GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Crimes sans châtiment

Nous publions ci-dessous la chronique Palestine de notre ami Philippe Lewandowski, parue dans Démocratie&Socialisme n°228 d’octobre 2015. Elle a été écrite avant l’arrêt de la cour de cassation qui a jugé illégal l’appel au boycott. D&S partage l’indignation exprimée par l’association France-Palestine-Solidarité qui déclare avec raison « nous ne laisserons pas bâillonner » et lance une souscription à cet effet.

Si l’été 2015 n’a pas vu de massacre de masse comme celui de Gaza l’année précédente, les Palestiniens n’en sont pourtant pas sortis indemnes, et la routine des assassinats commis par les colons ou par l’armée qui se prétend la plus morale du monde a repris avec une horreur et un cynisme encore accrus.

Carte blanche aux tueurs

Fin juillet, des colons lancent une bombe incendiaire dans une demeure palestinienne : un bébé est brûlé vif, ses parents décèdent des suites de leurs brûlures, un autre enfant est grièvement brûlé. L’exploit est même signé (« Le prix à payer ») sur les murs de la maison(5). Une fois n’est pas coutume, Netanyahou condamne verbalement cet attentat ouvertement terroriste. Ce qui est moins mis en relief dans les médias occidentaux, c’est que le 26 août, un acte similaire vise d’autres membres de la même famille ; mais surtout, c’est que les coupables (connus !) ne sont pas poursuivis, et que la famille des victimes est déclarée non éligible aux indemnités ordinairement allouées aux victimes d’attentats.

L’armée n’est pas en reste : le 22 septembre, c’est une jeune fille de 18 ans qui est abattue au check-point de la rue Chouhada à Al-Khalil (Hebron) ; elle est délibérément laissée sans soins pendant 40 minutes (l’ambulance palestinienne est empêchée de la prendre en charge), et décède de ses blessures(6).

Depuis le 31 juillet, plus de 30 Palestiniens ont été tués, dont un enfant de 13 ans revenant de l’école.

Comme l’explique Maureen Clare Murphy, « L’armée d’Israël est au service des colons, qui sont une composante nécessaire de l’entreprise coloniale d’État »(7).

Fondements idéologiques

Cette furie meurtrière trouve même une justification idéologique, les Palestiniens se trouvant tout bonnement déshumanisés dans la doxa sioniste. Arnon Soffer, professeur de géostratégie à l’université de Haïfa, et conseiller de plusieurs gouvernements israéliens successifs, peut ainsi écrire, sans déranger outre mesure le monde universitaire ni les médias occidentaux façonnant l’opinion publique : « Lorsque 2,5 millions de personnes vivent dans un Gaza tenu sous blocus, cela devient une catastrophe humaine. Ces gens deviendront des animaux encore plus grands que maintenant, grâce à un Islam fondamentaliste malsain. […] Si nous voulons rester vivants, il nous faudra tuer, tuer et tuer. Tous les jours, chaque jour »(1).

Il n’est pas nécessaire d’être très avancé dans l’étude de la Torah (le Pentateuque de la Bible) pour se rendre compte que cette injonction ne recouvre pas exactement le sixième commandement bien connu : Tu ne tueras pas. Il est aisé pour des historiens comme Shlomo Sand ou Yakov Rabkin de rappeler l’antagonisme qui oppose le sionisme au judaïsme. Dans Comprendre l’État d’Israël(2), Yakov Rabkin, professeur d’histoire à l’université de Montréal, met cette opposition particulièrement en relief en introduisant la notion de « national-judaïsme » : cette connotation sémantique est on ne peut plus claire.

Les méthodes, disons expéditives (mais le terme qui convient est terroristes), qui caractérisent l’entreprise de colonisation ne concernent pas que les Palestiniens : l’intimidation musclée des opposants israéliens à la politique de leur gouvernement est menée par des nervis extrémistes souvent sous l’œil goguenard d’une police passive ; il n’est pas inutile de rappeler que le passé comprend même la panoplie du meurtre assumé et revendiqué, comme celui de Jacob Israël De Haan (3).

Hypocrisie et complicité

Alors que seule la moitié environ des populations vivant sous le contrôle de l’armée israélienne en est pleinement bénéficiaire, la légende de la seule démocratie du Proche-Orient continue de courir. Et si parfois les dirigeants occidentaux vont jusqu’à élever de timides protestations verbales en secouant énergiquement le doigt, ils s’empressent de regarnir les arsenaux servant aux massacres réguliers (« à tondre la pelouse », pour citer une expression en usage dans les forces dites de défense israéliennes).

Ah ! Non, il y a encore une autre occasion à laquelle ils s’empressent de monter au créneau : c’est lorsque les victimes désignées (planifiées, pourrait-on dire) se rebiffent, se débattent et donnent des coups de griffe en retour. En d’autres termes, lorsqu’il y a des pertes israéliennes juives. Tout de suite, les condamnations et les appels à la modération entre deux camps considérés comme également violents, surgissent. Les Tartuffe de notre temps ferment les yeux sur le fait que « entre 2006 et 2011, leurs agressions commises généralement en bandes organisées [de colons] ont augmenté de 315 % alors que celles exercées par les Palestiniens de Cisjordanie baissaient de 95 % »(4). Comme ils le répètent à satiété, « Israël a le droit de se défendre. » Les tirs à balles réelles contre des lanceurs de pierre, parfois des enfants, sont officiellement légalisés. Et les autres, les Palestiniens, n’auraient qu’à se laisser déposséder ou abattre sans broncher !

L’action nécessaire

C’est une vision impossible à partager : elle équivaut à la complicité. Et lorsque des enfants qui se voient refuser tout présent et tout avenir se lancent dans des actions désespérées, il ne suffit pas d’appeler à la désescalade. C’est la justice qu’il faut exiger. C’est la fin de la colonisation, la fin de l’apartheid, la fin des spoliations, la fin d’un blocus inhumain.

Les déclarations diplomatiques ne suffisent pas à débloquer une situation tragique qui perdure. C’est une action plus ferme qui est nécessaire. Elle n’a pas à se faire guerrière. Il serait beaucoup plus efficace et pertinent de simplement répondre à l’appel de la résistance populaire palestinienne lancé le 9 juillet 2005 :

Boycott ! Désinvestissement ! Sanctions !

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L’article en PDF

(1): Cité dans Max Blumenthal, The 51 day war, London, New York : Verso, 2015, p.5. (retour)

(2): Yakov Rabkin, Comprendre l’État d’Israël : idéologie, religion et société, Montréal : Éditions Ecosociété, 2014. (retour)

(3): Yakov Rabkin, op.cit., p.217. (retour)

(4): Olivia Elias, ibid. (retour)

(5): Olivia Elias, Israël : carte blanche aux colons violents, http://www.aurdip.fr/israel-carte-blanche-aux-colons.html, consulté le 07-10-2015. (retour)

(6): Des militaires israéliens abattent une étudiante au Checkpoint de la rue Chouhada : “Il leur aurait été si facile de l’arrêter ! Mais ils ne l’ont pas fait », http://www.aurdip.fr/des-militaires-israeliens-abattent.html, consulté le 07-10-2015. (retour)

(7): Maureen Clare Murphy, Pourquoi des Israéliens peuvent brûler vifs des Palestiniens sans être inquiétés, http://www.agencemediapalestine.fr/blog/2015/09/25/pourquoi-des-israeliens-peuvent-bruler-vifs-des-palestiniens-sans-etre-inquietes/, consulté le 07-10-2015. (retour)

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