GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Actions & Campagnes politiques

2) Est-ce que la présentation de l’ANI par les grands médias peut tromper son monde et « faire la loi » ?

D’ici mars, avril, avant que les députés ne votent, ce qui n’est pas encore connu des salariés le sera : une bataille d’opinion est engagée pour faire connaitre le réel contenu de l’ANI.

L’intox d’une présentation médiatique apologétique et tronquée se dégonflera forcément.

La grande presse a confisqué, en le dénaturant, la présentation de l’ANI par des phrases dithyrambiques, creuses et abstraites, sans jamais dire ce qu’il y avait de précis dans le texte. Aucun des défenseurs de l’ANI ne rentre dans les détails… et pour cause. L’accord serait « gagnant-gagnant », « audacieux », ou encore « une bouffée d’air au dialogue social »…

Frédéric Lemaire, le 28 janvier 2013, dans Acrimed (excellent travail, cité abondamment ci dessous en raison de sa précision et de son caractère exhaustif) démontre de façon éclatante que c’est partout la même rengaine : la réforme qui devrait résulter des négociations promet « plus de souplesse aux entreprises, et plus de protection aux salariés ».

Il démontre une « étonnante uniformité lexicale » :

« Le chef de l’État […] croit aux vertus du dialogue social […] pour donner plus de souplesse aux entreprises, plus de protection aux salariés. » ( L’Express , 29 décembre) ;

« Cette négociation, voulue par le gouvernement et entamée le 4 octobre, vise à concilier plus de souplesse pour les entreprises et plus de protection pour les salariés. » ( Libération , 1er janvier) ;

« Il s’agit de trouver un équilibre entre plus de flexibilité pour les entreprises et plus de protection pour les salariés. » ( La Croix , 7 janvier) ;

« À la recherche d’un compromis historique sur une réforme du marché du travail, syndicats et patronat peinent à s’entendre pour le rendre à la fois plus souple et plus protecteur. » ( Direct Matin , 8 janvier) ;

« Les négociations reprennent […] Il s’agit d’offrir à la fois plus de protection aux salariés, mais aussi plus de souplesse aux entreprises » ( Leparisien.fr , 9 janvier). L’article est assorti d’un sondage : « selon vous, faut-il assouplir le code du travail ? ».

« Depuis le coup d’envoi, le 4 octobre 2012, de cette négociation cruciale, syndicats et patronat peinent à trouver un compromis pour fluidifier le marché du travail en donnant plus de souplesse aux entreprises et de protection aux salariés. » ( AFP , 10 janvier) ;

« Les négociations sur une réforme du marché du travail alliant plus de sécurité pour les salariés et flexibilité accrue pour les entreprises ont débouché sur un accord vendredi » ( Reuters , 12 janvier) ;

« Au terme d’une journée marathon et de trois mois de négociations, syndicats et patronats ont arraché hier soir l’accord tant attendu par l’exécutif sur la sécurisation de l’emploi, destiné à offrir à la fois plus de souplesse aux entreprises et davantage de protection aux salariés. » ( La Dépêche , 12 janvier) ;

« Au terme de trois mois de négociations, syndicats et patronats sont parvenus à un accord vendredi 11 janvier sur la sécurisation de l’emploi, destiné à offrir à la fois plus de souplesse aux entreprises et davantage de protection aux salariés. » ( L’Expansion , 14 janvier) ;

« Destiné à offrir plus de souplesse aux entreprises et davantage de protection aux salariés cet accord “marque l’avènement d’une culture du compromis après des décennies d’une philosophie de l’antagonisme social”, s’est félicitée Laurence Parisot, présidente du Medef. » ( BFMTV.com , 12 janvier 2013) ;

« Destiné à offrir plus de souplesse aux entreprises et davantage de protection aux salariés, que prévoit exactement cet accord ? » ( RTL.fr , présentation de l’émission d’Eric Vannier, 12 janvier) ;

« Trois syndicats sur cinq, à l’exception de la CGT et de FO, et les organisations d’employeurs, sont convenus d’un dispositif qui offre plus de souplesse aux entreprises et davantage de protection aux salariés. » ( RFI ) ;

« Plus de souplesse pour les entreprises et davantage de protection pour les salariés. Tels sont les grands axes de l’accord trouvé vendredi après trois mois de négociations entre syndicats et patronats. » ( francetvinfo.fr , 14 janvier) ;

« Destiné à offrir plus de souplesse aux entreprises et davantage de protection aux salariés , ce projet de loi sera présenté en Conseil des ministres en mars, puis examiné en urgence par le Parlement en vue d’une promulgation fin mai » ( france24.com , présentation de l’émission « duel de l’économie », 17 janvier) ;

« La semaine dernière, la CGT et Force ouvrière ont refusé de signer l’accord sur une réforme du marché du travail […] Cet accord est censé offrir plus de souplesse aux entreprises et davantage de protection aux salariés » (présentation de l’émission du 21 janvier 2013, France Inter ).

Un accord « donnant-donnant, équilibré et subtil » ( Les Échos )

Très subtils, en effet, Les Échos, exultent : « la clef de ce compromis se trouve du côté de la flexibilité. À tel point qu’au lieu de parler de flexisécurité, il convient d’évoquer la sécu-flexibilité. » Se payant, au passage, le gouvernement : « L’ironie est qu’il appartient à la gauche d’avaliser le mot même de flexibilité qu’elle rangeait dans la case de l’ultralibéralisme il y a un an. Mais, après tout, elle récusait également tout problème du coût du travail et toute idée de hausse de la TVA ».

