Chronique Palestine : l'enlisement
Pratiquement tous les commentateurs des dernières élections législatives israéliennes ont employé le terme d’impasse pour en caractériser les résultats. Cette appréciation est évidemment défendable. Mais pour ne pas en rester à la surface politicienne des choses, il serait peut-être nécessaire d’en cerner les contours et d’essayer d’en percevoir la véritable profondeur.
La majorité des Palestiniens (sous occupation, sous blocus, dans des camps de réfugiés à l’étranger ou en exil) est exclue d’office de ce jeu au clinquant démocratique. Mais que pourraient-ils attendre d’un colonisateur forcené ou d’un présumé criminel de guerre1 qui parlait de renvoyer Gaza à l’âge de pierre ?
Les Palestiniens hors-jeu
Quant à ceux qui sont titulaires d’un statut de citoyen de seconde classe, ils subissent un apartheid institutionnalisé par la loi de l’État-nation qui leur reste en travers de la gorge. S’ils ont réussi à se regrouper et à devenir pour la seconde fois, avec l’appui de quelques rares Israéliens, la troisième force du parlement (Knesset), ils se sont à nouveau divisés dans le cadre d’un jeu politique complexe : la question de savoir s’il fallait ou non poser comme priorité absolue la défaite de Netanyahou.
Bien qu’éclatée et opprimée, cette société reste étonnamment vivante, tout en restant sous la nécessité de lutter par tous les moyens possibles pour la reconnaissance de son droit à l’existence.
Les Israéliens à courte vue
Mais les oppresseurs n’en ont cure. Il y a ceux qui par auto-aveuglement volontaire, préfèrent s’en désintéresser ; il y a aussi ceux qui s’acharnent à mener ce qu’on peut à juste titre nommer une tentative de véritable sociocide.
Les deux principaux partis politiques israéliens s’entendent pour remettre ad uitam aeternam le règlement de la question palestinienne, qui ne sera donc pas une priorité de l’action gouvernementale. Le temps, pensent-ils, travaille pour eux. Le temps, et surtout la poursuite de la colonisation des terres et propriétés sous ou sans vernis légaliste (les implantations dites sauvages étant reconnues après délai plus ou moins variable, les exigences prétendument sécuritaires de l’armée justifiant le reste). Dans les territoires palestiniens occupés ou annexés, les colons, dont le soutien est devenu indispensable au gouvernement, ont le vent en poupe. Que pourraient-ils donc craindre, surarmés, protégés par l’armée d’un État lui-même sous l’égide des États-Unis ? Ah ! Si, les sévères remontrances verbales et inoffensives des grandes démocraties occidentales.
Menées dans un esprit référendaire visant à conforter un Premier ministre sortant menacé de poursuites judiciaires, ces élections n’ont rien réglé : le feuilleton politicien israélien est amené à perdurer avec son cortège de scandales, de provocations, et de tentations bellicistes.
La fin d’une illusion ?
Les discours sur « la solution à deux États » tournent à vide. Perdent-ils leur raison d’être ? La question se pose, même si leurs partisans, qui semblent réduits à la portion congrue dans la société israélienne, et se rencontrent avant tout dans les chancelleries occidentales, n’ont pas dit leur dernier mot. Michel Warschawski estimait cependant, il y a un an encore, qu’il s’agissait de la solution « peut-être pas la meilleure mais la plus probable. L’immense majorité des Israéliens – dont je ne suis pas – préférera toujours un petit État juif, même réduit à Tel-Aviv, plutôt que la cohabitation dans un seul État, qui revient pour eux à un suicide démographique », disait-il en répondant à Bruno Ripoche dans Ouest France. L’échange suivant demande un regain d’attention :
« Ouest-France : La solution à deux États n’est-elle pas devenue impossible, avec le mur de séparation et le grignotage de la Cisjordanie par les colonies juives ?
Michel Warschawski : Je crois à la réversibilité des choses. J’ai grandi en France pendant la Guerre d’Algérie. La colonisation de l’Algérie, avec sa population française ancrée là-bas, a été réversible. Un jour, le rapport de force changera et cela peut aller très vite. »2
N’est-ce pas faire preuve de lucidité ?
Les leçons de l’histoire
« Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre », dit un proverbe grec. Et les puissants de l’heure semblent tout avoir oublié de l’histoire. Aucun conquérant étranger n’est jamais parvenu à s’implanter durablement en Asie : que ce soit dans l’Antiquité (Alexandre le Grand, Rome), au Moyen Âge (croisades), ou aux époques moderne et contemporaine (empires coloniaux portugais, hollandais, britannique, et français). Et la Palestine se situe bel et bien en Asie.
Les Israéliens finiront par arriver à la croisée des chemins, et se verront offrir les mêmes choix que ceux qui se sont offerts aux colons européens en Afrique : un repli suicidaire sur eux-mêmes (comme en Algérie) ou la voie d’une intégration consentie dans un ensemble civilisationnel indigène (comme en Afrique du Sud).
En d’autres termes : foncer dans le mur de l’impasse ou désembourber l’avenir.
- https://www.chroniquepalestine.com/benny-gantz-accuse-de-crimes-de-guerre-devant-un-tribunal-la-haye, consulté le 28/09/2019.
- https://www.ouest-france.fr/monde/israel/entretien-sans-paix-avec-les-arabes-israel-va-au-suicide-6091989, consulté le 28/09/2019.
Cet te chronique (Post-it Palestine) de notre ami Philippe Lewandowski est à retrouver chaque mois dans Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).