GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Avec toute la gauche, promouvoir la « Grande Sécu » !

Pour l’ensemble de la gauche, la Sécurité sociale des origines est tout autant un acquis de civilisation, né de la volonté d’en finir avec la misère et le fascisme, qu’un conquis social et démocratique, arraché de haute lutte aux classes possédantes. C’est cet esprit collectif et solidaire qu’il convient de faire revivre pour lutter pied à pied contre le modèle de société ultra-individualiste et anti-pauvre promu par Macron et les siens, et pour proposer aux salarié.es une alternative enthousiasmante au tandem infernal Macron-Le Pen, dont les grands médias mettent déjà complaisamment en scène l’affrontement dans la perspective de 2027.

Quelques jours avant qu’Élisabeth Borne impose, le 30 novembre dernier, son vingtième 49.3, empêchant par-là même tout contrôle démocratique par l’Assemblée nationale sur le budget de la Sécurité sociale, Olivier Dussopt s’est proposé de lancer les appels d’offre pour revendre la « Sécu » au privé « à la découpe ». Cette troublante concordance des temps est la preuve d’une offensive concertée et préméditée du pouvoir macronien contre notre protection sociale.

Un fil à la patte ?

Jamais le patronat et la droite n’ont accepté la Sécurité sociale de 1945, version Ambroize Croizat - surtout pas le fait qu’elle soit basée sur des cotisations salariales, sur un budget séparé géré par les assurés eux-mêmes. Dès 1966, les ordonnances De Gaulle-Pompidou avaient modifié le système d’élections et de gestion pour déposséder les salariés et leurs syndicats du contrôle de la gestion des différentes Caisses de Sécu. En 1995, les ordonnances Juppé avaient supprimé aussi bien le principe des élections aux Caisses que leur gestion par des représentant.es des salariés, et effectué un « hold up » en remettant toutes les décisions entre les mains de Bercy et au bon vouloir d’une loi de financement de la Sécurité sociale votée (LFSS) par le Parlement. Elle a d’ailleurs été adoptée, et non votée, par le Parlement, du fait des 49.3 successifs dégainés par Borne-Dussopt en 2022 et 2023 (voir l’article précédent).

Parallèlement, les pouvoirs successifs de droite (et aussi le quinquennat maudit de Hollande-Valls-Touraine) n’ont cessé de bloquer les cotisations salariales, d’accorder sous toutes les formes possibles des « exonérations de cotisations » aux employeurs, de diminuer ou dérembourser les prestations sociales santé, maladies, accidents, retraites… Jusqu’à Emmanuel Macron, qui a fait carrément campagne pour la « suppression des cotisations sociales », et qui s’efforce, depuis, de les rogner sous toutes les formes.

Le 17 novembre dernier, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a annoncé rien de moins que la destruction de notre protection sociale.

Arrogance du pouvoir

Le gouvernement se déchaîne pour faire des économies sur la Sécurité sociale, sur la protection sociale : réforme des retraites, pillage des retraites complémentaires Agirc-Arrco, casse du RSA, casse de l’assurance chômage, menace renouvelée de quasi suppression de l’Aide Médicale d’État (AME), réduction de l’Aide Personnalisée au Logement (APL), coupes budgétaires sur le budget de la Sécurité sociale.

Selon la Convergence nationale des collectifs de défense et développement des services publics (CNCDDSP) qui participe à toutes les mobilisations en défense des services publics et de la protection sociale (encore, le mois dernier, à Lure…) – et dont la GDS est partie prenante –, dans Les Échos du 17 novembre 2023, le ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, Olivier Dussopt, a annoncé, lors du congrès de la CFTC, sa volonté de « repenser notre modèle social » (voir document ci-dessous, p. 13). La Sécurité sociale, l’Unedic, mais aussi l’Agirc-Arrco, sont dans le viseur du renégat Dussopt.

Devant les délégué.es de la CFTC, ce dernier a confirmé le déroulé prévu de longue date par son donneur d’ordre : une fois enclenchée l’opération d’appel d’offres ouvert dans le privé avec l’ANI, il y aura celle sur la Protection sociale complémentaire (PSC) des fonctionnaires, prévue pour le 1 er janvier 2025 et le 1er janvier 2026 pour la prévoyance et la santé. Le plan de route est ensuite d’attaquer l’ensemble des caisses de la Sécurité sociale. L’Union nationale des organismes complémentaires à la Sécurité sociale (UNOCAM regroupant la Fédération nationale de la mutualité française avec en son sein la Fédération des mutuelles de France, les instituts de prévoyance et la branche assurantielle du Medef intitulée Fédération nationale des sociétés d’assurance) propose par exemple le passage à des appels d’offres ouverts pour la découpe de la Sécu par « appartement ».

