GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Droite et extrême droite suisses se donnent la main

Nous publions ici la chronique mensuelle de notre ami Jean-Claude Rennwald, militant socialiste et syndical suisse, ancien député (PS) au Conseil national suisse. Cet article est paru dans le numéro d’Avril-Mai de Démocratie&Socialisme.

Au fil des élections qui ont eu lieu ces dernières années en France, nombre de journalistes et de politologues ont avancé un nouveau concept, celui de tripartisme ou de tripartition. A les entendre ou à les lire, le paysage politique ne se résumerait plus à un duel entre un bloc de gauche et un bloc de droite, mais à un affrontement entre trois forces bien distinctes et séparées par des parois quasiment étanches : l’extrême droite (le Front national), la droite « républicaine » (l’UMP) et la gauche (PS, Verts, Front de gauche).

Droite et extrême droite : même combat

En France, on sait depuis belle lurette que la réalité est plus complexe et que l’UMP et le Front national sont plus proches qu’il n’y paraît, en particulier sur des thèmes comme le droit d’asile, l’immigration ou la sécurité.

En Suisse aussi, on peut faire les mêmes constats. Durant des années, le Parti libéral-radical (PLR, droite économique) et le Parti démocrate-chrétien (PDC, centre-droit) n’ont cessé de proclamer qu’ils n’avaient pas grand-chose en commun avec l’Union démocratique du centre (UDC, faussement appelée ainsi malgré ses positions nationales-populistes), notamment sur des sujets comme la politique étrangère, les relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE), les migrants ou la stigmatisation des musulmans. Or, le 1er avril (et ce n’était pas un poisson !), les dirigeants de ces trois partis ont présenté une plateforme commune qui se veut une sorte de programme commun en faveur de la place économique suisse !

Moins d’État, moins d’impôts

Les treize mesures proposées en disent long sur les convergences entre la droite classique et l’UDC xénophobe et antieuropéenne. Très concrètement, radicaux et démocrates-chrétiens entendent faire front avec l’UDC pour faire subir une cure d’amaigrissement à l’État social, pour bloquer tout nouvel engagement dans l’administration fédérale et pour mettre en place une fiscalité plus équitable (c’est-à-dire pour geler les impôts durant cinq ans à leur niveau actuel, voire les baisser, surtout au profit des contribuables aisés). Sur ce dernier point, les trois partis ont remporté une première manche, puisque le Conseil fédéral (gouvernement suisse) a récemment retiré d’un vaste projet fiscal l’introduction d’un impôt sur les gains en capital. Il y a bien sûr des sujets sur lesquels les trois partis ont de la peine à s’entendre, comme la transition énergétique et la sortie du nucléaire ou la mise en œuvre de l’initiative antieuropéenne de l’UDC sur « l’immigration de masse ». Mais qu’importe, ces thèmes ne sont mentionnés que pour la forme dans le « programme commun » et les milieux patronaux ont rapidement salué cette « nouvelle alliance bourgeoise », même si les propositions que celle-ci formule n’apporteront pas l’ombre d’une solution aux deux questions socio-économiques les plus épineuses qui se posent aujourd’hui à la Suisse : ses relations avec l’UE et un franc trop fort qui pénalise ses industries d’exportation.

Une révolution ancienne

À la lecture de ce projet, certains observateurs n’ont pas hésité à parler d’une révolution politique, sociale et économique. En fait, cette soi-disant révolution et cette convergence de la droite et de l’extrême droite n’est pas aussi nouvelle que d’aucuns l’affirment. A l’occasion de référendums organisés ces dix à quinze dernières années, le PLR, le PDC et l’UDC ont soutenu nombre de mesures de démantèlement social et combattu toutes les propositions de la gauche politique et syndicale. C’est ensemble qu’ils ont soutenu la diminution des prestations allouées aux chômeurs, l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes, la baisse des retraites complémentaires ou les multiples restrictions introduites dans la loi sur l’asile. Et c’est toujours ensemble qu’ils se sont opposés à l’introduction d’un salaire minimum légal, à la création d’une caisse maladie publique ou à l’abolition des forfaits fiscaux pour les millionnaires et les milliardaires résidant en Suisse.

Quelle riposte ?

Ce rapprochement de la droite et de l’extrême droite n’est pas seulement perceptible en France et en Suisse, mais aussi dans beaucoup d’autres pays d’Europe. Il nécessite par conséquent une riposte coordonnée à l’échelle internationale, ainsi qu’un positionnement clair de la gauche (des PS en particulier) afin de (re)conquérir les travailleurs et l’ensemble des milieux populaires, afin que ceux-ci ne cèdent plus à la tentation de l’abstentionnisme ou du vote en faveur des Marine Le Pen, des Christoph Blocher (patron de l’UDC suisse) et autres leaders d’extrême droite. Ce genre d’accord implique aussi un renforcement des organisations syndicales et une meilleure coordination entre celles-ci, les partis socialistes et les autres formations de gauche, ce qui ne signifie évidemment pas un quelconque rapport de subordination des uns aux autres.

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