GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Contorsions diplomatiques

Nous reproduisons ici la chronique Palestine de notre ami Philippe Lewandowski parue dans le numéro de septembre de la revue Démocratie&Socialisme.

La mise en relations de diverses annonces survenues sur la scène du grand théâtre politique présenté par les mass médias au cours de l’été 2013 laisse entrevoir une intrigue qui s’avère plus inquiétante que porteuse d’espérance. Le début s’en avère pourtant des plus prometteurs, car il semble constituer un premier pas de l’Europe pour traduire ses discours par des actes.

Les nouvelles règles de la coopération européenne (1)

Le Journal Officiel de l’Union Européenne rappelle d’abord que les territoires palestiniens occupés depuis 1967, à Jérusalem, dans le reste de la Cisjordanie, ou dans le Golan syrien, ne peuvent en aucun cas être considérés comme israéliens. De nouvelles règles fixées pour tout projet de coopération avec des organismes israéliens à partir du 1er janvier 2014 en tiennent logiquement compte :

« Aucune entité israélienne (organisme, entreprise, association, université…) ne pourra faire l’objet d’une aide de l’UE pour une activité se déroulant partiellement ou totalement dans les territoires occupés par Israël. Quant aux instruments financiers (prêts, garanties), ils ne pourront être accordés qu’aux entités n’ayant aucune activité dans les territoires occupés. La Commission rappelle également les conclusions du Conseil Européen de décembre 2012, selon lesquelles tous les accords entre l’UE et Israël doivent indiquer de manière explicite qu’ils ne sont pas applicables aux territoires palestiniens occupés. »(2)

Cette dernière précision est des plus importantes : dorénavant, les documents contractuels entre organismes européens et organismes israéliens comporteront donc obligatoirement une référence à des frontières, ce qui est nettement plus significatif que l’expression idéologique et floue de « terre d’Israël » (Eretz Israël) à l’honneur dans le discours sioniste.

D’où les fulminations de Netanyahou, bel et bien acculé. Mais, comme dans les westerns, la cavalerie US vole à son secours.

La reprise des « négociations » sous l’impulsion des États-Unis

La reprise des « négociations » entre le gouvernement israélien et une « Autorité palestinienne » dont il est possible de s’interroger sur la représentativité (3) s’ouvre sous de curieux augures :

  • Elle s’effectue « au forceps » après plusieurs voyages de l’émissaire américain John Kerry dont les pressions s’avèrent pour le moins déséquilibrées. Alors que les Israéliens multiplient les provocations et poursuivent sans vergogne leur politique de nettoyage ethnique et de « judéisation » forcenée (annonces de nouvelles implantations et de construction de voies ferrées dans les territoires occupés, entraves aux aides civiles – en particulier européennes - européennes aux Palestiniens, regroupement et urbanisation forcée des bédouins du Néguev… ), c’est aux Palestiniens que les Américains demandent de faire preuve de compréhension, et de pas refuser ce qu’il est indécent d’appeler une main tendue.
  • Silence radio à peu près total sur les manifestations palestiniennes opposées à cette reprise de discussions, réprimées par les forces de police qui semblent s’échiner à mettre fin à toute forme de résistance (y compris, voire surtout non violente) à l’occupation. Les clans dirigeants du Fatah paraissent bien seuls à défendre une pseudo-option que refusent une société civile mobilisée mettant en œuvre et appelant à une résistance concrète (campagne BDS) ainsi que plusieurs organisations (non seulement le Hamas, mais également le FPLP et le FDPLP).
  • L’absence de toute référence aux questions fondamentales que rappelle Alain Gresh sur son blog n’est pas anodine : « Les frontières de 1967 serviront-elles de base aux négociations ? La colonisation cessera-t-elle (elle n’a cessé à aucun moment depuis Oslo, même pas quand Israël avait annoncé son gel) ? A qui seront attribuées les sources d’eau en Cisjordanie ? Que deviendront les réfugiés palestiniens ? Autant de questions sans réponse, et pour cause. » (4)
  • Ainsi que l’explique le journaliste indépendant Ben White, « Il n’existe aucune bonne raison de se réjouir de pourparlers si gravement biaisés en faveur d’une partie lesquels, indépendamment de leur issue, protègent Israël pour qu’il n’ait aucun compte à rendre sur ses orientations politiques d’apartheid continuelles. Il existe d’autres options pour aller de l’avant. Plus vite elles seront prises en compte, plus vite le cadre colonial basé sur les « compromis » du puissant pourra être remplacé par un processus de paix digne de ce nom. » (5)

    Un pas en avant, deux pas en arrière ?

