peine à former une majorité deux mois après les élections, cet article garde toute son actualité.

Les résultats des élections fédérales allemandes du 24 septembre ont confirmé les tendances alarmantes décrites par les sondages depuis plusieurs mois : recul important du SPD sans poussée compensatoire du reste de la gauche et, du coup, recul pour la gauche allemande dans son ensemble, mais aussi percée très forte au niveau fédéral du parti d’extrême droite AfD.

Il faut adjoindre à ces deux données fondamentales l’érosion significative du socle électoral pour la démocratie-chrétienne de la chancelière Angela Merkel, ainsi que le retour des libéraux du FDP au Bundestag. Le nouveau parlement fédéral sera donc composé de six partis, accroissant la fragmentation partisane dans un pays qui avait l’habitude des grands blocs et de la stabilité parlementaires.

L’entrée de l’AfD au Bundestag « normalise » l’Allemagne d’un deuxième point de vue : l’un des rares pays du capitalisme avancé où l’extrême droite ne réussissait pas à percer doit désormais compter avec un parti violemment hostile à l’immigration, à la diversité culturelle, aux valeurs progressistes en matière sociétale et à la solidarité intra-européenne. C’est d’ailleurs en attaquant la politique migratoire de Merkel de 2015, en diabolisant les immigrants et les musulmans et en dénonçant le mariage homosexuel instauré par la coalition sortante en mai dernier que l’AfD a réussi à déclencher un processus que l’on a déjà vu à l’œuvre dans les autres pays européens où l’extrême droite a percé : une radicalisation importante d’une partie de l’électorat de droite autour de thèmes identitaires et notamment l’opposition à l’immigration et à l’islam qui permet à l’extrême droite de s’attirer aussi une partie des couches salariées les plus précaires tandis que les bastions syndicaux restent plus fidèles à la gauche. En effet, une enquête de la Fondation Bertelsmann montre que les « précaires » ont voté à 32 % (13 % de moins qu’en 2013) pour Die Linke et le SPD, mais aussi à 28 % (18 % de plus qu’en 2013) pour l’AfD, c’est-à-dire plus de deux fois sa moyenne nationale (12,6 %). En revanche, 41 % des salariés syndiqués ont voté pour Die Linke et le SPD, plus de 11 % de plus que la moyenne nationale.

Les résultats

Il faut prendre la mesure des reculs essuyés par les deux grands partis de gouvernement : ils enregistrent tous les deux leurs scores les plus faibles dans l’histoire de la République Fédérale, et ce malgré une augmentation de la participation (76,2 % contre 71,5 % en 2013) censée leur être avantageuse, mais qui en réalité a largement joué en faveur de l’AfD et du FDP.

C’est la CDU/CSU qui recule le plus, même si elle reste de loin le plus grand parti et que Merkel dirigera la nouvelle coalition gouvernementale. La démocratie-chrétienne passe de 41,5 % en 2013 à 33 % et cède donc 8,5 %. Ce recul se fait clairement au profit d’abord du Parti libéral (FDP), puis de l’AfD : la CDU perd 1,36 million d’électeurs au premier et 980 000 au second. Si les pertes vers le FDP peuvent être analysées comme un retour à la normale –  le score du FDP (10,7 %) ramène le parti à un niveau proche de sa moyenne historique et lui permet de récupérer des électeurs qu’il avait perdus en 2013 –, les pertes vers l’AfD marquent une nouveauté radicale dans le paysage électoral allemand.

Le SPD recule tout de même aussi de 5,2 % – de 25,7 % à 20,5. Il ne parvient pas ainsi à continuer le redressement de ses scores électoraux enregistré en 2013 ; par conséquent, son déclin rapide depuis les années Schröder se confirme. Ses pertes se répartissent à peu près de manière égale entre les quatre petits partis : 470 000 vers l’AfD, 450 000 vers le FDP, 430 000 vers Die Linke et 380 000 pour les Verts (Die Grünen). Le SPD enregistre ses plus fortes pertes dans les parties de l’Allemagne occidentale les plus touchées par le chômage ; il subit donc de plein fouet les effets de la déstructuration du tissu social et de l’atomisation du salariat.

Le déclin du SPD ne se fait pas au profit du reste de la gauche qui stagne au mieux : Die Linke gagne 0,6 % passant à 9,2 % tandis que les Verts gagnent 0,5 % pour atteindre 8,9 %. Le score cumulé de la gauche est donc à peine de 38,6 % et elle ne détient plus que 289 sièges sur les 709 que compte le nouveau Bundestag.

En fait, si Die Linke a récupéré des électeurs au SPD, elle en a perdu presque autant (400 000) qui sont allés vers l’AfD. Les gains de l’extrême droite proviennent aussi pour plus d’un million de voix des abstentionnistes, bien plus que tout autre parti (le second – en l’espèce le FDP – n’en a guère mobilisé plus d’un demi-million). L’AfD enregistre de loin ses meilleurs scores dans les Länder de l’Est (et typiquement dans des endroits de faible immigration) avec 27 % en Saxe, 19,7 % en Saxe-Anhalt, 18,6 % en Mecklemburg-Poméranie et 22,7 % en Thuringe. Et c’est à l’Est que la CDU, mais aussi Die Linke, enregistrent leurs plus fortes pertes.

