Deux « camps » fondamentaux : La gauche et la droite
Nous publions ici la troisième et dernière partie d’un article de notre camarade Jean-Jacques Chavigné (la première est parue dans la lettre électronique de D&S n° 262 et la deuxième la semaine dernière dans la lettre n°264).
Ces deux camps répondent à l’existence de deux classes fondamentales. D’un côté, le salariat (93 % de la population active), qui n’a que son travail pour vivre, même s’il est composé de différentes strates à l’intérieur de cette même classe sociale. De l’autre, la bourgeoisie (0,01 % de la population) qui possède les grandes entreprises. Entre ces deux classes fondamentales se situe une classe qui n’a aucune représentation politique indépendante, depuis le mouvement Poujade et l’UFF de la fin des années 1950 : la petite bourgeoisie, la « classe moyenne » (7 % de la population). Les membres de cette classe sociale, à la différence du salariat, sont propriétaires de leurs moyens de production. Ils sont patrons de très petites entreprises ou de PME indépendantes des grands groupes, commerçants, artisans, professions libérales(1)…Mais l’existence de ces deux « camps », l’existence de deux classes fondamentales, n’entraîne pas mécaniquement l’existence de deux partis. De nombreux partis politiques différents existent aussi bien à gauche qu’à droite. Il ne faut donc pas faire l’erreur de confondre classes sociales et partis politiques.
Le Centre n’existe pas en politique. Le Modem (tout comme l’UDI) est un parti de droite qui se présente comme un parti du « centre » pour gagner des voix en période de crise des partis de gauche comme des partis de droite, alors que ses alliances (dans les municipalités, les régions, voire les groupes parlementaires) sont, pour l’essentiel, des alliances avec la droite et que son programme économique et social se situe résolument à droite.
Le Front national n’est pas un parti qui ne serait » ni à gauche, ni à droite », même si une part non négligeable de ses électeurs est persuadée du contraire. Le Front national se situe dans le camp de la bourgeoisie. Mais le fait qu’il figure dans le camp de la droite ne suffit pas à définir sa fonction politique et une orientation politique à son égard.
Si on s’en tient à l’appartenance à un camp, celui de la droite ou de la gauche, lié à l’existence de deux classes fondamentales, le Modem et le FN sont dans le même camp, celui de la droite. Il n’est pourtant pas nécessaire d’être un observateur très averti de la vie politique française pour constater que ces deux partis diffèrent profondément.
Il est donc impossible de se contenter d’une analyse aussi générale et de se passer d’une approche un peu plus précise de la réalité du Front national. Le FN est un parti d’extrême droite qui présente un danger autrement plus important pour le salariat que les partis de droite(2).
La seule façon de combattre efficacement ce parti d’extrême droite, c’est l’unité de la gauche. Un appel ponctuel à voter pour le « moins pire » afin d’éviter le pire, même s’il peut s’avérer nécessaire, comme aux dernières élections régionales, ne peut servir d’orientation politique. Une victoire de la droite en 2017 ne ferait que reculer l’échéance. Karl Polanyi l’avait déjà souligné, il y a près de 70 ans, lorsqu’il constatait que le libéralisme de la fin du XIXème et du début du XXème siècle avait à la fois semé le désordre (social) et le besoin d’ordre (régalien), ouvrant ainsi la voie du pouvoir au Parti national fasciste italien et, en Allemagne, au parti nazi. Une victoire de la droite, qui mènerait une politique encore plus à droite, plus libérale que celle de François Hollande, sèmerait encore plus de désordre et de besoin d’ordre. Et, au bout de tout cela, le risque serait grand de voir arriver l’extrême droite au pouvoir. L’alliance de la gauche au Portugal, celle qui se dessine et qui pourra peut-être se concrétiser en Espagne, la victoire de la gauche dans cinq régions métropolitaines et deux régions d’Outre-mer aux dernières élections régionales en France, indiquent que cette orientation est viable et qu’elle est la seule qui soit porteuse d’espoir.
Il est possible que la multiplicité des partis de droite (LR, UDI, MODEM…) pose un problème à la droite, en dehors même de l’existence du FN, mais c’est son problème.
Il n’existe pas non plus de parti unitaire de la gauche, démocratique, regroupant le PS, le PCF, le PG, EELV… Et c’est notre problème. Il ne faut donc surtout pas prendre nos désirs pour la réalité : ce parti unitaire de la gauche est entièrement à construire et le chemin pour y parvenir paraît vraiment très escarpé.
La nature de gauche du PS est niée par beaucoup de formations à « la gauche de la gauche ». Ces formations ont, depuis très longtemps, confondu le début d’un processus avec son achèvement : la transformation du PS en parti de droite. Ils se sont ainsi interdits de peser sur ce processus. Ils ont pratiqué la politique du pire, la politique de la « table rase ». Une politique qui n’a jamais porté ses fruits et qui s’avère particulièrement aventureuse avec un FN à 30 % des voix.
