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Le massacre des communistes indonésiens (3)

Dernier volet de notre « saga » sur l'une des phases de répression les plus barbares qu'ait eu à subir le mouvement ouvrier mondial au XXe siècle, après le talon de fer nazi et la terreur stalinienne. Cette violence abjecte s'est abattue sur le Parti communiste indonésien en octobre 1965, il y a tout juste 50 ans. Les deux premières parties ont été publiées ces deux dernières semaines dans la lettre électronique de D&S.

Depuis 1959, le président Sokarno s'était rapproché du PKI pour faire contre-poids sur sa gauche aux partis islamistes et à l'armée, mais aussi pour s'arrimer à la Chine populaire dans le cadre du conflit qui opposait l'Indonésie à la Malaisie alors soutenue par le Royaume-Uni. Tout s’accélère à l'été 1965. L'inflation prend des dimensions inouïes, le commerce indonésien interdit d'accès à Singapour s'effondre et les aides anglo-américaines se tarissent. À Jakarta, les rumeurs sur une prise du pouvoir par les communistes vont bon train. Le 30 septembre, des officiers de gauche tentent de prendre le pouvoir afin de prévenir naïvement un coup d’État de la droite. Pour la réaction, l'heure de l'hallali a sonné.

De la farce insurrectionnelle au drame

La prise du pouvoir par le « Conseil de la Révolution » fait long feu. Dès le 1er octobre, les forces de Suharto ont mis en fuite les éléments de l'armée désireux, selon leurs propres mots, de « protéger le président » Sokarno. Et le vieux bonaparte indonésien, complètement dépassé par les événements, de donner un blanc-seing à Suharto en lui confiant la tâche de « restaurer la loi et l’ordre ». Les insurgés sokarnistes qui espéraient obtenir le soutien du président ont définitivement perdu la partie. Ces idiots utiles rendent toutefois un dernier service à la réaction qui n'en attendait sûrement pas tant. Dans leur débâcle, ils liquident six généraux, dont le chef d’état-major Yani, tandis que la petite fille du général Nasution est mortellement blessée dans une échauffourée.

Pas un communiste dans cette junte tragi-comique constituée de zélés militaires petits-bourgeois. Toutefois, la réaction militaire, que Suharto personnifie à merveille, a enfin son casus belli. Dès le début de ce mois d'octobre appelé à devenir si sanglant, l'état de siège est décrété et la liberté de la presse suspendue. Le 8 octobre, des dizaines de milliers de manifestants, issus essentiellement du mouvement islamiste NU, brûlent le siège du PKI à Jakarta et commencent la chasse aux « rouges ». La veille, aux funérailles de la fille de Nasution, un officier de la Marine transmet la consigne fatidique aux dirigeants des étudiants musulmans de l'Ansor : Sikat (éliminez-les) !

Sikat ! Sikat !

Les paras de Suharto inaugurent le 19 octobre au centre de Java un scénario appelé à se répéter dans toute l'île dans les jours suivants : démonstration de force des troupes fidèles à la hiérarchie militaire puis déclenchement de la chasse aux militants communistes, ainsi qu'aux Chinois identifiés aux « rouges » par les bandes d’Ansor et des membres de l'organisation de jeunesse du PNI, le parti sokarniste. « On tue, on brûle sièges d’organisations comme demeures particulières ; les survivants, qui fuient vers les campagnes, y sont pourchassés par les troupes locales et les milices de droite [...], soudain rendues à davantage d’audace »(1). Vers la mi-novembre, le secrétaire général du PKI, Aidit, est capturé près de Solo, au cœur de l’île de Java, puis sommairement exécuté.

Pour la droite, il s’agissait de terroriser tout militant progressiste et de mouiller dans la complicité du meurtre de masse le gros des militaires, dont beaucoup inclinaient à gauche. L'état-major de Suharto n’avait pas l’intention de rééditer l’erreur qu'avait constituée la répression « douce » de l'insurrection communiste de 1948. L'hydre rouge avait trop rapidement relevé la tête au point de prétendre au pouvoir. Il convenait cette fois de la lui trancher définitivement.

Les massacres avaient à peine pris fin à Bali et dans les îles périphériques de l'archipel, que Suharto obtenait de Sokarno, en mars 1966, un mandat pour exercer temporairement le pouvoir en son nom. Il devient officiellement président en 1968. « Sokarno meurt à 69 ans, le 21 juin 1970, tandis que son « tombeur » met en place « l'Ordre Nouveau » et se fait réélire par le Parlement en 1973, 1978, 1983, 1988, 1993 et 1998 »(2). Le « politicide » de 1965, dont le souvenir hante encore aujourd'hui la mémoire collective indonésienne, avait indéniablement porté ses fruits.

Relire l'article en entier :

Il y a 40 ans : le massacre des communistes indonésiens

Le massacre des communistes indonésiens (2)

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L’article en PDF

(1): Jean-Louis Margolin, « Indonésie 1965 : un massacre oublié », Revue internationale de politique comparée, vol. 8 (1/2001), p. 59-92. (retour)

(2):  Béatrice Roman-Amat, « 30 septembre 1965 : en Indonésie, une tragédie amène Suharto au pouvoir », Herodote.net. (retour)

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