    En fait, ce qui est présenté comme des négociations ressemble beaucoup plus à ce qu’on pourrait appeler un contre-feu allumé dans l’urgence pour tenter de protéger l’injustifiable. Ilan Pappe expose ainsi les scénarios en jeu :

    « Israéliens et Étasuniens veulent développer ce que j’appelle le « Plan A » et empêcher qu’on ne réalise un « Plan B ». Le « Plan A » prévoit que les entretiens avec les Palestiniens avancent avec un Israël maître de la situation dans les Territoires occupés et libre d’étendre ses colonies, et l’Autorité palestinienne d’Abu Mazen engagée à empêcher le développement de toute forme de résistance, pas seulement armée, à l’occupation militaire. Le « Plan B » par contre est celui où les Palestiniens s’adressent aux autorités internationales pour obtenir la réalisation de leurs droits et demandent que soient sanctionnés l’occupation et les crimes qu’elle commet. Le « Plan B » inclut une Europe plus consciente des droits des Palestiniens, et, peut-être, une nouvelle révolte populaire palestinienne contre l’oppression. Pour empêcher que démarre le « Plan B », Washington et Tel Aviv relanceront toujours le « processus de paix », c’est-à-dire le « Plan A », qui est celui du dialogue pour le dialogue sans perspective de solution fondée sur la légalité internationale. Israéliens et Etasuniens veulent développer ce que j’appelle le « Plan A » et empêcher qu’on ne réalise un « Plan B ». Le « Plan A » prévoit que les entretiens avec les Palestiniens avancent avec un Israël maître de la situation dans les Territoires occupés et libre d’étendre ses colonies, et l’Autorité palestinienne d’Abu Mazen engagée à empêcher le développement de toute forme de résistance, pas seulement armée, à l’occupation militaire. Le « Plan B » par contre est celui où les Palestiniens s’adressent aux autorités internationales pour obtenir la réalisation de leurs droits et demandent que soient sanctionnés l’occupation et les crimes qu’elle commet. Le « Plan B » inclut une Europe plus consciente des droits des Palestiniens, et, peut-être, une nouvelle révolte populaire palestinienne contre l’oppression. Pour empêcher que démarre le « Plan B », Washington et Tel Aviv relanceront toujours le « processus de paix », c’est-à-dire le « Plan A », qui est celui du dialogue pour le dialogue sans perspective de solution fondée sur la légalité internationale. » (6)

    Plutôt que de se plier une fois de plus aux contorsions de la diplomatie israélo-américaine, l’Union Européenne et la France se devraient de défendre la voie d’une solution fondée sur cette légalité. Il en va de la crédibilité des valeurs qui sont censées être les leurs.

    Document PDF à télécharger
    L’article en PDF

    (1): Journal officiel de l’Union Européenne du 19-07-2013 , consulté le 23-08-2013. (retour)

    (2): AFPS (Association France Palestine Solidarité), 17-07-2013 , consulté le 23-08-2013. (retour)

    (3): Le mandat présidentiel de Mahmoud Abbas, qui courait jusqu’au 8 janvier 2009, a été prolongé par l’OLP le 16 décembre 2009 « jusqu’à de nouvelles élections » qui ne se sont toujours pas tenues. Voir notamment Ahmed Moubarak Al-Khalidi, consulté le 24-08-2013. (retour)

    (4): Alain Gresh, « Un processus de paix « vital »… pour Israël », consulté le 24-08-2013. (retour)

    (5): Ben White, « Un processus de paix qui protège Israël », consulté le 24-08-2013. (retour)

    (6): Michele Giorgio, entretien avec Ilan Pappe, in Afrique Asie, consulté le 24-08-2013. (retour)

    Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




    La revue papier

    Les Vidéos

    En voir plus…