La mission historique de Macron

Macron vise donc, depuis le début, « la suppression des cotisations sociales » prélevées à la source comme élément de salaire versé par les employeurs. Il veut que ce ne soit plus les patrons qui paient mais les salariés. Tout ira dans les caisses de l’État. Tout passera par l’impôt, opération facilitée par le prélèvement de celui-ci qu’il a mis en place à la source. Fin du salaire brut. Fin des cotisations pré-affectées aux différentes Caisses : elles seront remplacées par des prélèvements non pré-affectés – donc à la merci des majorités politiques du moment. Un seul impôt, un seul budget : la « Sécu » n’est plus un sanctuaire, ne sera plus un budget séparé.

Et, comme la LFSS – le budget de la Sécu –, ne génère qu’environ 10 % de la dette présumée du pays, alors que le budget de l’État en produit près de 80 %, cela permettra de mélanger le tout dans un seul budget pour mieux le soumettre indistinctement à l’austérité.

Le budget de l’État génère donc, à lui-seul, 78,5 % de la dette publique nationale présumée : en le fusionnant avec la LFSS, ils vont pouvoir purger encore plus et réduire le volume du budget social, le vider de son « pognon de dingue ». Tout sera dans le même tonneau et il n’y aura qu’une seule tirette. Quand il y aura un budget unique, il sera possible, sans frein, sans que ça se voie, d’utiliser les fonds sociaux pour d’autres fins. Il sera possible de construire un porte-avions nucléaire de plus à la place de 100 hôpitaux et un sous-marin de combat à la place de 1 000 scanners.

Capables de tout, les ultra-libéraux prétendent vouloir « moins d’État ». La Sécu était de droit privé, et les voilà, contrairement à leurs principes affichés, qu’ils veulent étatiser son budget, pour mieux la contrôler, la restreindre et finalement l’étrangler en la privatisant.

Non à l’étatisation de la Sécu

Depuis des décennies, ils ont attaqué la montagne de la Sécu par la face nord. Ils ont installé des tickets modérateurs, des forfaits hospitaliers, puis rendu presque indispensables des « complémentaires », assurances privées, caisses de prévoyance ou mutuelles « complémentaires ». Ils ont modifié les normes de fonctionnement des Mutuelles, les faisant rompre avec leur esprit collectif solidaire d’origine. Ils ont bloqué les cotisations patronales, diminué les remboursements, et augmenté les « restes à charge » sur le dos des assurés. À l’occasion de la pandémie de Covid19, ils ont même inventé un « forfait urgence » payable par toutes et tous, dans le pire des cas, aux urgences, pour détourner de ces services celles et ceux qui n’ont pas d’autre accès aux soins. Ainsi une grande part de la cotisation s’individualise, la part des tickets modérateurs, « complémentaires » et « forfaits » (un jour une liste de médicaments dérembourses, l’autre jour une hausse des soins dentaires…) ne cesse de progresser de façon inégalitaire et insupportable, tandis que garanties plancher, minimales, sont restreintes dans les « paniers de soin » : tout cela rogne cette « Grande sécu » dont nous militons activement pour la restauration.

Car cela développe et impose une seconde cotisation : celle, largement redondante, à des complémentaires, prévoyance et autres mutuelles. Les bas et moyens salaires ont bien du mal à payer ces deux échelons, notamment les retraités qui en ont le plus besoin, mais qui sont condamnés à d’importantes surcotisations du fait de leur âge. Les plus pauvres sont contraints de ne pas se soigner ou de laisser des « ardoises » dans les hôpitaux. Et comment faire face aux coûts des honoraires « libres » des médecins spécialistes, aux examens de prévention en laboratoire, recherches, analyses, scanners, échographies, IRM ? Et, en dépit de toutes les annonces, la lunetterie et la dentisterie sont mal couvertes : on vous arrache une dent et ça vous coûte toujours les yeux de la tête.

Tout cela sape les principes fondateurs de la Sécu de 1945 qui voulaient éviter une santé à deux ou plusieurs vitesses, des discriminations aussi bien dans les cotisations que dans les prestations.

Alerte ! L’union, vite !

Les soins coûtent plus cher, chacun le sait, aux États-Unis, où plus de 18,5 % du PIB va à la santé (contre 11,5 % en France). Mais c’est une poule aux œufs d’or pour les hôpitaux privés et les médecins libéraux. Peu importe, pour les capitalistes, que la santé coûte cher, tant que c’est eux qui gèrent, qui encaissent, qui fixent leurs marges sans aucun contrôle des assuré.es. D’autant qu’ainsi, ils s’estiment mieux soignés, conscient qu’ils sont que les discriminations sont énormes dans ce domaine.