Internationalement, toutes les presses de droite ont salué l’accord de Washington à Londres, de Berlin à Rome, et la droite française aussi, l’UMP s’apprêtant à le voter sans regimber. À l’image du Wall Street journal : « Les employeurs français gagnent une nouvelle flexibilité du travail. »

Maurad Rabhi, négociateur CGT :

En ce qui concerne la presse, la quasi totalité s'est focalisée sur les hypothétiques nouveaux droits auxquels les salariés pourraient prétendre sans s'interroger sur les effets pervers de certaines propositions. Ainsi, on a parlé de formation, de complémentaire santé, de temps partiel, de droits rechargeables pour les chômeurs. Dont les modalités et le délai de mise en oeuvre sont particulièrement flous. Quant à la taxation des contrats courts, elle a servi de leurre tout au long de la négociation pour mieux détourner l’attention de l’opinion sur les aspects de flexibilité ou de sécurité juridique que le patronat réclamait pour son propre compte.

Haro sur les « archaïques » qui s’opposent à l’ANI :

Mais Le Monde s’inquiète déjà de la fragilité des acquis de l’accord : « le plus dur est à venir : obtenir des élus socialistes le même respect de la démocratie sociale » (12 janvier).

Ce qui permet à Libération d’annoncer « que les partenaires sociaux, ou au moins une majorité d’entre eux, s’accordent sur une première négociation sociale, attendue depuis des années » (11 janvier). Une majorité dont Libération oublie de préciser qu’elle est, en termes de représentativité, minoritaire.

Même oubli dans le Nouvel Observateur , qui annonce ainsi qu’« une majorité (sic) de partenaires sociaux a donné un avis positif, vendredi 11 janvier en fin de soirée, sur la signature de l’accord tant attendu sur la sécurisation de l’emploi, actant plus de droits pour les salariés et plus de flexibilité pour les entreprises ».

Aux syndicats signataires, qui ont permis cet accord si précieux, la presse dresse unanimement des éloges : « les signataires ont courageusement pris le risque de la réforme au lieu de s’accrocher à un statu quo mortifère » explique Le Monde (12 janvier). « MEDEF et CFDT, fins stratèges d’un accord audacieux » titre l’article du Figaro du 13 janvier. Franz-Olivier Giesbert est à deux doigts d’adhérer à la CFDT : « Grâces soient rendues à la CFDT d’avoir fait la preuve, une fois de plus, de son patriotisme et de sa maturité en signant le projet » ( Le Point , 10 janvier).

Ces éloges n’ont d’égal que l’opprobre jeté sur les syndicats qui ont refusé de signer l’accord. Si la CGT s’y oppose, c’est par pur calcul interne croit savoir Le Nouvel Observateur « Le secrétaire général de la CGT, dont la succession a affaibli l’organisation, est soucieux de montrer les muscles. » (11 janvier).

Pour Giesbert, la CGT et FO « décidemment hors d’âge » refusent l’accord par « logique boutiquière » (11 janvier) ; « C’est encore cet autisme français qui, cadenassant le pays dans l’archaïsme, l’a jusqu’à présent empêché d’accepter les solutions qui s’imposent en matière de compétitivité ou d’emploi » (10 janvier).

Pour Le Monde , c’est bien évidemment un mauvais pari : « Ce compromis va légitimer le syndicalisme réformiste et le dialogue social, si bien que la stratégie de la CGT et de FO pourrait s’avérer perdante ».

Dire « non » au projet du patronat n’est semble-t-il pas une option dans le « dialogue social » tel qu’il est conçu par les éditorialistes. « Il faut donc une nouvelle fois constater que la principale organisation syndicale française s’est mise hors du jeu de la négociation quasiment à l’instant où elle a démarré. C’est étrange, et pour tout dire condamnable » ( Les Échos , 14 janvier).

Laurence Parisot, présidente du Medef :

«Un accord potentiellement historique s’il est repris tel quel dans la loi». Elle commence déjà mettre la pression pour imposer tout ce qu’elle a obtenu.

Patrick Bernasconi, négociateur du Medef, in Le Monde :

«La France figurera désormais parmi les meilleures références pour ce qui est de la flexisécurité.»

Syndicat de la magistrature :

Le texte « en facilitant les licenciements et en réduisant considérablement le contrôle du juge sur l’exécution et la rupture du contrat de travail, constitue une grave régression pour les droits des salariés et une nouvelle source de précarité ».

Syndicat des avocats de France (Saf) :

« Le Medef revendique l’immunité judiciaire pour les entreprises ! »

Ça ne sert à rien d’amadouer le Medef : il a soutenu Sarkozy à fond, il est l’ennemi de la gauche, et veut la voir échouer. Il ne signe que ce qui l’avantage. Et puis il en redemande toujours. À peine Laurence Parisot avait-elle obtenu 20 milliards de crédit d’impôt sans contrepartie, qu’elle en redemandait 20 milliards. Et le patronat accélère en même temps les plans sociaux, certain, ce faisant, de nourrir la droite UMP/FN.

Dans le traitement médiatique de cet accord sur la réforme du marché, le commentaire a « écrasé » l’information. Car rien de concret n’est jamais précisé sur son contenu. Tout est à l’esbroufe.

Mais cela n’empêchera pas des millions de salariés, par le truchement de syndicats, d’internet, de s’informer vraiment sur le fond de l’ANI de Wagram.

Alors pour mieux tenter de faire passer l’ANI, la grande presse essaie aussi et ensuite d’attiser la division syndicale : il y aurait une « guerre syndicale » (Europe 1), « la fracture se creuserait entre la CFDT réformiste et la CGT radicalisée » (Libération). Le Figaro surfe contre « l’attitude jusqu’au-boutiste de la CGT » (sic)…

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