GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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La paille et la poutre

Nous reproduisons un article paru dans la revue Démocratie&Socialisme n° 228 d’octobre 2015. Mathieu Pouydesseau habite Berlin, est membre du Conseil national du PS français, mandataire de la motion B pour les français de l’étranger.

« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère », Évangiles de Mathieu et Luc.

Le vendredi 18 septembre était une très belle journée. Le magazine Der Spiegel mettait la dernière main à sa couverture, représentant Angela Merkel, la chancelière allemande, en mère Teresa. Qu’on était loin de la couverture de juillet, où une caricature représentait la Grèce comme ce pays irresponsable, incapable de respecter les règles et les lois, et coûtant énergie et patience à l’honnête ouvrier allemand ! Après avoir été les « instituteurs donneurs de leçons de l’Europe » (dixit le président allemand Gauck en 2013), l’Allemagne, en acceptant massivement les réfugiés, se rachetait une morale.

Au salon automobile de Francfort qui venait d’ouvrir, les industriels allemands pouvaient être fiers de leur succès : 800 000 emplois directs, 200 milliards d’euros d’exportations par an – l’équivalent de l’excédent commercial allemand ! – et Volkswagen, leader mondial, se réjouissait d’avoir doublé en un an ses ventes aux États-Unis.

Quand tout bascule

Tonnerre dans ce ciel serein ! L’Agence américaine de l’Environnement (EPA) publie dans l’après-midi un communiqué : Volkswagen a triché – et pas qu’un peu ! – en manipulant les résultats des émissions de tous ses moteurs Diesel, et ce, non par accident, non, avec préméditation, avec un logiciel développé pour cela ! Des millions de voitures vendues dans le monde entier perdent dans l’instant leur autorisation de circuler : poubelles ambulantes, elles doivent être rappelées. Les modifier pour les rendre conformes aux lois – car c’est bien de manœuvres illégales dont on parle – coûte par véhicule seulement 300 euros.

Depuis, Volkswagen, plongé dans une crise remettant en cause tout son modèle d’organisation, pourrait disparaitre : 18 milliards de dollars, c’est le montant de l’amende que peut réclamer l’EPA. 40 milliards, c’est le montant des dommages et intérêts que pourraient réclamer les petits actionnaires, les fonds de pension, ruinés par la chute de l’action VW, ainsi que les clients, privés de leurs véhicules le temps de les modifier. Dès la semaine suivante, dans les médias, les médiacrates allemands, le syndicat IG Metall et la région de Basse-Saxe, actionnaire minoritaire de VW, appellent à la défense des emplois, à ne pas en rajouter pour ne pas « désespérer Wolfsburg » - la ville-usine créée par l’entreprise. Il faut sauver le « soldat VW ».

Alors est-ce là un mouton noir isolé dans un pays « correct », respectueux des lois et des traités ?

Un modèle… à ne pas suivre

La crise de Volkswagen permet de rappeler que loin d’être ce pays modèle, capable de donner des leçons du haut de sa chaire morale, l’Allemagne doit sa prospérité à un modèle économique de prédation, traversé de pannes, de corruptions, de fiascos. Rappelons que ce pays, qui vient de racheter 14 aéroports grecs, est incapable de finir celui de Berlin, dont les coûts ont plus que doublé, et la date d’ouverture, prévue au début en 2012, repoussée justement aux calendes grecques. Les cadres de Siemens, convaincus en 2006 d’un gigantesque système de corruption en … Grèce, n’ont toujours pas été extradés pour être jugés par la justice grecque.

Dans le même temps, le pays a accumulé plus de 200 milliards de retard d’investissement dans les infrastructures, et son taux de pauvreté n’a cessé d’augmenter depuis 2002, en rapport d’ailleurs avec l’augmentation de son nombre de milliardaires.

La crise de Volkswagen sera probablement payée par… les ouvriers, les employés. L’ancien PDG est parti avec une retraite chapeau, le nouveau a déjà annoncé un plan de « réduction des coûts ». Symbole d’un capitalisme qui est prêt à tout, même à l’illégalité, pour augmenter ses marges, mais passé maître dans la socialisation des pertes. Ne nous réjouissons donc pas de cette crise : ses sursauts et ses conséquences seront portés par ceux qui profitent le moins de ce système fou.

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