En France, les gouvernements successifs ont permis qu’existent plus de 400 mutuelles dérégulées qui se font une inutile concurrence, extrêmement coûteuse en publicité, avec une véritable gabegie de frais de gestion lorsqu’elles sont dirigées par des conseils d’administration qui se versent des indemnités exorbitantes. En moyenne, la gestion coûte 25 % dans ces organismes tandis qu’à la Sécu, elle ne coûte que 5 % ; la différence est énorme.

Lors du 75e anniversaire de la Sécu, en 2020, à Saint-Étienne (Loire), la gauche dans sa totalité s’était mise d’accord sur un programme commun pour la Sécu ! Il avait été signé à l’époque (c’était un exploit, car la division de la gauche faisait rage) par Olivier Faure et Julien Bayou, par Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon, par Benoît Hamon et Marie-Noëlle Lienemann, par Jean-Francois Pelissier et Gérard Filoche, par Pierre Larouturrou et Michel Jallamion. L’appel de Saint-Étienne, plus que jamais d’actualité, disait que la Sécurité sociale a pour but de « protéger les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ». Ses principes sont :

- l’unicité (institution unique et obligatoire),

- l’universalité (couvrir tous les citoyens),

- la solidarité intra- et inter-générationnelle (selon le principe « Je cotise selon mes moyens, et reçois selon mes besoins »),

- la démocratie.

Cela s’est retrouvé en positif dans le programme partagé de la NUPES – enfin ! – en avril 2022, et cela fait la force de la gauche si… elle reste unie sur cette question comme sur les autres.

Pour une grande Sécu

Pour 2027, nous proposons que la gauche se rassemble autour de ce projet de restauration d’une grande Sécu, aux antipodes des projets respectifs, mais tout aussi anti-sociaux, que ne manqueront pas de présenter Macron et Le Pen. Voilà en quatre points, ce que signifie, à nos yeux, cette remise au goût du jour de la plus belle institution sociale qui soit.

1°) Financement par les cotisations salariales et patronales, et modulation de celles-ci pour faire face aux besoins de santé de toutes et de tous. Une seule cotisation universelle, proportionnelle et plafonnée, pré-affectée aux différentes Caisses des branches existantes : maladie, AT/MP, retraite, chômage, famille, logement (et aux deux Caisses nouvelles à créer : formation-jeunesse et dépendance).

2°) Augmenter massivement les rentrées de cotisations sociales par la création d’emplois, l’augmentation des salaires nets, bruts et super-bruts, l’application réelle de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, la lutte contre la souffrance, les accidents, les maladies professionnelles et contre la fraude sociale, essentiellement patronale.

3°) « 100 % Sécu, 100 % soins » en lien avec le refus des dépassements d’honoraires et l’exigence d’un pôle public du médicament au moment où des laboratoires s’enrichissent sur le dos de la Sécu. Allocations familiales pour tous, aides aux logements, assurance chômage pour une Sécurité sociale professionnelle, retraites par répartition, développement de la recherche et de la prévention afin d’assurer le bien-être de tous de la naissance à la mort.

4°) Gestion démocratique de toutes les caisses de la grande Sécu. Pour cela : «À bas les LFSS et les 49.3 à répétition » ! Retour à des élections démocratiques, à la proportionnelle stricte (un assuré, une voix) tous les cinq ans. Nous invitons de nos vœux la constitution d’une Chambre sociale. Elle signifierait l’instauration d’une nouvelle démocratie sanitaire et sociale, associant les représentants des salariés, en tant qu’usagers et assurés sociaux, dans toutes les instances décisionnelles et à tous les niveaux. La population a indéniablement son mot à dire sur la définition des droits et besoins sociaux et des grands choix à opérer.

Cet article de notre camarade Gérard Filoche a été publié dans le numéro 310 (décembre 23) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).


À vos agendas !

Des Assises de la santé au travail auront lieu dans la grande salle Henaff et dans quatre salles de travail à la Bourse du travail de Paris (29, boulevard du Temple, 75011 Paris), les 13 et 14 mars prochain.

L’animateur de ces journées sera Bernard Teper, co-auteur de Contre les prédateurs de la santé (avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme, 2012, éd. Osez La République sociale) et de Pour en finir avec le trou de la Sécu ! Repenser la protection sociale du XXIe siècle (avec Olivier Nobile, 2017, éd. Eric Jamet).

Plus d’informations sur https://reseaueducationpopulaire.fr.

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