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Deux leçons de la crise chypriote

La crise provoquée par les deux grandes banques chypriotes a fait trembler l’euro. Elle est loin d’être terminée. Il est pourtant déjà possible d’en tirer deux leçons.

1- La libre circulation des capitaux n’est plus sacrée pour l’Union européenne

L’article 63 du Traité de l’Union européenne (issu de l’Acte unique adopté par la CEE en 1986) instaure la libre circulation des capitaux, non seulement à l’intérieur de l’Union européenne mais entre l’Union européenne et le reste du monde.

Cet article place la politique économique et financière européenne sous la dépendance des fonds anglo-saxons, qu’ils soient spéculatifs ou « de placement ».

La crise Chypriote et le contrôle des capitaux imposé à Chypre par l’Union européenne met fin au caractère sacré du principe énoncé par l’article 63. Il est maintenant possible d’y déroger et donc, en allant plus loin, d’en finir avec lui.

Dans la pratique, ce contrôle gagnerait, cependant, à être plus performant qu’à Chypre. La plus grande partie des fonds des oligarques russes a réussi à s’évaporer vers d’autres paradis fiscaux, sans doute du nord de l’Union européenne, avant d’avoir pu faire l’objet de la moindre investigation.

2- L’extrême dangerosité des « banques universelles » est confirmée

Les deux banques chypriotes qui ont provoqué la crise, la Cyprus Bank et la Laïki Bank, sont des « banques universelles » c’est-à-dire des banques qui sont à la fois des banques de spéculation (d’ « investissement », disent-elles) et de dépôts. Comme toutes les « banques universelles », elles utilisaient l’argent de leurs déposants pour garantir leurs spéculations et accumuler les profits.

Si les banques de dépôts et les banques spéculatives de la Cyprus Bank et de la Laïki avaient été des entités rigoureusement séparées, les banques spéculatives auraient fait faillite mais les banques de dépôt n’auraient pas eu à en subir les conséquences. La crise n’aurait pas coûté un centime d’euro aux contribuables européens et aux déposants chypriotes.

Malheureusement, ces deux banques étaient des banques universelles. Ce sera donc aux contribuables européens et aux déposants des deux banques de payer.

  • Les contribuables européens garantiront les 9 milliards d’euros prêtés à Chypre pour sauver sa principale banque.
  • La France garantit un peu plus de 20 % des crédits du Mécanisme européen de stabilisation (MES). Les contribuables de notre pays garantiront donc plus de 1,8 milliards d’euros du crédit fait à Chypre pour sauver de la faillite la Cyprus Bank.

  • Les déposants des banques chypriotes paieront l’essentiel des pots cassés de la spéculation
  • Dans un premier temps, après le vote unanime des 17 ministres des finances de la zone euro le 16 mars, tous les dépôts des banques chypriotes devaient être taxés, même les dépôts inférieurs à 100 000 euros qui devaient subir une ponction de 6,75 %.

    Dans un second temps, ce sont les dépôts au-delà de 100 000 euros qui vont être mis à contribution, dans des proportions inouïes. Les clients de Cyprus Bank perdront 60 % de leur tranche de dépôt qui est au-dessus de 100 000 euros, ceux de Laïki la quasi-totalité de la même tranche de leur dépôt.

    Une parfaite illustration, hélas, des risques que font courir à leurs clients les « banques universelles » qui font garantir par leurs déposants les risques de leurs spéculations.

    Une personne qui a plus de 100 000 euros sur son compte bancaire n’est pas forcément une personne « riche ». 150 000 euros, cela peut être les économies de toute une vie. Cela peut être aussi, tout simplement, les 150 000 euros que la banque venait de verser sur un compte pour permettre l’achat d’une habitation principale. Dans ce cas précis, si vous êtes client de la banque Laïki vous perdrez 50 000 euros mais vous aurez à payer les mensualités d’un prêt de 150 000 euros. Si vous êtes client de la Cyprus Bank, vous perdrez 30 000 euros mais vous serez toujours débiteur de 150 000 euros.

    - La loi Moscovici vient, pourtant, de sauver la mise de la banque universelle en France

    La loi que le Parlement français vient de voter ne sépare pas les banques de dépôts des banques spéculatives, elle se contente de « cantonner » dans des filiales certaines activités spéculatives.

    Frédéric Oudéa, le patron de la Société Générale, reconnaissait, avec satisfaction, que la loi de « séparation » n’allait impacter que 1,5 % du total des activités de son établissement. Ce sont donc toujours les déposants et les contribuables français qui garantiront les politiques spéculatives des banques françaises.

    Il s’agissait, selon Pierre Moscovici, de défendre le financement de l’activité économique en France. L’étude de Gaël Giraud, chercheur au CNRS, met en évidence une réalité bien différente : les banques françaises consacrent 22 % du total de leurs bilans à financer l’économie (12 % pour les ménages, 10 % pour les entreprises). Les 78 % qui restent sont utilisés à spéculer. Si les spéculations de ces banques échouent, leurs déposants auront beaucoup de souci à se faire.

    Il faut d’urgence remettre cette loi sur le métier et ériger une muraille infranchissable entre banques de dépôts et banques spéculatives afin de protéger les contribuables et les déposants de la frénésie spéculative des banques. En cas de faillite d’une banque spéculative, seuls les actionnaires et les créanciers obligataires de cette banque devraient en supporter les risques. Ce serait, du même coup, la fin des banques « trop grandes pour faire faillite » et des risques « systémiques » qu’elles font courir à l’ensemble de l’économie, comme lors de la crise de 2007-2008.

    Les ministres des Finances des 17 pays de la zone euro avaient exprimé leur effarement lorsqu’ils avaient « découvert » que le total des bilans des banques chypriotes représentait 750 % du PIB de Chypre. Le total des bilans des quatre principales banques françaises s’élève à 400 % du PIB de notre pays. Est-ce vraiment beaucoup plus rassurant ?

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