CGT Mulhouse : Débattre du salariat avec Gérard Filoche (article de L'Alterpresse68)
Nous reproduisons ici un article de "L'Alterpresse68" rendant compte de l'intervention de Gérard Filoche au congrès de l'Union locale CGT de Mulhouse, qui avait invité notre camarade. Nous tenons à remercier "L'Alterpresse68" de nous avoir autorisés à reproduite cet article, que vous pouvez retrouver en cliquant ICI. (Article de la rédaction de "L'Alterpresse68" et photos de Martin Wilhelm).
Le congrès de l’union locale CGT de Mulhouse accueillait Gérard Filoche pour débattre du salariat
Le 31ème congrès de l’Union locale CGT de Mulhouse se tenait le 26 avril au centre sportif régional de la rue des Frères Lumière.
Pour le béotien découvrant un congrès syndical, il est surprenant d’assister en amorce du congrès, au ballet des entreprises faisant ouvertement offres de service aux syndiqués présents (transcription de PV de comité d’entreprise, etc…) sans compter la participation active de la mutuelle MACIF, dont certains syndiqués proposaient directement les offres à leurs pairs.
Mais la journée syndicale valait surtout pour l’intervention de Gérard Filoche, célèbre inspecteur du travail (y compris en retraite !), et ancien membre du parti socialiste, venu échanger sur le sujet des conditions de travail et des droits afférents, outre la situation politique.
Gérard Filoche a tenu d’abord à rappeler son triptyque essentiel : la défense du salariat, celui du code qui régissent ses modalités, et l’inspection du travail qui en est le garant actif.
Filoche insiste sur le terme « salariat », mot usuel mais dont la définition n’est pas si simple et évidente que cela.
Pour le résumer : le salariat rassemble ceux qui n’ont qu’une force de travail à vendre. Ceux qui ne possèdent pas les moyens de production. De fait, le salarié en entreprise est structurellement exploité.
Et le critère ultime permettant de le vérifier, empiriquement, est le lien de subordination. L’employeur décide de la naissance du contrat, l’admission du contrat et la rupture du contrat. Être salarié en entreprise, c’est donc êtes subordonné, ou si l’on préfère, tributaire de la volonté d’autrui.
En échange de la subordination apparaissent des droits. Pour l’essentiel : le Code du travail, la convention collective, les institutions représentatives du personnel, les délégués du personnel, le comité d’entreprise, la médecine du travail, l’inspection du travail…
Les entrepreneurs aiment à travestir cette réalité sociale sous un vocable managérial neutralisant les rapports de force sociaux. Ainsi le salarié devient le collaborateur
Filoche illustre ces données par la multiplicité de ses expériences personnelles. Devant un responsable du personnel qui prétendrait valoriser les salariés en les qualifiant de collaborateurs, il s’emporte : « J’ai pas ce mot dans mon code du travail ! », lui rétorque-t-il.
Il aime également à inverser l’ordre du rapport social, si paresseusement reproduit dans les discours publics et les médias : le milliardaire Bernard Arnaud ferait-il vivre 100 000 personnes ? Nada ! Ce sont ces 100 000 personnes qui le font vivre !
« C’est dans ce sens-là que ça marche ».
Rappelant que la création du salariat fut un vrai chemin de libération tout le long des 19e et 20e siècles.
La classe ouvrière est née dans les manufactures, a dépassé le statut des canuts, qui en fait étaient les auto-entrepreneurs d’aujourd’hui, elle a dépassé le statut des petits artisans et des petits groupements pour réaliser les grandes unités productives.
Et dans ces grandes unités, il était plus facile pour les salariés d’arracher leurs droits et d’arracher des conventions pour la maladie, des conventions pour les accidents du travail, des conventions pour les retraites, et ensuite pour le logement, pour la santé, pour les enfants…
Pour autant, le salariat est tardif, et cela ne se sait pas beaucoup. En 1910, il n’y a que 3 millions de salariés en France. Au moment du Front populaire, il y en avait 7 peut-être 8 millions. Le salariat était largement minoritaire.
En 1945, après la guerre, le salariat était toujours minoritaire. Probablement autour de 45%. Les autres travailleurs étant des indépendants. C’est-à-dire professions libérales, agriculteurs, commerçants, médecins, paysans…
Avec l’avènement de la Sécurité sociale, les indépendants n’ont pas voulu être affiliés à la Sécurité sociale des salariés, supposant qu’elle n’était pas assez solide, puisque les salariés étaient minoritaires. Préférant conserver leur propre caisse de Sécurité sociale.
