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C’est dans la rue qu’ça s’passe !

C’est un air bien connu des militants syndicaux : « C’est dans la rue qu’ça s’passe quand il s’passe quelque chose ». Car c’est là que, d’après la Compagnie Jolie Môme, « les rêves s’animent » et que l’on peut « change[r] le ciel ».

Il est bon de rappeler ce primat de la lutte sociale, collective et syndicale, dans un contexte de vacances scolaires qui, pour un temps, atténue de facto la mobilisation et suite à l’examen rocambolesque du projet de loi Macron-Borne-Dussopt au Palais Bourbon.

La mobilisation continue

La mobilisation a été massive, et même en hausse, le samedi 11 février, dans toutes les villes de France. Dans certaines métropoles, comme à Toulouse, et dans de nombreuses villes petites ou moyennes, on a pu parler ce jour-là de cortèges historiques. Il était impensable d’atteindre ce niveau de mobilisation le jeudi suivant, alors que deux zones scolaires sur trois étaient de plain-pied dans les congés d’hiver, et qu’il apparaissait toujours plus clairement à des millions de salariés que la lutte contre le projet de loi scélérat allait devoir s’inscrire dans la durée pour l’emporter.

L’intersyndicale en avait d’ailleurs parfaitement conscience. Elle concevait le 16 février, non comme un objectif en soi, mais plutôt comme un pont pour relier les grandes mobilisations de fin janvier - début février et le prochain temps fort qui est annoncé pour le 7 mars, avec un appel à mettre « la France à l’arrêt dans tous les secteurs » et à se saisir des jours suivants pour imposer au gouvernement, par la lutte, le retrait de sa réforme inique. Ce ressac du mouvement dans la rue, prévisible et prévu, a donné aux derniers jours du débat parlementaire une visibilité accrue. Pour le meilleur et pour le pire.

Dans les couloirs de l’Assemblée

Depuis des semaines, les observateurs glosaient sur le contraste frappant entre des cortèges syndicaux disciplinés, voire exemplaires, et un débat parlementaire marqué par des violences verbales et symboliques nombreuses et d’ampleur inédite. Et force est de constater que, pour une fois, ils n’avaient pas totalement tort !

L’obstruction parlementaire mise en place par les formations de la Nupes était en soi une option parfaitement envisageable, mais encore fallait-il discuter de son bien-fondé avec les organisations syndicales ! Et en la matière, l’unité facilitait grandement les choses puisqu’il n’était nullement besoin de multiplier les contacts bilatéraux : une entrevue entre l’intergroupe Nupes et l’intersyndicale aurait largement suffit. La suppression de milliers d’amendements, censés retarder l’examen du fameux article 7 du projet de loi repoussant l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, a finalement été annoncé par la Nupes le 13 février au soir.

Si l’on doit se féliciter de ce retrait, demandé instamment par des organisations syndicales désireuses de tendre les rapports sur le terrain des luttes, on ne peut que s’interroger sur son caractère tardif. Car enfin, l’article 7 n’a malgré tout pas pu être examiné par les députés avant la clôture de l’examen du projet imposée par le gouvernement ! Ce retard à l’allumage indique probablement, chez certaines et certains, dans les rangs de la Nupes, une tendance à vouloir se substituer au mouvement social réel. C’est naturellement une illusion navrante, puisque l’arithmétique parlementaire ne joue malheureusement pas en notre faveur, malgré la formation de la Nupes au printemps dernier. Mais c’est aussi une faute politique, tant il est vrai que le combat politique n’est payant, pour notre classe, qu’à s’articuler avec la pression sociale dans la rue. Car s’ils ont le Parlement, nous, on a les gens !

Du bon usage de la tribune parlementaire

Dire cela n’invalide en rien le travail parlementaire, loin s’en faut ! Les partis de la Nupes avaient et auront un rôle important à jouer dans l’Hémicycle pour faire reculer le gouvernement. Appuyés sur la mobilisation sociale et sur le travail d’intellectuels tels que Mickaël Zemmour1, les parlementaires de gauche ont par exemple, en harcelant Dussopt sur ce point précis, définitivement tordu le coup à l’argument fallacieux sur la retraite plancher de 1 200 euros. Le Monde ne note-t-il pas récemment que « la réforme se révèle particulièrement sévère pour les femmes, inégalitaire pour ceux qui ont commencé à travailler tôt et beaucoup moins favorable qu’annoncé pour ceux qui touchent de petites pensions »2 ?

Autre intérêt du combat parlementaire : celui d’affaiblir l’ennemi en donnant à voir à l’opinion les contradictions qui le travaillent. C’est naturellement la mobilisation sociale historique qui amène un certain nombre d’élus LR, et même de députés de la majorité, à s’interroger sur leur vote final. Mais la guérilla menée par les nôtres dans l’Hémicycle a sans aucun doute accéléré le processus de différenciation politique sur les bancs de la droite. La récente destitution par Éric Ciotti d’Aurélien Pradié, jusque-là numéro 2 de LR et auto-proclamé « défenseur des carrières longues », affaiblit par exemple incontestablement Macron dans sa quête d’une majorité parlementaire ad hoc. Or, tout indique que le combat mené par la Nupes au Palais Bourbon est pour quelque chose dans l’explosion de cette querelle de famille.

Préparer le 7 mars

La fin de l’examen du projet de loi à l’Assemblée, le passage du texte au Sénat où la droite dispose d’une majorité autrement plus confortable qu’au Palais Bourbon, puis la constitution d’une commission paritaire mixte (CMP) largement favorable à la réforme au début du mois de mars : autant d’éléments qui vont permettre à la mobilisation sociale de retrouver sa centralité. D’autant que la perspective du 7 mars commence à se profiler à l’horizon.

Partout, dans les entreprises et les établissements, dans les quartiers et les territoires, il faut se démener pour que la mobilisation populaire soit la plus forte possible le 7 et les jours suivants. AG, rassemblements, réunions publiques organisées conjointement par les forces de la Nupes, marches aux flambeaux… : tout est bon pour faire reculer Macron. La colère monte dans le pays face à la surdité d’un pouvoir à qui l’intersyndicale avait pourtant donné un délai confortable pour retirer sa réforme injuste et massivement rejetée par l’opinion. Faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que cette colère, nourrie de la hausse aussi vertigineuse qu’insupportable des inégalités sociales depuis 2017, puisse s’exprimer au mieux, le 7 mars et après. Par la grève et dans la rue. Car, décidément, « c’est là qu’ça s’passe » !

1. Voir l’interview qu’il nous a accordée dans Démocratie & Socialisme 302, février 2023, p. 8-9, consultable sur le site de GDS à l’adresse suivante : http://www.gds-ds.org/entretien-avec-michael-zemmour.

2. « Les dégâts d’un projet mal ficelé », www.lemonde.fr, 20 février 2023.

 

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