Aux origines du désastre

À notre sens, l’origine de la défaite de la gauche allemande est à rechercher dans son incapacité à constituer, dès 2013, un gouvernement rouge-rouge-vert.

Dès l’annonce des récents résultats, le SPD a déclaré qu’il ne participerait pas à la prochaine coalition électorale qui dirigera l’Allemagne, alors que Merkel continuait à lui faire des appels du pied pour reconduire la grande coalition. Cette orientation est clairement plébiscitée par la base militante du parti qui, malgré quelques avancées sociales (salaire minimum national, baisse de l’âge de départ pour les salariés ayant commencé à travailleur tôt) et sociétales (mariage gay) depuis 2013, voyait bien que les grandes coalitions avec la CDU/CSU tournent toujours à l’avantage de cette dernière et nuisent à la gauche dans son ensemble. Le SPD avait en effet récupéré des électeurs et vu ses résultats se redresser en 2013 après quatre ans dans l’opposition.

Ce choix de la direction du parti revient à admettre implicitement le principal enseignement politique de ces élections : quand la gauche est désunie, le seul résultat est la déroute. Car dans le Bundestag de 2013-2017, la gauche était majoritaire avec 320 sièges sur 631. Elle avait dès lors la possibilité de former une coalition rouge-rouge-verte mettant fin au règne de Merkel (qui était pourtant alors à l’apogée de sa popularité). Une telle coalition aurait pu mener une politique sociale ancrée solidement à gauche : les conditions économiques en Allemagne sont très bonnes, ce qui explique non seulement que le gouvernement de grande coalition a fait quelques gestes, mais aussi que les patrons allemands ont dû accepter que les salaires industriels repartent à la hausse depuis 2013.

Une coalition de gauche aurait par ailleurs été la meilleure nouvelle pour la gauche européenne dans son ensemble, tant le poids politique de l’Allemagne est important, d’autant plus dans le contexte de la crise de la zone euro. La gauche serait alors arrivée au pouvoir en France et en Allemagne en même temps avec la possibilité de réorienter substantiellement la politique européenne. Une coalition rouge-rouge-verte aurait pu augmenter significativement les dépenses publiques – notamment les dépenses d’investissement – exactement comme le proposait le SPD dans sa campagne de 2017 (voir D&S 247 paru en septembre). Ce choix aurait profité non seulement aux salariés allemands, mais aussi – et peut-être surtout – aux salariés européens. L’impulsion donnée à la demande domestique allemande aurait tiré les économies du Sud de l’Europe et leur aurait permis de récupérer bien plus vite des effets de la crise de la zone euro, et de s’ajuster de façon beaucoup plus symétrique. La gauche franco-allemande aurait peut-être même pu s’entendre pour négocier dès ce moment-là une réforme progressiste de la zone euro, avec des mécanismes de solidarité financière qui étaient déjà soutenus par tous les partis qui auraient alors été aux commandes (euro-obligations, budget central redistributif, assurance-chômage européenne, harmonisation de l’assiette et des taux de l’impôt sur les sociétés et le capital, chasse à l’évasion et aux paradis fiscaux au sein de l’UE) et qui sont en discussion aujourd’hui. En revanche, cette négociation aura lieu maintenant dans des conditions politiques autrement moins favorables, avec Macron en France et Merkel en Allemagne qui devra composer avec un Bundestag très droitier.

Enfin, une telle coalition aurait rendu très difficile la percée de l’AfD : une partie des précaires qui se sont tournés vers l’extrême droite aurait repris espoir en la gauche et la démocratie-chrétienne rejetée dans l’opposition aurait retenu ses électeurs radicalisés qui se sont reportés vers l’extrême droite.

Mais la direction du SPD et aussi, il faut bien le dire, celle de Die Linke ont préféré la division. Aucune n’a réellement envisagé un gouvernement rouge-rouge-vert. L’histoire retiendra que lorsqu’ils se sont réveillés en février dernier pour enfin l’envisager, il était bien trop tard.

Et maintenant ?

Plutôt que la reconduction d’une coalition de gauche qui n’a pas eu lieu ou celle de la grande coalition qui a sapé les socles électoraux des deux principaux partis, la seule coalition possible est une coalition inédite réunissant la CDU/CSU, le FDP et Die Grünen. Malgré l’écart qui sépare les deux petits partis sur nombre de questions (politique énergétique, fiscalité, politique européenne, immigration), il paraît improbable que les discussions en vue d’un pacte gouvernemental ne débouchent pas et qu’un gouvernement minoritaire soit désigné ou que de nouvelles élections soient convoquées. Un accord a minima sera plutôt négocié qui, même s’il permet au chef du FDP, Christian Lindner, d’accéder au poste de ministre fédéral des Finances, laissera à Merkel la latitude de négocier avec Macron une réforme de la zone euro qu’elle devra faire avaliser par le Bundestag. Ainsi, on se retrouvera, en matière de politique européenne, dans le schéma de 2009-2013 : un gouvernement, dominé par la droite et comportant le FDP – très opposé à tout ce qui fleure la solidarité financière intra-européenne –, qui à lui seul aura du mal à dégager une majorité parlementaire en faveur des accords européens passés par la chancelière, mais qui pourra s’appuyer sur le SPD lors des votes au Bundestag. Ainsi, la grande coalition qui définit la politique européenne de l’Allemagne depuis le début de la crise de la zone euro sera, en la matière, reconduite.

 

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