Historiquement, les indépendants ont « perdu ». Ils sont passés de 55% à 10% des actifs aujourd’hui.
Et les salariés qui était 3 millions au début du 20e siècle, sont aujourd’hui 30 millions.
Conclusion de Filoche : « Nous n’avons jamais été aussi forts, aussi puissants, aussi déterminants, dans la production des richesses ».
Rappelant au détour que Macron, en dépit de ses apparences fluctuantes a bien une ligne idéologique, qu’il a défini dans son livre programme « Révolution » : mettre fin au salariat. Donc en revenir aux « loueurs de bras » selon Filoche.
Faire reculer, régresser et disparaître le salariat, pour avoir une société sans statut, voilà le programme social du 21è siècle.
« Il y a une réduction progressive de la durée du travail dans l’histoire récente, et là, les patrons se jalousent les uns les autres », raconte Filoche.
« Ils disent, oui, mais moi j’ai baissé la durée dans mon entreprise, mais pas toi. Et c’est comme ça, c’est avec des sentiments nobles, qu’ils inventent l’inspection du travail. Ils créent un petit corps de gens qui vont aller d’une entreprise à l’autre pour vérifier que tous les patrons appliquent la même règle pour baisser la durée du travail ».
C’est là l’origine à la fois des lois sur la durée du travail, et du contrôle de l’application des lois, qui institue une inspection du travail.
C’est en 1892 qu’est créée le premier corps d’inspecteurs du travail, et le grand événement fondateur de l’institution sera en 1906, la catastrophe de Courrières.
« Les mineurs sont le cœur à point avancé du salariat de l’époque, et Georges Clemenceau va faire une chose exceptionnelle, il va créer le ministère du Travail, c’est la suite de la catastrophe de Courrières [au cours de laquelle il fera donner la troupe ! NDLR], lequel va donner naissance au code du travail, qui lui, le temps qu’il soit rédigé, 1906–1907, va être publié pour la première fois en décembre 1910, et le premier code du travail, il a trois lois, puis 80 articles, et tout va s’organiser autour de l’abaissement de la durée du travail, la revendication, c’est les trois 8, la revendication qu’un siècle après, nous n’avons toujours pas satisfaite complètement, puisque ça veut dire 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de repos ».
Face à cela, il y a 9 ans, un président du nom de François Hollande annonça lors d’une conférence de presse, qu’il s’agissait désormais d’adapter les droits des salariés aux besoins des entreprises. Une régression sans précédent fomentée par un président socialiste.
Et au sujet de « l’obésité du Code du travail » ? Il y a certes 600 pages de lois, mais il y a dans l’édition Dalloz 2400 pages de jurisprudence, de décrets, d’arrêtés, de commentaires, etc.
Tous les codes juridiques français sont gros : le code du commerce est plus gros que le code du travail, le code de la route est plus gros que le code du travail. Au total, 21 codes sont plus « gros » que le code du travail !
Pour Filoche, les attaques contre le code du travail n’ont aucun sens, et oublient que les lois qui ont été élaborées progressivement.
« Ce sont des lois qui viennent de la chair et du sang, elles viennent de luttes, elles viennent d’exigences, de grèves ».
Sur le sujet des réformes à venir : « Les gens ne regardent pas leur bulletin de paye, alors quand on leur dit « on va le simplifier », ils sont parfois un peu bêtes, ils disent, bah oui. Ils se disent que ce qui compte c’est le chiffre du bas ».
« Je leur répète que non, c’est le chiffre du haut qui compte, c’est le salaire brut ».
Que ce soit pour les cotisations sociales qui fondent notre modèle social, ou pour l’application de toutes les lois, sans limites ni contrôle, la loi sociale restera vaine.
Et l’inspection du travail est régit par une co,convention internationale. C’est dire son importance. C’est la convention 81 de l’OIT (Organisation internationale du travail) qui définit le rôle d’une inspection du travail, protégé par des lois qui sanctionnent les patrons.
Ultime choc de simplification sociale prévu par le gouvernement, la disparition des CHSCT et toutes ses prérogatives. Depuis lors, la France est devenue championne d’Europe des accidents du travail.
Est annoncé enfin un relèvement du seuil de création des Comité d’entreprise, de 50 salariés vers 150, toujours au nom de la simplification administrative…
Toujours est-il que garantir la dignité au travail, et la protection des travailleurs, demeure un travail sans fin…