Le Premier ministre socialiste, les dirigeants du PS appellent à son « dépassement » dans une « large alliance populaire », qui aujourd’hui a l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette puisqu’elle se réduit à Jean-François Placé, Jean-Luc Bennahmias, Robert Hue et leurs fidèles.
Leur volonté d’en finir avec le PS comme parti de gauche est manifeste ; Manuel Valls comme Jean-Christophe Cambadélis veulent avancer le plus loin possible dans ce sens (changement de nom du parti entre autres) avant 2017, même si le plus vraisemblable est que leur stratégie n’ait de possibilités réelles d’aboutir qu’après l’élection présidentielle.
Il n’empêche, le projet de loi adopté par le Conseil des ministres veut inscrire dans la Constitution la déchéance de la nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme. Cela devait être un pas décisif dans la mutation du Parti socialiste en parti de droite. François Hollande et Manuel Valls le reconnaissent, cette mesure n’a aucune efficacité dans la lutte contre le terrorisme ; il s’agit pour eux d’une mesure « symbolique », permettant de dépasser le clivage gauche/droite. En fait de symbole, c’est bien d’une violence symbolique inouïe dont il s’agit, puisque ce serait imposer à 3,3 millions de Français binationaux de ne plus être des Français comme les autres. Les dernières propositions de Manuel Valls ne rompent pas avec cette orientation puisque la déchéance de nationalité, même si cela n’est pas inscrit dans la Constitution, ne pourra frapper que les binationaux.
La « triangulation » tentée par François Hollande avait pour objectif de mettre en application une mesure prônée par Nicolas Sarkozy et l’extrême droite, en espérant semer la division dans leurs camps, sans pour autant diviser (si ce n’est à la marge), la gauche et le Parti socialiste. Le tout devait permettre à François Hollande d’apparaître comme le grand rassembleur de la nation. C’est l’inverse qui est en train de se réaliser. Marine Le Pen et Florian Philippot se félicitent avec fracas de voir reprise par François Hollande une mesure que le FN préconise depuis 40 ans et qui crédibilise leur slogan « Être Français, cela s’hérite ou cela se mérite ! ». Avec sa réforme de la Constitution, François Hollande voulait piéger Nicolas Sarkozy. En réalité, le piège se referme sur son initiateur. Nicolas Sarkozy peut aujourd’hui décider de l’avenir de cette réforme. Il peut d’abord la tirer encore plus à droite en obligeant François Hollande à accepter les conditions qu’il a fixées pour que LR la vote. Il peut aussi en finir avec la réforme en obligeant François Hollande à la retirer ou à essuyer un échec devant le Parlement réuni en Congrès. François Hollande vient de décider de céder aux exigences de la droite en maintenant un projet de réforme constitutionnelle qui inscrit la déchéance de nationalité dans la Constitution et l’étend aux auteurs de délits « très graves ». Il n’est pas sûr, pour autant, que cela suffise à la droite. Grâce à cette habile manœuvre, c’est le Parti Socialiste qui est au bord de l’implosion et la fracture de la gauche s’accentue, sans doute beaucoup plus rapidement que ne le souhaitait François Hollande. Il aurait bien besoin, en effet, d’une gauche un tant soit peu rassemblée et d’un Parti socialiste en état de marche pour espérer figurer au second tour de la présidentielle de 2017 !
Au Portugal, en Espagne, la gauche a fini, difficilement, par avancer dans la voie de l’unité. Un gouvernement, soutenu par toute la gauche est au pouvoir au Portugal et la possibilité d’un gouvernement de gauche ou soutenu par toute la gauche est une perspective ouverte en Espagne.
La France n’échappe pas à l’existence de ces deux camps fondamentaux : la gauche et la droite. Dans la situation actuelle d’éclatement de la gauche, les chances de François Hollande ou de Jean-Luc Mélenchon de figurer au second tour de l’élection présidentielle de 2017 sont dérisoires. La seule méthode pour que la gauche puisse être présente lors de ce second tour est celle de l’organisation de primaires de toute la gauche, pour choisir qui sera son représentant unitaire (le choix ne se limitera bien sûr pas à François Hollande et Jean-Luc Mélenchon) dès le 1er tour de la Présidentielle. Autrement, la gauche sera condamnée à faire de la figuration, à laisser la place à une droite qui se servira de tous les reculs de François Hollande comme marchepied pour une politique encore plus libérale ou, pire, à laisser la place à l’extrême droite.
{La suite de cet article dans la prochaine lettre de D&S :
(1): Cette analyse (rapportée ici succinctement) s’inscrit en faux contre celles qui divisent artificiellement le salariat entre « classes populaires » et « classes moyennes » ou celles qui lient l’appartenance à la « classe populaire », la « classe moyenne » ou à la « classe aisée » à un niveau de revenu. (retour)
(2): Voir dans le n° 229/230 de la Revue D&S « De quoi le FN est-il le nom ? » (retour)