Vous reprendrez bien un peu de bitume !
Nous publions ici la chronique mensuelle de notre ami Jean-Claude Rennwald, militant socialiste et syndical suisse, ancien député (PS) au Conseil national suisse. Cet article est paru dans le numéro 218 de Démocratie&Socialisme.
Jusqu’ici, la Suisse disposait d’une politique des transports exemplaire à l’échelle européenne, fondée notamment sur des infrastructures et des incitations financières visant à transférer le trafic – en particulier celui des poids lourds - de la route au rail. Lors de la session d’automne du Parlement helvétique, sa majorité bourgeoise a toutefois remis en cause cette politique foncièrement juste du point de vue de l’environnement, en décidant de construire un deuxième tube routier au Gothard, considéré comme le berceau de l’identité nationale. Démocratie directe oblige, c’est toutefois le peuple qui aura le dernier mot.Priorité au rail…
La régulation du trafic des poids lourds à travers les Alpes (1,5 million de trajets par an) repose sur les quatre éléments fondamentaux suivants :
…remise en question par la droite
Mais ce subtil équilibre pourrait bientôt être rompu, puisqu’à fin septembre, la majorité bourgeoise du Parlement a donné son feu vert à la construction d’un deuxième tunnel routier au Gothard, projet devisé à 2,8 milliards de francs suisses (2,3 milliard d’euros). Pour comprendre l’enjeu de ce débat, il faut savoir que l’actuel tunnel routier du Gothard, qui fait partie du système des routes nationales (autoroutes), ne comprend que deux pistes, une dans chaque sens. Avec un deuxième tube, on passerait donc à quatre pistes. Officiellement, les deux nouvelles pistes ne seraient utilisées que pendant les travaux d’assainissement du tunnel, qui dureront trois ans. Il faut toutefois être naïf pour croire que les voies supplémentaires ne seront pas utilisées de manière permanente, une fois la restauration du tunnel réalisée. « Très rapidement, a dit de manière très pertinente la socialiste Valérie Piller Carrard, la promesse d’une circulation limitée sur une voie se perdra dans les nuages des gaz d’échappement. » Le raisonnement de la droite est d’autant plus absurde que pour assurer le trafic Nord-Sud durant les travaux d’assainissement du tunnel, d’autres solutions existaient. Comme l’a souligné Roger Nordmann, un autre socialiste, on aurait pu charger les voitures sur le train entre les deux bouches du tunnel. Pour les camions, on aurait aménagé des quais de chargement sur la nouvelle ligne ferroviaire, qui sera mise en service à fin 2006. Cette solution aurait permis d’économiser… 1 milliard de francs (830 millions d’euros) !
Un référendum qui fait peur
Les milliards nécessaires à la construction du second tube routier au Gothard auraient pu être investis dans d’autres projets. Les agglomérations souffrent énormément de l’augmentation de la circulation. Or, des investissements (encouragement des transports publics, de la bicyclette et de la marche à pied) dans ces zones densément peuplées permettraient d’éliminer ces goulets d’étranglement et profiteraient quotidiennement à des millions de personnes.
Tout cela explique pourquoi la galaxie rouge-rose-verte, appuyée par les syndicats, en particulier celui des cheminots, va lancer un référendum contre ce projet routier pharaonique. Un référendum à propos duquel la droite essaiera de tirer toutes les ficelles pour qu’il ne soit pas organisé en 2015. Ah oui, 2015, c’est l’année des élections nationales, et un succès de la gauche socialiste et écologiste à propos du second tunnel routier au Gothard pourrait aussi avoir quelques conséquences sur la composition du Parlement…